Colombie : Uribe et l’extrême-droite ennemis de la paix

mis à jour le : 22 Août, 2019

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Après 52 ans de conflit entre la guérilla communiste des FARC (« Forces Armées Révolutionnaires de Colombie » auxquelles est ajouté l’acronyme « Armée du Peuple » en 1982) et le gouvernement oligarchique de Bogota nul n’a pu défaire l’autre. Après être parvenue aux portes de la capitale colombienne à la fin des années 90, la guérilla a connu depuis certains échecs militaires avec la mort de plusieurs de ses dirigeants et une certaine érosion de ses effectifs. Mais son combat pour une redistribution des terres aux petits paysans spoliés par les grands propriétaires terriens et les multinationales n’a rien perdu de son actualité. Ainsi, son combat lui a conféré une certaine légitimité auprès des paysans de nombreuses régions de Colombie qui, en retour, continuent d’alimenter les rangs de la guérilla. Dans ce contexte il serait difficile de parler de la victoire d’un camp ou d’un autre.

En 2012, un énième plan de négociations de paix entre les FARC et le gouvernement prend place à Cuba. Six axes programmatiques sont discutés entre les deux parties : la réforme rurale, la participation politique, les cultures illicites et le narcotrafic, la justice et la réparation aux victimes, le désarmement, la mise en place et le suivi des accords. Alors qu’un accord final est conclu entre les deux partis en août 2016, la guérilla marxiste est loin d’avoir fait de la surenchère. En effet le cadre économique très libéral de l’état colombien n’a pas été touché de même que le système politique institutionnel. Les FARC obtiennent cependant la possibilité de se transformer en un parti politique légal, une réforme agraire devant permettre l’accès à la terre pour des millions de paysans spoliés, ainsi qu’une justice de transition permettant aux ex-guérilleros de bénéficier de commutations de peine sous certaines conditions.

C’est sur ce dernier point qu’Álvaro Uribe, président du pays entre 2002 et 2010, et les franges les plus réactionnaires de la société colombienne ont axé leur campagne contre le processus de paix dénonçant « une amnistie pour les terroristes ». Cette justice de transition, propre à de nombreux processus de paix, ne les avait pas tant inquiétés lorsqu’entre 2003 et 2006 les paramilitaires d’extrême-droite des AUC (Autodéfenses unies de Colombie) avaient bénéficié d’un procédé similaire durant leur démobilisation. Dans leur campagne de haine les partisans d’Uribe ont bénéficié du renforcement d’autres secteurs comme l’église évangélique qui s’est impliquée de manière fallacieuse dans les débats arguant que les accords de paix favoriseraient la théorie du genre en Colombie. Mais plus que tout, c’est la peur d’une possible rétrocession des terres par l’oligarchie, très liée à Álvaro Uribe, qui a mobilisé nombre de factions politiques contre les accords de paix.

Alors que ces derniers soumis à référendum ont été rejeté à 50,2%, avec une abstention culminant à 62,6%, gouvernement et représentants des FARC viennent d’aboutir à un accord remanié. Ce nouveau texte semble un peu plus fragiliser les positions de la guérilla et le principal négociateur du gouvernement, Humberto de la Calle, ne s’y est pas trompé qualifiant l’accord de « meilleur que le précédent ». Et pour cause deux modifications importantes sont apportées au texte initial. D’une part les portées de la réforme agraire donnent des garanties aux grands propriétaires pour le maintien de leurs vastes domaines. D’autre part les accords de paix ne se retrouveront finalement pas inclus dans le bloc de constitutionnalité. Ce dernier point devait offrir une protection légale à la guérilla démobilisée face aux incertitudes des futures élections. Cette modification en dit long sur les intentions d’Uribe et de certaines franges de l’oligarchie qui domine le pays : les accords pourraient, à l’avenir, être tout simplement effacés menaçant les guérilleros démobilisés.

Ces inquiétudes sont renforcées par la nouvelle recrudescence des paramilitaires, véritable cancer de la société colombienne. Ceux qui sont accusés par les Nations Unies et les principales ONG présentes en Colombie d’être responsables de l’immense majorité des massacres commis durant la guerre civile, ont en effet vu leurs effectifs croître de nouveau ces dernières années malgré la démobilisation des AUC. Ces groupes criminels, très largement impliqués dans le trafic de drogue, agissent comme le bras armé d’une oligarchie terrienne qui craint de voir une partie de ses immenses domaines cédée aux paysans. Les accords de paix n’abordent pourtant pas de modalités permettant de stopper les activités de ces groupes.

Autant de signaux négatifs pour la paix qui ne manqueront pas de faire réfléchir l’ELN (Ejército de Liberación Nacional, Armée de Libération Nationale), deuxième guérilla marxiste du pays, qui s’est engagée au début du mois dans de nouveaux pourparlers de paix avec le gouvernement.

Olivier Le Roy

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