Débat du 13 mai 2017 contribution de cOLETTE CHARBONNIER, RETRAITéE DE L'INSPECTION DU TRAVAIL

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mis à jour le : 22 Août, 2019

Je voudrais apporter ici un simple témoignage portant sur les conditions et les difficultés du contrôle des entreprises qui détachent des salariés dans toute l’Europe et de celles qui les utilisent, conformément à la directive du 16 décembre 1996 sur le détachement

Je suis à la retraite mais j’ai été contrôleur puis inspecteur du travail pendant plus de 30 ans sur le terrain et à la Direction Interministérielle de Lutte contre le Travail Illégal. J’ai aussi assuré pendant quelques années à la direction générale du travail les échanges entre les agents de contrôle de terrain et les autorités des états européens concernés par le détachement. Je dirai d’ailleurs un mot à la fin sur le fonctionnement du bureau de liaison national qui permet cette coopération telle que prévue par l’article 4 de la directive 1996.

Concernant la directive européenne sur le détachement :

Lorsqu’on parcourt les dispositions de cette directive permettant le détachement de salariés dans toute l’Europe , on pourrait supposer que les travailleurs détachés sont bien protégés mais la réalité est tout autre. Il ne semble pas, par ailleurs, que les modifications apportées par les lois Savary ou Macron au cours de ces deux dernières années aient apporté une amélioration significative de la situation de ces travailleurs détachés ou en ont limité leur exploitation. Des témoignages recueillis auprès de quelques camarades qui sont toujours en activité ou affectés à l’office central de lutte contre le travail illégal, il n’y a rien de bien rassurant à l’horizon. Par Ailleurs, les réformes qui touchent l’inspection du travail et les les sanctions administratives mises en place pour lutter soi6 disant contre le travail illégal ou les dérives du détachement ne vont pas dans le bon sens. Les organisations syndicales, et notamment la CGT , dénoncent le démantèlement l’Inspection du Travail qui conduit à toujours moins d’effectifs, moins de contrôles et moins de contraintes, moins de sanctions à l’encontre des employeurs délinquants.

De part mon expérience professionnelle, je peux dire que cette directive détachement est une véritable usine à gaz. IL a souvent été dit qu’elle provoquait une concurrence déloyale, qu’elle créait du dumping social. c’est à ce titre que Jean Luc Mélenchon demande son abrogation dans son programme sur le simple fait que le taux de cotisations sociales est plus bas dans les états qui détachent que dans le nôtre. Je suis d’accord avec cette proposition qui n’est qu’une partie visible de l’iceberg. En effet , Cette directive est aussi l’occasion, pour les entreprises qui la font fonctionner plein pot, de faire un profit énorme sur le dos des salariés de chaque côté des frontières, de faire baisser le coût du travail car les protections qu’elle contient sont particulièrement difficiles à contrôler et notamment pour ce qui parait être le plus prioritaire, c’est à dire : le paiement du montant des salaires versés à un salarié détaché, la durée du travail, la situation contractuelle du salarié lorsqu’il est de l’autre côté de la frontière française puisqu’il est interdit de détacher dans le cadre d’un prêt de main d’œuvre à but lucratif.

Je vais dire quelques mots sur ces trois aspects de la législation dont le contrôle est un parcours du combattant pour l’Inspection du Travail.

Pourquoi un parcours du combattant? 

1°) Concernant le contrôle systématique des bulletins de salaires d’une entreprise dans laquelle est pratiqué le détachement :

Ce contrôle demande un investissement important et une disponibilité que les inspecteurs du travail ne possèdent pas. Il n’y a pas d’obligation pour les entreprises de tenir, en permanence à disposition le duplicata des bulletins de salaire sur les lieux même où s’effectue le détachement. Ces documents sont établis dans l’état qui détache. Néanmoins, lorsqu’ils sont présentés, ils ne constituent pas une preuve des sommes réellement versées versé au salarié détaché. Nous devons donc réclamé cette preuve si nous avons quelques raisons de soupçonner une fraude. Cela induit la présentation de relevés bancaires, de reçus délivrés, copie de chèques éventuellement, c’est-à-dire une somme de documents qui devront être traduits en français, reconvertis en euros. Dans la mesure où ces documents ne sont pas exigibles sur le champ, les employeurs étrangers font obstacle ou font traîner les choses. Autant dire que les employeurs se donnent tout le temps de falsifier ces documents avant de les présenter et nous n’y voyons que du feu. Nous soupçonnons, une très grande corruption dans ce domaine et des rouages bien huilés. Il est fréquemment impossible de vérifier la fiabilité des documents comptables. IL est impossible également de se débarrasser du quotidien et de consacrer tout son temps sur une enquête qui demande des délais d’investigations de plusieurs mois afin de démontrer la fraude. Les investigations deviennent parfois caduques si le détachement est terminé avant la fin des investigations. C’est le cas pour bon nombre de chantiers du bâtiment par exemple. IL est donc quasi impossible de procéder systématiquement à un contrôle du paiement des salaires réellement versés à des salariés détachés lors d’un contrôle inopiné de nos services, et, les employeurs le savent bien. Un collègue m’a rapporté la semaine dernière que les lois Savary et Macron avaient tenté d’édulcorer la directive en impliquant  la responsabilité des donneurs d’ordre lorsque les dispositions relatives aux salaires n’étaient pas respectées mais la complexité du contrôle ne permet pas de les impliquer systématiquement sauf dans des cas flagrants de travail illégal dans l’établissement. Pour permettre des investigations plus poussées, les agents de contrôle ont la possibilité de saisir de saisir le bureau de liaison mais je parlerai de son efficacité un peu plus loin.

