GUERRE FROIDE AU SUD
Muriel Knezek
La gangrène des méthodes agressives et subversives
étasuniennes en Amérique latine déclenche une poussée
de réactions multilatérales des pays du continent brocardé.
De concert, les Etats du Sud refusent désormais très clairement
l’escalade de l’ingérence américaine sur leurs territoires
et s’organisent contre sa domination. Une guerre de position et d’intimidation
mutuelle s’installe et présage un renversement du postulat actuel.
La tension monte le long des côtes Caraïbes.
après le stationnement temporaire au Venezuela, début
septembre, de deux bombardiers TU-160 des forces aériennes russes, dans
le but d’effectuer pendant quelques jours des vols d'entraînement
au-dessus des eaux neutres, à la mi-novembre, la flotte russe s’avancera
sur les frontières maritimes du Venezuela. A la demande du président
Hugo Chavez, ces manœuvres stratégiques viennent répondre
à la menace grandissante des Etats-Unis dans cette région.
En réaction aux débordements des pressions et
agressions organisées par le gouvernement américain depuis bientôt
10 ans sur le continent latino-américain, Chavez – aujourd’hui
directement visé – manifeste sa combativité et son pouvoir
face aux Etats-Unis. Ce déploiement militaire, conjoint et officiel,
entre le Venezuela et la Russie enclenche une nouvelle guerre froide du XXIe
siècle qui se situe dorénavant entre l’Amérique du
Nord et celle du Sud – puissance à part entière.
La cause réelle et sérieuse de cette démonstration
de force vient comme une réplique à la vieille histoire de l’application
de la doctrine Monroe, née en 1854. A cette époque, l'idée
majeure consignait le principe d'une « Amérique américaine
» qui perdure encore et toujours. après avoir abandonné
la peur d’une colonisation espagnole voire européenne du continent
latino-américain au cours du XIXe siècle, les Etats Unis ont depuis
appuyé leur théorie d’une Amérique latine leur revenant.
Sous prétexte de bienveillance américaine, une véritable
hégémonie sur l’hémisphère s’est ainsi
établie, mettant en place dictatures et tutelles. Une façon d’asseoir
clairement les droits des Etats-Unis sur ces territoires et d’intervenir
dans les événements latino-américains en protégeant
activement leurs intérêts continentaux.
La goutte d’eau
Cependant, il est temps pour Hugo Chavez de dire que «
trop c’est trop ». L’Amérique du Sud ne sera plus l’arrière-cour
des Etats-Unis et sa « balkanisation » n’aura pas lieu. Quant
au principe « pitiyankee » de guerre préventive, l’Amérique
latine le considère comme inacceptable.
Cette réactivité vénézuélienne,
ni gratuite ni paranoïaque, traduit plutôt un réflexe politique
tactique vis-à-vis du danger d’ingérence nord-américaine
flagrante et vérifiée.
après les expériences désastreuses et
meurtrières qui ont marqué l’histoire du continent au cours
de ce XXe siècle – Colombie (1948-57, guerre civile et guérilla
des Farc depuis 1960), Cuba (1961-62, crise des missiles et embargo), Equateur
(1963-72, dictatures militaires), Bolivie (1964-82, dictatures militaires),
Honduras (1972-83, gouvernements militaires), Argentine (1973-81, junte militaire),
Chili (1973-88, dictature Pinochet), Nicaragua (1980-90, guerre anti-sandiniste),
Salvador (1980-92, junte militaire), Grenade (1983, invasion américaine)…
– le principe continue de se répéter.
Cette domination, qui s’exprime aujourd’hui non
plus sous la forme de dictature directe mais sous couvert de coups d’état,
d’embargos, d’espionnage, de sabotages, de subversion ou de sanctions,
entretient un conflit à vif en permanence et met en danger la mouvance
de gauche qui s’installe partout dans la zone Sud, et dont Chavez se fait
le porte-parole.
Les derniers événements en date confirment la
montée en puissance d’une activité américaine pernicieuse.
