DIALOGUE COMMUNISTE Nous avons reçu d'un camarade ce texte flamboyant d'un écrivain et journaliste, ANDRÉ VLTCHEK, écrit en anglais et traduit par ALEX MOUMBARIS. Nous en publions les passages essentiels ci dessous et les réflexions qu'ils inspirent à FRANCIS ARZALIER. Mais que veut dire : «Je suis un communiste» ? Je laisserai les discussions théoriques à ceux qui ont beaucoup de temps devant eux. Je n’ai jamais relu la totalité du Capital. C’est trop long. Je l’avais lu quand j’avais seize ans. Je pense qu’en faire la lecture une fois suffit… Ce n’est pas le seul pilier du communisme et ce n’est pas une écriture sainte, qui devrait être constamment citée. Plus que par le Capital, j’ai été influencé par ce que j’ai vu en Afrique, au Moyen-Orient, en Asie et en Amérique latine. J’ai vu le monde entier, quelques cent soixante pays ; j’ai vécu sur tous les continents. Partout où je suis allé, j’ai vu les horreurs du pillage continuel de la planète par l’Occident. J’ai vu l’Empire forcer des pays à faire des guerres civiles bestiales ; des guerres déclenchées pour que les multinationales puissent piller confortablement. J’ai vu des millions de réfugiés de pays jadis fiers et riches ou potentiellement riches – dévastés par l’Occident : des réfugiés congolais, des réfugiés somaliens, des réfugiés libyens et syriens, des réfugiés en provenance d’Afghanistan… J’ai vu des conditions inhumaines dans des usines qui ressemblaient à des purgatoires ; j’ai vu de monstrueux ateliers clandestins, des mines et des champs à proximité de villages administrés féodalement. J’ai vu des hameaux et des communes où la population tout entière avait disparu – morte de faim, de maladie ou des deux. J’ai également passé des jours et des jours, à écouter des témoignages choquants de victimes de torture. J’ai parlé à des mères qui avaient perdu leurs enfants, à des femmes qui avaient perdu leurs maris, à des maris dont les femmes et les filles avaient été violées devant leurs yeux. Et plus je le voyais, plus j’étais témoin, plus les histoires que j’écoutais étaient choquantes ; plus je me suis senti obligé de prendre parti, de me battre pour ce que je crois être un monde meilleur. J’ai écrit deux livres compilant des centaines d’histoires de terreur commises par l’Occident : Exposing Lies Of The Empire (Démasquer les mensonges de l’Empire) et Fighting Against Western Imperialism (Combattre l’impérialisme occidental). La façon dont l’Empire dépeignait péjorativement des gens encore fidèles à leurs idéaux ne me dérangeait pas ; ils étaient prêts à sacrifier tout, ou presque tout, pour la lutte contre l’injustice. Je n’ai pas peur d’être ridiculisé, mais je suis terrifié à l’idée de gâcher ma vie en mettant l’égoïsme sur un piédestal, l’élevant au-dessus des valeurs humanistes les plus essentielles. Je crois qu’un écrivain ne peut être «neutre» ou apolitique. S’il l’est, alors c’est un lâche, sinon un menteur. Naturellement, certains des plus grands écrivains modernes ont été ou sont communistes : José Saramago, Eduardo Galeano, Pablo Neruda, Mo Yan, Gabriel García Márquez, pour ne citer que quelques-uns. Ce n’est pas une mauvaise compagnie, pas mauvaise du tout ! Je trouve que vivre et lutter pour les autres est beaucoup plus gratifiant que de vivre pour satisfaire ses propres intérêts et plaisirs égoïstes. Cuba a du cœur et des tripes. Elle sait comment se battre, comment embrasser, comment chanter et danser et comment ne pas trahir ses idéaux. Cuba est-elle idéale ? Est-elle parfaite ? Non, bien sûr qu’elle ne l’est pas. Mais je n’exige pas la perfection des pays ou des personnes, ni même des révolutions. Ma propre vie est très loin d’être «parfaite». Nous faisons tous des erreurs et prenons de mauvaises décisions, que ce soit les pays, les personnes, et même les révolutions. La perfection en fait m’horrifie. Elle est froide, stérile et bien-pensante. Elle est ascétique, puritaine, et donc inhumaine, voire perverse. Je ne crois pas aux saints. Je me sens gêné quand quelqu’un fait semblant d’en être un. Ces petites erreurs et «imperfections» rendent les gens et les pays si chauds, si aimables, si humains. Le cours général de la révolution cubaine n’a jamais été «parfait», mais il a toujours été basé sur les racines les plus profondes, les plus essentielles de l’humanisme. Et même lorsque Cuba, pendant un petit laps de temps, est restée seule, ou presque seule (comme je l’écrivais et comme Fidel peu après l’avait confirmé dans ses Réflexions, c’est la Chine finalement, qui a tendu à Cuba sa main fraternelle et puissante) – elle a saigné, elle a souffert et frissonné de douleur, à cause des innombrables trahisons, mais