La victoire
d'Ollanta Humala au Pérou et les difficultés à mener à
bien de réelles transformations sociales dans le cadre de la démocratie
bourgeoise
Ivan Pinheiro,
envoyer à un ami
Les camarades du Parti communiste péruvien et la gauche
péruvienne en général ont eu à prendre une décision
bien facile aux élections de juin dernier. En mettant de côté
ceux qui défendent le vote nul par principe, position que nous devons
respecter, il n'y avait pas de doute à avoir entre Ollanta Humala et
Keiko Fujimori. Les différences, dans ce cas-ci, sont bien plus importantes
que celles que pouvait nous laisser le choix entre Dilma Rousseff et José
Serra. après huit ans de gouvernement PT-iste, les différences
ente les deux pôles majeurs de l' « américanisation »
des élections brésiliennes (PT et PSDB) sont de plus en plus faibles,
comme en Europe, où se succèdent au pouvoir, avec les mêmes
recettes, sociaux-démocrates et conservateurs. La différence réside
dans la façon de gérer le capitalisme.
En Europe, avec l'aggravation de la crise capitaliste, l' «
américanisation » électorale a provoqué presque à
chaque fois l' « alternance au pouvoir ». Comme aucun gouvernement
ne réussit ne serait-ce qu'à atténuer les effets et les
coûts de la crise, qui sont payés par la majorité du peuple,
l'opposition généralement gagne les élections suivantes,
et cette dernière prennent la place pour montrer ses capacités
gérer la crise. Si le gouvernement est conservateur, les sociaux-démocrates
gagnent l'élection suivante ; la réciproque est tout aussi vraie.
Voyons les cas d'élections récentes, avec des victoires de l'opposition
: au Portugal et en Espagne, victoire de la « droite » ; en Italie
et en France, victoire de la « gauche ».
Mais si on revient aux élections péruviennes,
ici les différences étaient criantes, non pas parce qu'Ollanta
était de « gauche », mais parce que Keiko est non seulement
la fille d'Alberto Fujimori, mais incarne aussi le retour de ce que les péruviens
appellent le fujimorisme, c'est-à-dire, une forme de gouvernement basée
sur la corruption la plus éhontée, la répression et le
terrorisme d’État. En réalité, Allan Garcia (le politicien
le plus proche de Fernando Henrique Cardoso en Amérique latine) avait
battu Fujimori sur sa « gauche » il y a huit ans.
L'euphorie qui s'est saisie de la gauche péruvienne
et d'une grande partie de la gauche latino-américaine avec la victoire
d'Ollanta est naturelle. après tout, en plus d'éviter le retour
du fujimorisme, on en finit avec le cycle néo-libéral de Garcia,
qui a gouverné pour la bourgeoisie et l'impérialisme. Le gouvernement
Ollanta est enclin à être plus progressiste et nationaliste que
celui d'Allan Garcia. Mais il est nécessaire aussi de garder les pieds
sur terre, car nous pouvons ne pas être à la veille d'un gouvernement
que l'on puisse appeler « de gauche ».
La première question à prendre en compte est que, en réalité,
c'est bien plus Keiko qui a perdu qu'Ollanta qui a gagné. Si le second
tour n'avait pas été contre la fille de Fujimori, probablement
qu'un des trois autres candidats conservateurs qui n'ont pas passé le
premier tour aurait pu gagner le second.
Deuxièmement, il faut bien considérer le prix qu'il a fallu payer
pour gagner le second tour, en terme de dilution du discours, dans la forme
et dans le discours, et principalement dans le programme. Les spécialistes
en marketing politique et les consultants qui travaillent avec le PT Brésilien
ont transformé le candidat en « Notre petit Ollanta, paix et amour
», qui a troqué sa chemise rouge pour une autre bleu ciel, s'est
détourné de Chavez et a changé son programme quelques jours
avant le second tour, rendant public un clone péruvien de la fameuse
« Lettre aux brésiliens », en réalité aux banquiers,
où Lula prenait l'engagement (qui l'a loyalement tenu) de ne pas toucher
aux fondements de la politique économique du gouvernement Fernando Henrique
Cardoso.
Si Ollanta respectait les engagements déjà pris par le gouvernement
Allan Garcia, les changements deviendraient très difficiles. Le président
qui se retire a signé un Traité de libre-échange avec les
États-Unis et a engagé le pays dans la voie d'une intégration
économique anti-ALBA, impliquant, au-delà du Pérou, le
Chili, le Mexique et la Colombie. Un autre engagement qu'Ollanta a pris est
celui de préserver l' « autonomie » de la Banque centrale,
c'est-à-dire, de permettre que les banquiers continuent de dicter la
politique monétaire, comme au Brésil. Une autre difficulté
portera sur le maintien de la croissance de l'économie péruvienne,
de près de 8% par an, la plus élevée d'Amérique
latine. Cette croissance est basée sur un modèle d'exportation
de minéraux qui est prédateur et source d'exclusion, et contraire
aux intérêts de ceux qui ont essentiellement contribué à
l'élection d'Ollanta : les paysans pauvres, surtout indigènes,
comme lui.
