Salvador Les communautés d’ex-combattants : le noyau
dur du vote FMLN
par Jacob Wheeler 14 mars 2009
L’un des blocs de votants qui ne souhaite pas voir le
Front Farabundo Marti de libération nationale (FMLN) salvadorien devenir
plus « pragmatique » sur le plan politique est celui de la communauté
des ex-combattants qui a vécu en exil une bonne partie de la guerre.
Ce groupe – la base du parti - est connu comme le «
voto duro » (le noyau dur) et a reçu des terres récupérées
par le gouvernement après les accords de paix de 1992. Pour ses membres,
une victoire du FMLN permettrait de soigner les blessures infligées par
la répression du gouvernement, les villages incendiés et les assassinats
de parents. Cela représenterait aussi une voie vers le socialisme.
La communauté de Ciudad Romero – dans la région
de Bajo Lempa, province d’Usulután, où le fleuve Lempa se
déverse dans l’océan Pacifique- est née sur les cendres
de la guerre. Elle avait été dénommée ainsi en hommage
à l’archevêque martyr Oscar Romero, assassiné par
les militaires le 24 mars 1980, pour avoir condamné la répression
de la paysannerie par le gouvernement.
« Romero dénonçait tout ce que nous voulions
dénoncer sans y parvenir », déclare José Nohé
Reyes Granados, 30 ans, qui écrit actuellement un livre sur l’histoire
de cette communauté. « Il était la voix des sans voix...
Quand ils l’ont tué, nous avons réalisé que parler
était inutile. Ils avaient tué l’archevêque…
qui pourrait parler maintenant ? La seule voie était celle de la résistance
armée. »
Deux mois plus tard, les militaires attaquèrent le village
où Reyes et sa famille vivaient à La Unión – une
province de l’est du Salvador- car beaucoup de gens de la communauté
étaient suspectés d’être actifs au sein du mouvement
guérillero. Quelque 600 villageois prirent la fuite en traversant le
fleuve Lempa en direction du Honduras voisin - profitant de la nuit pour éviter
la répression militaire également pratiquée au Honduras
le long de la frontière.
L’Organisation des Etats américains (OEA) ayant
appris la détresse des réfugiés leur donna abris et nourriture
pendant six mois au Honduras, jusqu' à ce que le gouvernement panaméen
accepte de les héberger – à condition que les Salvadoriens
aident au nettoyage des routes au travers de l’épaisse jungle,
allant de la ville de Panama à l’océan Atlantique.
Mais lorsque le président du Panama, de gauche, Omar
Torrijos fut assassiné un an plus tard, les Salvadoriens se retrouvèrent
isolés politiquement. Ils construisirent un village au fin fond de la
jungle qu' ils nommèrent Ciudad Romero, ou la ville de Romero. Là-bas,
les membres de la communauté construisirent des maisons et une église,
dans laquelle ils peignirent une fresque en hommage à leur archevêque
bien aimé. Ils pouvaient capter le signal radio des rebelles du FMLN,
ce qui leur permit de suivre les événements jusqu' à
leur retour à la maison, puisqu' ils vécurent en exil durant
une décennie.
En novembre 1989, le FMLN lança une offensive réussie
à la fois sur San Salvador et en zone rurale, prouvant au régime
militaire qu' il bénéficiait du soutien populaire pour continuer
sa résistance de manière indéfinie. L’offensive,
doublée du massacre perpétré par les militaires à
l’encontre de six prêtes jésuites à l’Université
d’Amérique centrale, força le gouvernement à négocier
avec le FMLN.
Les réfugiés démontèrent le mur
d’église, pierre par pierre, et retournèrent au Salvador
avec la fresque dans leurs bagages. Le gouvernement accorda des terres à
Bajo Lempa aux près des 220 familles provenant de Ciudad Romero, qui
arrivèrent là-bas en mars 1991 pour ériger de toutes pièces
une autre communauté.
Environ mille personnes vivent aujourd’hui à Ciudad
Romero, laquelle fonctionne sous l’égide de l’association
Mangle, une organisation de développement rural à but non lucratif
qui travaille avec 70 communautés pour favoriser des projets publics,
tels que la construction de maisons ou la protection des proches forêts
de mangrove en voie d’extinction. L’association gère également
Radio Mangle, une station de radio dans les environs de San Nicolas qui diffuse
une programmation musicale, culturelle et d’informations.
D’autres communautés de l’association Mangle
partagent des histoires dramatiques similaires. Les résidents de San
Hilario et Amando Lopez étaient originaires de Morazán et La Union,
des provinces de l’est du Salvador où était basée
la guérilla, du fait de l’éloignement et de l’accès
aux frontières hondurienne et nicaraguayenne. La plupart rejoignirent
les rebelles ou ârticipèrent à la résistance. Comme
Ciudad Romero, beaucoup durent quitter le pays lorsque les militaires arrivèrent
dans leurs villages.
Un résident de San Hilario Arnoldo Ortiz, qui a rejoint
la guérilla à l’âge de 14 ans en 1980, n’aurait
jamais pensé qu' il survivrait à la guerre –et qu' il
verrait l’autre côté. « La transition du conflit armé
vers la paix a été difficile puisque j’ai grandi avec la
guerre », dit-il. « Nous venions d’un processus où
nous ne savions pas grand chose de la vie civile. Nous n’y connaissions
rien en maisons, terres, aspects économiques. »
« Ce que nous avons appris pendant la guerre c’était
de vivre ensemble comme des frères. En tant que combattants, nous avons
tout partagé pour survivre… que ce soit une tortilla, un cookie
ou un cigare. »
Mariela Luciña Hernandez, 45 ans, d’Amando Lopez—une
communauté du nom de l’un des prêtres jésuites assassinés
par les militaires en 1989 - était médecin au sein des rebelles.
Les militaires l’ont capturée et torturée en 1981 et elle
s’est ensuite enfuie au Nicaragua.
Aujourd’hui, Hernandez dirige une association de femmes
de la communauté et travaille avec les vétérans de la guerre.
Elle dit que la chose la plus importante qu' elle et ses compañeros
ont apprise à l’époque a été comment s’organiser
et travailler ensemble.
« Nous travaillons à l’organisation à
un niveau local pour le parti, pour faire avancer la cause à travers
la communauté, par le biais de Radio Mangle », dit-elle. «
Si nous pouvons planter du maïs, et récolter toutes les graines
que nous semons, le FMLN peut les acheter et nourrir les gens. Le pays doit
changer, petit à petit. »
Dans un tournant politique surprenant, les voisins de Ciudad
Romero à Nuevo Amanecer les rejoignent maintenant en arborant les tee-shirts
rouges du FMLN. Les militaires ont octroyé des terres aux anciens soldats,
qui ont appelé leur communauté Nuevo Amanecer (« Nouvelle
aube »), et ceux-ci sont restés fidèles au gouvernement
ARENA, jusqu' à ce que petit à petit, ajoute Reyes, ils réalisent
que l’ARENA ne faisait pas grand chose pour aider leur communauté.
Durant 20 ans, ils se sont battus avec un accès limité à
l’eau et des projets d’agriculture. .
Ennemis durant la guerre, Ciudad Romero et Nuevo Amanecer sont
maintenant des alliés, et elles représentent la base du FMLN.
Source : In These Times, décembre 2008. Réseau
d'Information et de Solidarité avec l'Amérique Latine (RISAL).
http://www.risal.info/spip.php?article2497
sommaire