elle n’a pas dévié de son chemin, elle ne s’est pas mise à genoux, elle n’a pas mendié et elle n’a jamais capitulé ! Voilà comment je pense que les gens et les pays devraient vivre. Ils ne doivent pas échanger les idéaux pour des bibelots, l’amour pour la sécurité et les avantages, la décence pour les récompenses cyniques et ensanglantées. Patria no se vende, disent-ils à Cuba. Traduit vaguement : «La patrie n’est pas à vendre.» Je crois aussi que l’Humanité ne devrait jamais être vendue, ni l’Amour. Tout rapporte des profits aux grandes multinationales, garantit l’obéissance et renforce le régime. Mais à bien des égards, l’humanité devient de plus en plus pauvre, alors que la planète est presque entièrement ruinée. La beauté est remplacée par des images horribles, sanguinolentes. On crache sur la connaissance, remplacée par la musique pop primitive, ou confondue avec des diplômes aux airs officiels et des cachets d’agrément délivrés par des centres d’endoctrinement appelés universités: «Diplômé : prêt à servir l’Empire !» Pour moi, être un vrai communiste signifie ceci : être engagé, dans la lutte constante contre le viol incessant des cerveaux, des corps et pour la dignité humaine, contre le pillage des ressources et de la nature, contre l’égoïsme et la vacuité intellectuelle et émotionnelle. Je ne me soucie pas du drapeau sous lequel cela se fait – rouge avec la faucille et le marteau, ou rouge avec plusieurs étoiles jaunes. Je suis très bien avec tous les deux, aussi longtemps que les personnes qui tiennent ces bannières seront honnêtes et préoccupées par le sort de l’Humanité et de notre planète. Et tant que les gens qui se disent communistes sont encore capables de rêver ! La révolution, une révolution communiste, est un voyage ; un processus. C’est une énorme et héroïque tentative de construire un monde meilleur en utilisant les cerveaux, les muscles, le cœur, la poésie et le courage humains ! C’est un processus perpétuel, où les gens donnent plus qu’ils ne prennent, et quand il n’y a pas de sacrifice, ils accomplissement seulement leur devoir envers l’humanité. «Che» Guevara avait dit : «Les sacrifices faits ne doivent pas être affichés comme une sorte de carte d’identité, ce ne sont rien de moins que des obligations remplies.» Peut-être qu’à l’Ouest il est trop tard pour que ces concepts prospèrent. L’égoïsme, le cynisme, la cupidité et l’indifférence ont été injectés avec succès dans le subconscient de la majorité des gens. Peut-être est-ce la raison pour laquelle, en dépit de tous ces privilèges matériels et sociaux, les habitants de l’Europe et de l’Amérique du Nord (mais aussi du Japon) semblent être si déprimés et sombres. Ils ne vivent que pour eux-mêmes, au détriment des autres. Ils veulent de plus en plus de biens matériels et de plus en plus de privilèges. Ils ont perdu la capacité de définir leur propre condition, mais probablement, profondément à l’intérieur, ils perçoivent le vide, ils sentent intuitivement que quelque chose sonne terriblement faux. Et voilà pourquoi ils détestent le communisme. Voilà pourquoi ils tiennent à des mensonges outrecuidants, à des tromperies et des dogmes qui leur sont livrés par la propagande du régime. Si les communistes avaient raison, ce seraient eux qui auraient tort. Et ils soupçonnent qu’ils pourraient se tromper. Le communisme est leur mauvaise conscience, et ils ont peur que la bulle des mensonges puisse un jour être exposée. La plupart des gens en Occident, même ceux qui se prétendent de gauche, veulent que le communisme disparaisse. Ils veulent l’avilir, le couvrir de saleté ; l’amener «à leur niveau». Ils veulent le museler. Ils tentent désespérément de se convaincre que le communisme a tort. Sinon, la responsabilité pour ces centaines de millions de vies perdues, les hanterait sans cesse. Sinon, ils auraient à écouter et peut-être même accepter que les privilèges des Européens et des Nord-Américains sont construits sur d’horribles crimes contre l’Humanité ! Sinon, ils seraient obligés, pour des raisons morales, de démanteler ces privilèges – quelque chose de totalement impensable, compte tenu de l’état d’esprit de la culture occidentale. La récente position de la majorité des Européens envers les réfugiés en provenance de pays déstabilisés par l’Occident, montre clairement la déchéance de la morale occidentale. L’année 2016 n’est pas 1996, quand il semblait ne rester aucun espoir. La guerre est en cours, c’est une guerre pour la survie de l’Humanité. Ce n’est pas une guerre classique avec des balles et des missiles. C’est une guerre des nerfs et des idéaux, des rêves et de l’information. Avant de mourir, le grand écrivain