Complices de cette déstabilisation, les groupes paramilitaires infiltrés,
l’Usaid – l’agence américaine chargée du développement
économique et de l’assistance humanitaire dans le monde –,
le NED – l’association américaine dont l'objectif officiel
est l'éducation et la formation vers la démocratie à travers
le monde – font le travail. Sous couvert de non violence, mais finalement
comme technique d’action politique qui peut être employée
à n’importe quelle fin, l’Usaid – créée
en 1961 par J.-F. Kennedy – et la Ned – créée en 1984
par Reagan – sont des paravents de la CIA qui les finance. Ainsi, sans
soulever d’indignation internationale grâce à une vitrine
idéologique, c’est à coup de millions de dollars que ces
deux organisations commandites des formations politiques subversives, des paniques
et des terreurs, des médiamensonges, des corruptions et infiltrations
à l’intérieur des pays récalcitrants. Le Venezuela,
la Bolivie, l’Equateur et le Mexique sont de ceux qui subissent actuellement
et de plein fouet ces fourbes manipulations
L’Otan, qui s’intéresse à ce mécanisme
bien huilé, voit en lui la façon d’organiser la résistance
à tout mouvement s’opposant à son dictat. L’Albert
Einstein Institution, qui préconise depuis les années 50 cette
doctrine de résistance individuelle non-violente, s’est faite par
exemple la bonne école de l’Otpor – organisation insurrectionnelle
opposante au gouvernement serbe entre 1995-2000, qui finira par se transformer
en mouvement d'extrême droite visant à la déstabilisation.
La période des expériences des révolutions de couleurs
à l’Est prend ainsi de l’expansion à travers ces méthodes,
et s’exporte aujourd’hui sournoisement sur le continent latino-américain.
Crise
De par ces multiples façons, l’infiltration se
veut insidieuse, dangereuse et encore efficace. Le 1er mars dernier, l’armée
colombienne s’est permise d’éliminer Raul Reyes, n°2
des Farc, à l’intérieur du territoire équatorien.
Cette agression sans foi ni loi a bien failli déclencher un conflit ouvert
entre les deux pays, mais l’Equateur s’en est arrêté
à rompre ses relations diplomatiques avec Bogota. Au mois de juillet,
les Etats-Unis ont décidé de réactiver leur 4e flotte –
mise en veille depuis 1958 – dans la mer des Caraïbes et de l'Atlantique
sud avec l'intention de combattre le terrorisme, les activités illégales
et d'envoyer un « message » au Venezuela et au reste de la région.
Le 10 septembre, Evo Morales – président de la Bolivie –
a sommé l’ambassadeur américain à La Paz de quitter
le pays dans les 72 heures, accusé d’attiser les revendications
autonomistes des cinq provinces les plus riches du pays et de conspirer contre
la démocratie en tentant d’organiser l'éclatement de la
Bolivie. Pour manifester son soutien à Evo Morales, le 11 septembre,
Chavez a mis également un terme aux relations diplomatiques avec les
Etats-Unis en annonçant l’expulsion de l’ambassadeur américain
au Venezuela. « Allez au diable, Yankees de merde » s’autorisera
Chavez, exaspéré par le culot permanant du gouvernement américain.
Le ton de la crise et la réplique sont bel et bien donnés.
Au même moment, le 10 septembre à Caracas, 7 militaires
vénézuéliens, soutenus par des filières extérieures,
sont arrêtés pour complot putschiste contre Chavez, avec pour programme
tentative de renversement et d’assassinat.
Les Etats-Unis, présentement affaiblis et discrédités,
et déjà embourbés sur d’autres fronts au Moyen-Orient,
se mettent dans une situation provocante risquée de ce côté
du monde. Leur stratégie expansionniste de plus en plus hasardeuse s’expose
à un retour de bâton inconfortable. « Détruire pour
reconstruire » dans cette région ne semble plus faire partie des
techniques incontestables que les Etats-Unis ont l’habitude de certifier
et de mettre en œuvre. La résistance est implantée et la
politique d’intégration du Sur – Sud – florissante
(MercoSur, BancoSur, TeleSur, Alba…). L’intention latino-américaine
est dirigée vers le développement économique et social
et l’indépendance, non vers la guerre. Les Etats-Unis ne le souhaitent
pas ainsi, mais pourtant il serait temps qu' ils se fassent une raison.
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