Nicaragua : “Nous souhaitons la réconciliation, mais pas l’impunité”

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ALEX ANFRUNS L’ambassadrice du Nicaragua en France a participé à plusieurs actions du programme officiel de la fête du quotidien l’Humanité à Paris, qui s’est tenue du 14 au 16 septembre. Nous avons discuté avec elle de la crise qui a secoué son pays au cours de ces derniers mois, du rôle exercé par des organismes comme l’Organisation des états américains (OEA) ainsi que des défis actuels pour la société nicaraguayenne.
publié le 26 septembre 2018

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Alex Anfruns : Que pouvez-vous nous dire sur le cycle de violence des derniers mois au Nicaragua ?

Ruth Tapia Roa : Pendant trois mois, nous avons véritablement vécu une tentative de coup d’état, avec une violence encore jamais vue au Nicaragua. ça a été trois mois de violence contre le sandinisme, au cours desquels nous avons vu beaucoup de camarades morts, blessés, torturés et humiliés, parmi lesquels des militants, des policiers, des officiels, avec un niveau de violence encore jamais atteint…

Pouvez-vous nous parler de la cause de cette violence par rapport à l’identité des victimes ?

Nous avons eu le cas notre camarade Francisco Arauz, fils de deux militants sandinistes historiques, qui a été victime de ces groupes. Son papa avait lui aussi été assassiné par la garde nationale somociste, et sa maman, qui est toujours en vie, fait partie de ces grandes femmes nicaraguayennes connues sous le nom de « paysannes del Cua », qui ont lutté toute leur vie dans le nord du pays.

Au cours du premier jour de dialogue, quand on a demandé au commandant Ortega de mettre la police dans les casernes, et d’y rester, il l’a fait. Et ça a duré quinze jours, comme dans les casernes de police des villes de Masaya, Jinotepe et Diriamba où, tous les jours, certains groupes s’attroupaient à la nuit tombée pour insulter les policiers et leur dire des horreurs. Mais ce n’est pas tout, ils leur tiraient également dessus, à l’aide de mortiers, de cocktails Molotov et d’autres armes à feu… Plusieurs officiels ont été blessés à cette période. Il s’agissait de délinquants qu’on avait payés pour ériger ces barricades et pour empêcher le peuple nicaraguayen de circuler librement. Et le commandant a tenu sa parole.

La situation est désormais apaisée. Comment ce processus a-t-il été contrôlé et contrecarré ?

Après avoir subi une telle violence, une partie importante du peuple était terrorisée. Il y avait quelque chose qui ressemblait à une campagne terrifiante, notamment à travers les médias et la sphère internet sur laquelle ont été diffusées toutes les images des atrocités que ces groupes faisaient subir aux sandinistes. L’objectif était d’instiller la peur dans l’esprit des gens, qui ne savaient plus quoi faire.

Finalement, après avoir été obligés à rester enfermés pendant trois mois dans leur maison, sans pouvoir circuler librement, les gens ont commencé à sortir. Les sandinistes d’abord, suivis par tous les autres ensuite. Le peuple a progressivement exigé de la police qu’elle sorte. Alors le peuple et la police ont commencé à démonter les barricades ensemble. C’est ainsi que cela s’est terminé. On vit aujourd’hui au Nicaragua de manière normale parce que le peuple est décidé à ce que la normalité suive son cours.

Que signifie l’étape actuelle pour le peuple nicaraguayen ?

On a parfois tendance à oublier que le Nicaragua est le deuxième pays le plus pauvre d’Amérique latine, juste après Haïti. Quelle est donc la réalité nicaraguayenne ? Le peuple nicaraguayen doit travailler tous les jours pour pouvoir manger. Une famille part le matin et travaille pour ramener chez elle de quoi manger. La majorité des personnes a besoin de travailler pour vivre, elle ne possède pas d’économies à la banque. Le peuple du Nicaragua est un peuple travailleur.

C’est un peuple qui aime la paix. Nous ne pouvons pas oublier que nous étions en guerre il y a à peine 30 ans. La génération de 1980 a vécu cette guerre, nous sommes vivants et nos enfants qui étaient petits sont aujourd’hui de jeunes adultes. Devront-ils eux aussi connaître la guerre ? Ce n’est pas possible. La majorité du peuple nicaraguayen est remplie d’amour et de paix, parce que c’est cela que nous voulons. L’amour a véritablement vaincu la haine.

Justement, il y a eu une série de manifestations fréquentes sous le slogan « Le Nicaragua veut la paix »…

Oui, et elles ont été importantes. Nous avons des mobilisations pratiquement tous les jours, au cours desquelles la première chose demandée est la justice. Aujourd’hui, une grande partie de ces assassins sont en prison, car on a réussi à en capturer beaucoup. La police est en train de faire son travail : elle les attrape, les présente devant le parquet et celui-ci les défère au juge.

Au Nicaragua, il existe un processus défini que nous respectons. Mais nous ne voulons pas d’impunité. Nous souhaitons la réconciliation, mais pas l’impunité. Ce n’est pas la même chose. Les délinquants qui ont assassiné nos camarades doivent payer et aller en prison. Il n’y a que comme ça que nous pourrons parler de réconciliation. Le peuple veut la justice et la paix.