2)° Concernant les plaintes des salariés détachés eux-mêmes

en cas d’infractions sur les salaires Sur ce point, c’est un peu l’omerta : contrairement à ce qu’on pourrait croire, les plaintes sont peu nombreuses. Les raisons en sont bien simples. Les salaires pratiqués dans le pays d’origine sont parfois 4 à 5 fois plus bas qu’en France et quand bien même un salarié détaché toucherait le double en France de ce qu’il pourrait prétendre dans son pays d’origine mais seulement la moitié d’un salaire légal ou conventionnel français , le salarié détaché ne s’en plaindra pas. (C’est d’ailleurs bien dans les pays où les salaires sont nettement plus bas que le recrutement de travailleurs détachés est le plus élevé). Bien souvent originaire du même village, de la même région que l’employeur ayant organisé le détachement, le salarié détaché ne fera pas valoir en France l’exigence du paiement du salaire légal ou conventionnel français qu’il devrait percevoir tel qu’il est prévu par la directive européenne. Il faut le dire, les salariés détachés croient aussi qu’ils y trouvent leur compte surtout s’ils reçoivent également quelques indemnités de déplacement. Ils ne vont pas se plaindre au risque de ne plus pouvoir être détaché et de ne plus recevoir un peu plus d’argent que d’ordinaire au pays.

3)°Le contrôle de la durée du travail et des heures supplémentaires effectuées : Ce contrôle est également très complexe dans un certain nombre de secteur d’activité de par l’absence d’une comptabilité parfaite des heures réellement effectuées par chaque salarié. En l’absence de documents ou d’affichage, l’inspection du travail peut relever un délit d’obstacle pour non présentation de documents mais ça ne rétablit pas le salarié dans ses droits. Les relevés d’heures travaillées sont effectués la plupart du temps manuellement par les chefs d’équipe ou le chef d’entreprise, ce qui nous fait dire qu’ils sont très facilement falsifiables. Les relevés d’heures ou l’affichage des heures ne sont donc que des documents sans grande fiabilité. La pointeuse n’est pas une obligation. L’émargement du salarié n’est pas obligatoire non plus ! Pour un contrôle fiable de la durée du travail, il faudrait une inspection du travail présente à l’heure à laquelle commence le travail et toujours présente à l’heure à laquelle il finit et cela pendant toute la durée de la mission. Dans ce domaine, il est donc très facile de présenter des documents approximatifs ne reflétant pas la réalité des heures passées au travail.. J’ajouterai que les seuls témoignages des salariés ne suffisent pas davantage à établir la preuve que des heures supplémentaires ont été effectuées et combien ont été payées. Comme nous le répétons souvent : tout est beau sur le papier mais les moyens pour contrôler, verbaliser, rétablir le salarié détaché dans ses droits ne sont pas à la hauteur. Faute de preuves, faute de pouvoir matérialiser les faits, il n’y a pas de poursuites possibles. C’est peut- être un peu moins vrai pour les transports, puisque les camions sont munis de disques infalsifiables semble-t-il ou, dans les entreprises très structurées où des représentants du personnels veillent au grain.