et révolutionnaire uruguayen, Eduardo Galeano, m’a dit : «Bientôt viendra le temps où le monde brandira de nouveau les vieilles bannières !» André Vltchek La réaction de Francis Arzalier Camarade, Le texte de Vltchek que je te remercie de m'avoir fait connaître est effectivement très bien écrit. Et je me reconnais dans sa définition de l'idéal communiste, ouverte et pluraliste, sans les références trop fréquentes a une société parfaite, qui n'existe pas plus à Cuba qu'autrefois à Moscou, sans allégeance religieuse à des textes sacrés de Marx ou d'un autre père fondateur. Je partage aussi son attachement viscéral à la Révolution Cubaine. Mais le dialogue nécessaire entre militants communistes des différents pays du monde doit se faire dans la plus totale franchise, pour être utile à chacun de nous. Je ne partage pas sa vision du monde, qui fait des crimes du capitalisme et de l'impérialisme un péché collectif des peuples occidentaux, blancs et chrétiens. Certes, les bénéfices du pillage colonial et post-colonial a permis aux bourgeoisies françaises et autres de corrompre une bonne partie des classes ouvrières occidentales, de les imprégner durablement des idéologies xénophobes et racistes d'inspiration coloniale, de l'égoïsme et du consumérisme qui découlent du capitalisme. Mais les ouvriers révolutionnaires de 1871 ou de 1936 ne sont pas coupables du pillage des colonies françaises d'Afrique, et les grévistes français de 2016 n' ont pas à répondre des crimes de l'impérialisme occidental. Il est vrai, comme le dit Vltchek, que les idéologies qu'on dit souvent ultra-libérales ont largement envahi l'Occident: c'est le résultat, de 1990 à nos jours, d'une véritable contre-revolution culturelle qui a détruit en Europe et Amérique du Nord les partis Communistes et progressistes. ( il ne suffit pas de se dire communiste pour l'être, pas plus en France qu'en Asie ou ailleurs...) Mais cette crise idéologique a balayé aussi les peuples du Sud. En Afrique, les mouvements et partis progressistes étaient très influents en 1970/80. Ils ont aujourd'hui à peu près disparu, comme au Mali, ou se sont transformés comme en Angola ou en Algérie en organismes clientelistes, sans aucune visée transformatrice. Même constat dans l'aire arabo-musulmane du Moyen Orient, où les mouvements d'inspiration socialiste de 1960 ont souvent fait place aux intégrismes salafistes, une véritable déferlante contre révolutionnaire. L'idéal communiste implique la croyance que toute Nation, tout peuple, toute communauté, se divisent en classes sociales antagonistes, en privilégiés tirant profit de l'exploitation dans le pays et au dela des frontières, et prolétaires qui la subissent. De ce fait, cela exclut toutes les formes occidentales de racisme et xénophobie d'origine coloniale, qui attribuent les pires turpitudes,collectivement, aux Noirs, aux Arabes, ou aux Musulmans. Mais cela exclut aussi les naïvetés démagogiques " noiristes " ou " anti-occidentales ", qui font des mêmes Noirs, Arabes ou Musulmans, collectivement, des victimes spontanément révolutionnaires. Comme si le colonialisme, et l'impérialisme n'avaient pas trouvé parmi eux des complices de leurs crimes. Dans les pays occidentaux comme la France, les fils d'immigrés qui subissent dans leurs ghettos-banlieues exploitation, discrimination et chômage, ne deviennent pas spontanément révolutionnaires. Notre histoire récente prouve que certains parmi eux, nourris par les médias d'idéologies fascisantes, en rupture avec leur milieu familial et leur nation, peuvent devenir des criminels fanatiques, et , de ce fait, les meilleurs alliés du capitalisme et de l'impérialisme, qu'ils en aient ou non conscience. Nos peuples sont aujourd'hui aux prises avec une vague très dangereuse de xénophobie multiforme: Notre combat de communistes doit inclure une lute résolue contre toutes les formes qu'elle peut emprunter. C'est une obligation internationaliste: Le Manifeste Communiste proclamait déjà en 1848:" prolétaires de tous les pays, Unissez vous "! Fraternellement Francis Arzalier Note André Vltchek est romancier, cinéaste et journaliste d’investigation. Il a couvert des guerres et des conflits dans des dizaines de pays. Son dernier livre est Exposing Lies of the Empire (Démasquer les mensonges de l’Empire). Il a également écrit, avec Noam Chomsky, On Western Terrorism from Hiroshima to Drone Warfare (Sur le terrorisme occidental de Hiroshima à la guerre des drones). André Vltchek fait des films pour teleSURet Press TV. Après avoir vécu pendant de nombreuses années en Amérique latine et en Océanie, Vltchek actuellement réside et travaille en Asie de l’Est et au Moyen-Orient. |