Au cours de cette période, il y a eu beaucoup de déclarations hostiles au Nicaragua de la part de hauts responsables étasuniens et européens, notamment de la part de l’OEA. Que pouvez-vous nous dire sur la forte pression internationale qui a été exercée sur votre pays ?

Pour nous autres Nicaraguayens, il est clair depuis toujours que des organismes comme l’OEA sont des instruments de l’impérialisme. Et quand je dis impérialisme, je parle de l’impérialisme mondial, pas seulement de celui des états-Unis, car l’Europe fait également partie de cet empire. C’est un système que nous subissons de la même manière que vous. Que ce soient vos peuples, les gouvernements comme le nôtre, qu’ils soient progressistes ou non, de gauche, ou qu’ils pensent simplement au peuple.

C’est quelque chose qui ne doit pas être vu de manière isolée : à chaque fois que le Front sandiniste a été au pouvoir, il y a toujours eu une tentative de renverser le gouvernement. Et pourquoi ? Eh bien parce que nous ne sommes pas soumis aux états-Unis. Cependant, ces mêmes organismes, nous les invitons.

Prenons un exemple : nous sommes assis à la table de l’OEA depuis octobre 2016, afin de réformer tout notre système électoral. Il s’agit d’un Conseil électoral qui n’a pas été mis en place par nous, mais par le gouvernement précédent, et que nous avons conservé. Est-ce qu’il y a des choses à améliorer ? Bien sûr, et c’est ce que nous faisons. En collaboration avec l’OEA également, à condition que ce soit les lois nicaraguayennes qui prévalent. Le problème de l’OEA, c’est que les états-Unis en ont fait un instrument de pression international.

L’Union européenne a également exigé des choses de la part du Nicaragua, comme si elle avait le droit de demander une anticipation des élections ou l’imposition d’un dialogue. Mais quel dialogue ?, avons-nous demandé. Ils n’ont jamais voulu dialoguer. Nous proposions le dialogue pendant qu’ils tenaient les barricades, pour qu’ils les retirent afin d’éviter un bain de sang. Mais ils n’ont jamais voulu écouter. Il croyaient que puisque que nous ne réagissions pas de manière violente au début, nous allions rester silencieux. Mais le commandant a fait preuve d’intelligence, puisque nous avons fait échouer cette contre-révolution sans tuer personne. Nous sommes maintenant revenus à la normalité. Puisse l’empire rester loin du Nicaragua, mais puisse le peuple dialoguer avec le peuple à l’intérieur du Nicaragua.

Après cette crise si médiatisée, les changements qui ont lieu au Nicaragua pendant le gouvernement de Daniel Ortega ont été éclipsés. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?

Nous sommes reconnus de fait au niveau international, dans le domaine de la sécurité par exemple. Le Nicaragua est le deuxième pays le plus sûr d’Amérique latine, et nous sommes comme une île au milieu de l’Amérique centrale, où nous sommes l’unique pays où la sécurité règne. Vous connaissez par exemple le phénomène des maras (gangs) dans le Triangle nord formé par le Honduras, le Guatemala et le Salvador. Ces pays regorgent de maras, qui sont des délinquants rémunérés par le narcotrafic et qui rendent la vie impossible à nos peuples. Au Nicaragua, les maras ne passent pas. Cela signifie non seulement que c’est une bonne chose pour le Nicaragua, mais que cela protège également le Costa Rica et le Panama. Ils n’ont pas de maras car le Nicaragua empêche leur présence.

En ce qui concerne le problème du narcotrafic et de la délinquance internationale, le Nicaragua est comme un rempart. Non seulement à l’extérieur de nos frontières, mais à l’intérieur également : le Nicaragua ne permet pas l’existence de cartels de narcotrafic, cela n’existe pas dans notre pays. Cela rend leur activité plus difficile. Il s’agit d’un combat quotidien pour nous qui avons peu de ressources. Mais notre police et notre armée s’occupent de cela car c’est important pour nous. Ce travail est reconnu au niveau international.

Autre sujet qui est reconnu au niveau international, c’est la croissance économique. Nous avons connu une croissance 5 % du PIB au cours des 7 dernières années. C’est une chose qui a aussi été remarquée, avec tous les programmes sociaux que nous avons pu lancer. Lorsque nous sommes arrivés au pouvoir, la pauvreté touchait 46 % de la population. Nous avons fait chuter ce taux de moitié, et il tourne aujourd’hui autour de 22 % de pauvreté. La même tendance est observée avec l’écart entre les riches et les pauvres. Nous avons réduit cet écart de 50 %.

Les avancées réussies par le gouvernement sandiniste, avec le commandant Ortega à sa tête et la compagne de celui-ci à la vice-présidence, sautent véritablement aux yeux. Il est évident qu’il a travaillé avec le peuple, pour le peuple. C’est une chose qu’ils ne nous pardonnent pas. Comment est-il possible qu’un pays à ce point touché par la pauvreté ait connu un succès économique et ait pu résoudre des problèmes de pauvreté qu’aucun autre pays n’arrive à résoudre. La réponse est logique : c’est le peuple qui est véritablement au pouvoir. Et c’est une chose que l’oligarchie nationale et les états-Unis ne vont pas nous pardonner.

Traduit de l’espagnol par Rémi Gromelle pour le Journal Notre Amérique

Source :Journal Notre Amérique n°39 (à paraître)

 

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