4°) Concernant les dispositions relatives à l’activité substantielle que les entreprises étrangères doivent exercer dans leur pays d’origine pour éviter le prêt de main d’œuvre à but lucratif. Les entreprises qui détachent des salariés ont, en effet, pour obligation d’avoir une activité substantielle dans le pays où elles sont affiliées pour éviter les sociétés « boîtes aux lettres » dit-on dans la directive 96. Mais comment vérifier le respect- de cette obligation ? Dans notre pays, sont sanctionnées les simples entreprises pourvoyeuses de prêt de main d’œuvre à but lucratif. Seules les entreprises de travail temporaire sont autorisées à le faire et elles ont des obligations particulières à respecter (obligation notamment d’une garantie financière, obligations contractuelles particulières : contrat de mise à disposition et de mission). Mais que veut dire pour certains pays de l’UE la notion de prêt de main d’œuvre à but lucratif ? Chaque pays a sa propre réglementation du travail. Je me suis fréquemment heurtée à cette disposition prévue dans la directive européenne. Les autorités étrangères interrogées sur le sujet ne comprennent pas toujours ce qu’on leur demande parce que leur législation intérieure est plus souple que la nôtre voire inexistante sur le sujet. Il s’agit là d’un domaine très complexe sur lequel il faudrait consacrer bien des chapitres. Ces entreprises « boîtes aux lettres » se multiplient, il y a même des patrons français qui domicilient leur entreprises en Pologne, en Roumanie, en Bulgarie là où la main d’œuvre est moins chère pour ne faire que du détachement. Je suis sûre que certains états sont plutôt satisfaits de voir s’installer « des entrepreneurs » et de ce fait rechignent à donner les informations sur l’activité réelle de leurs entreprises de peur de voir les dirigeants sanctionnés par la France .

Le BUREAU DE LIAISON PREVU A L’ARTICLE 4 de la DIRECTIVE 96

Ce bureau de liaison doit permettre l’échange d’informations et de renseignements nécessaires aux investigations et aux enquêtes administratives effectuées par les services de contrôle. Connaissant bien son fonctionnement, je doute de son l’efficacité. Je ne dirai pas qu’il n’y a pas de bonnes relations entre les autorités du travail de chaque pays : la directive et ses obligations sont connues, des rencontres ont lieu entre fonctionnaires des ministères du travail français et étrangers, des demandes standard ont été rédigées pour faciliter les échanges. J’ai moi-même transmis aux pays concernés de nombreuses demandes d’agents de contrôle lorsque leurs investigations sur le terrain s’avéraient impossibles mais il faut savoir que ces échanges d’information demandent parfois 6 à 12 mois de délais. Les réponses obtenues sont très souvent inexploitables, soit parce que la demande a été mal traduite, mal comprise ou qu’il n’y a pas d’engouement particulier d’adresser une réponse précise de la part des autorités étrangères. En effet, je subodore que les états ne tiennent pas à fournir des informations qui risquent de mettre en difficulté le patron d’une entreprise du pays. J’ajoute pour couronner le tout que le pays interrogé n’a aucune obligation de répondre aux demandes d’information relayées par le bureau de liaison. Alors dans bien des cas, comment aider un collègue à boucler une procédure, comment lui apporter les preuves qui lui manquent ???? C’est très décourageant pour le corps de contrôle et néfaste pour la défense des salariés.

EN CONCLUSION

Je me répète mais je pense sincèrement qu’il faut être de plus en plus nombreux à réclamer la suppression de cette usine à gaz qu’est la directive sur le détachement des travailleurs parce qu’elle est incontrôlable, qu’elle est une opportunité extraordinaire de niveler le code du travail par le bas et faire baisser le coût du travail. Elle est une formidable machine pour opposer les salariés les uns contre les autres, pour mettre à mal nos institutions notamment l’inspection du travail. Les réformes engagées depuis plusieurs années ont conduit à supprimer de nombreuses sections d’inspection, l’hécatombe continue. Les inspecteurs du travail ont perdu certaines de leurs prérogatives et sont cantonnés de plus en plus dans leurs bureaux et non plus sur le terrain. La réforme de l’inspection du travail va de pair avec la destruction de pans entiers du code du travail, avec sa simplification chère à El Khomry et Macron dont tous les salariés quelle que soit leur nationalité, qu’ils vivent sur notre sol ou en dehors de nos frontières, vont faire les frais.

Je n’ai abordé qu’une partie des contrôles de l’inspection du travail. Je vous remercie de m’avoir écouté. Je laisse une petite bombe à retardement, un sujet  que je n’ai pas abordé : celui de la santé au travail. En effet, les conditions d’hébergement des salariés détachés sont souvent déplorables, la médecine du travail inexistante (elle a fait l’objet dans notre pays d’une réforme plutôt négative ces dernières années). Je me demande toujours comment un salarié détaché fera valoir ses droits à une reconnaissance de maladie professionnelle lorsqu’il aura passé une bonne partie de sa vie en détachement ? .

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