Hiroshima...Nagasaki...Un double crime US contre l'humanité

envoyer un lien sur cet article a un ami

mis à jour le : 22 Août, 2019

Le 6 août 1945, Little Boy est largué sur Hiroshima. La ville entière est ravagée, on estime à 234 000 environ le nombre de tués. Trois jours plus tard, le feu nucléaire américain se déchaîne de nouveau, à Nagasaki : 74 000 morts de plus.

Le 15 août, le Japon capitule. Sous l'effet conjugué des deux attaques, entend on dire couramment.

Pour l'historien Peter Kuznick, professeur d'histoire et directeur de l'Institut d'études nucléaires à l'Université américaine de Washington, le président Truman sait parfaitement alors que l'entrée en guerre de l'URSS sera décisive. Les "Japs" sont "finis", dit-il à l'époque. Les services secrets américains ont intercepté des messages japonais prouvant que le Japon lui-même se jugeait perdu si les Soviétiques intervenaient. "Truman se réfère notamment à un télégramme intercepté le 18 juillet comme au télégramme de l'empereur jap demandant la paix", souligne l'historien.

Pourquoi, alors, avoir utilisé la bombe ? Dans une logique de pré-guerre froide, affirme Peter Kuznick. "Truman espérait que cela accélérerait la reddition japonaise. Il voulait finir la guerre si possible avant que les Russes ne s'y engagent et n'obtiennent ce que les états-Unis leur avaient promis à Yalta."

Avec le réalisateur Oliver Stone, Peter Kuznick a écrit en 2013 Les Crimes cachés des présidents (publié en français aux éditions Saint-Simon). Le 11 octobre de la même année, ils publiaient une tribune dans le Huffington Post , titrée "Les états-Unis et le Japon : partenaires de falsification historique". Le pouvoir américain, affirment-ils, n'a eu de cesse d'imposer l'idée d'une "bonne guerre", ayant permis d'épargner des milliers de vie américaines et gagnée davantage par les états-Unis que par l'URSS. La version racontée aux jeunes Japonais est tout aussi "fallacieuse et malhonnête", ajoutent-ils. Si l'on connaît le massacre de Nankin et l'esclavage sexuel imposé aux Coréennes – les "femmes de réconfort" –, on continue en effet d'ignorer largement la brutalité des conquêtes nippones, "la mort de plus d'un million de Vietnamiens, les atrocités commises en Indonésie, en Malaisie, aux Philippines, à Taiwan, en Birmanie". "La reddition elle-même a été maquillée en une volonté compatissante de l'empereur de se sacrifier afin d'épargner son peuple."

après la capitulation, avancent Peter Kuznick et Oliver Stone, les deux pays avaient intérêt à défendre la même interprétation d'Hiroshima : les états-Unis pouvaient justifier l'emploi de la bombe en en faisant un tournant dans la guerre, le Japon risquait, en réclamant justice, de voir ses propres crimes de guerre traînés devant les tribunaux. 70 ans plus tard, le "partenariat" continue d'exister. Mais les langues se délient.

Ward Wilson est de ceux-là. Directeur du projet "Repenser les armes nucléaires" pour le think tank British American Security Information Council (BASIC), il combat l'idée, pour partie appuyée sur le précédent Hiroshima, d'une efficacité sans égale de la dissuasion nucléaire. Dès 1965, rappelle-t-il dans un article publié par la revueForeign Policy et traduit par Slate, l'historien américain Gal Alperowitz nuançait l'impact stratégique de la bombe, et assurait que les "dirigeants japonais avaient l'intention de capituler et l'auraient probablement fait avant la date de l'invasion prévue par les états-Unis, le 1er novembre 1945".

Aussi abominables qu'aient été ses conséquences, l'emploi de l'arme atomique à Hiroshima n'a pas eu l'effet de choc qu'on lui prête, affirme Ward Wilson. L'armée de l'air des états-Unis est alors "en train d'effectuer une des plus intenses campagnes de destruction de centres urbains de l'histoire mondiale. 68 villes japonaises sont bombardées, et toutes sont partiellement ou intégralement détruites." L'offensive fera au total plus d'un million de morts et de blessés – un tribut humain auquel le gouvernement japonais se disait prêt depuis plusieurs mois. Le général Anami Korechika, ministre de la Guerre, affirme même le 13 août que les bombes atomiques ne sont pas "pires" que les bombes incendiaires qui ravagent le pays depuis des semaines.

La réaction du Conseil suprême qui dirige alors le pays semble accréditer cette thèse. Ses six membres n'évoquent une reddition que le 9 août, quelques heures avant le bombardement de Nagasaki. Au lendemain d'Hiroshima, avance l'historien américain Tsuyoshi Hasegawa, l'heure était encore à la recherche d'une issue plus favorable aux Japonais que celle préparée le 27 juillet par l'ultimatum de Postdam, qui menaçait le pays d'une "destruction rapide et totale" s'il ne capitulait pas sans conditions. Depuis le mois de mai, les Japonais cherchent à convaincre Staline, avec qui ils ont conclu en 1941 un pacte de non-agression, d'obtenir pour eux des garanties – notamment sur le sort de l'empereur Hiro-Hito. C'est encore le cas, semble-t-il, lorsque le 7 août le ministre des Affaires étrangères, Togo Shigenori, envoie un télégramme urgent à l'ambassadeur en URSS, Naotake Sato. "La situation devient de plus en plus urgente, écrit-il. Nous devons tout de suite connaître la position des Soviétiques. Faites de votre mieux pour obtenir leur réponse immédiatement."

En fait de réponse, Sato se verra signifier le lendemain, 8 août, que l'URSS déclare à son tour la guerre au Japon. Le 9 au matin, l'Armée rouge envahit la Mandchourie, alors placée sous protectorat japonais. C'est cet événement, bien davantage que le cauchemar d'Hiroshima, qui décide Tokyo à capituler, affirment Tsuyoshi Hasegawa et Ward Wilson.

Accueil  Sommaire