Le soutien que le PT a apporté ouvertement à la candidature Ollanta
sera évidemment à mettre sur le compte du capitalisme brésilien,
qui comptera un drapeau de plus sur la carte continentale pour alimenter son
ambition de faire du Brésil une grande puissance mondiale, dans le contexte
de l'impérialisme. Les multi-nationales d'origine brésilienne,
financées par la BNDES (Banques national de développement) du
gouvernement Lula, comme jamais dans l'histoire de ce pays, a déjà
aujourd’hui plus de 4 milliards de $ investis au Pérou, luttant
pour le contrôle de branches comme le pétrole et le gaz, l'électricité
et le bâtiment.
Certaines différences entre le nouveau et l'ancien gouvernement se font
déjà sentir. Dans la lutte pour les marchés sud-américains
et pour les alliances stratégiques, le capitalisme brésilien va
avoir un poids plus important dans l'économie et la politique étrangère
péruvienne. C'est pour cette raison que le nouveau président a
déclaré il y a quelques semaines au Brésil, symboliquement
pour son premier voyage international, qu'il allait implanter dans son pays
quelques-unes de ses politiques de compensation, comme la Bolsa Família.
Mais il y a d'autres facteurs qui vont jouer un rôle plus décisif
dans l'orientation du gouvernement Ollanta, déjà avant même
l'investiture et la nomination des ministres, période durant laquelle
s'intensifient les querelles politiques.
Ce que nous avons constaté essentiellement au Chili, au Paraguay, en
Argentine et au Brésil, c'est que si les masses ne réalisent pas
un bond qualitatif dans leur organisation et leur mobilisation, nous pouvons
élire des présidents qui ont l'air d'être de gauche, mais
qui n'ont pas touché un millimètre des intérêts du
capital.
Un des problèmes est l'absence d'une majorité progressiste de
députés au parlement monocaméral. Pour faire changer les
choses, Ollanta a besoin de gouverner avec l'appui des masses pour faire pression
sur le parlement. Dans le cas contraire, il sera contraint de tomber dans le
piège de la gouvernance institutionnelle, qui le mènera à
la dilution ou à l'abandon du projet de transformations sociales, aux
petits arrangements parlementaires et aux concessions de tout type.
Un autre facteur de complication, peut-être encore plus important politiquement,
est le risque que les dernières manœuvres régressives du
gouvernement Chavez impliquent une inflexion politique et non seulement une
manœuvre tactique, transformant négativement le rapport de forces
en Amérique latine, en faveur de l'impérialisme.
La seule possibilité de succès que peut remporter la gauche dans
l'expérience politique du gouvernement Ollanta reposera sur une mobilisation
populaire significative. Et la gauche péruvienne enregistre des différences
par rapport à la majorité des pays d'Amérique latine qui
peuvent avoir un poids décisif dans la lutte des classes qui va certainement
s'aiguiser au Pérou ; mouvements indigènes et paysans forts, soudés
et combatifs, un front de la gauche organique rassemblant partis et mouvements
populaires (la Coordination politique et sociale) et, surtout, la CGTP (Confédération
générale des travailleurs péruviens), une légendaire
centrale syndicale de classe, de masse, affiliée à la Fédération
syndicale mondiale, qui concentre près de 80% des syndiqués.
Mais, avec toutes ses difficultés et ses limites, la lutte doit être
menée, avec indépendance politique, pour tenter de mener le nouveau
gouvernement vers un processus de transformations sociales, jusqu'à ses
limites. Dans ces circonstances, les révolutionnaires doivent articuler
unité et lutte, ne commettant pas l'erreur de se soumettre de façon
a-critique au nouveau gouvernement, comme le font les réformistes. Ils
ne doivent pas non plus se situer dans une opposition têtue et tenir un
discours qui sert aujourd’hui la droite et l'impérialisme, agissant
comme ceux qui se déclarent d'ultra-gauche, sous-estimant la capacité
des masses à peser sur le processus politique.
Source : http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/article-la-victoire-d-ollanta-humala-au-perou-et-les-difficultes-a-mener-a-bien-de-reelles-transformations-s-80464494.html
sommaire
Accueil