La répression pour mater l’insurrection

Mexique. La police fédérale s’est déployée hier dans l’État d’Oaxéaca pour mettre fin à une révolte populaire débutée il y a cinq mois. De violents affrontements ont fait trois morts vendredi.

Oaxéaca n’a pas opposé de résistance. Du moins en apparence à l’heure où la police fédérale préventive (PFP) a commencé ses premiers déploiements dans cet État du sud du Mexique, quarante-huit heures après les émeutes de vendredi au cours desquelles trois personnes ont été tuées. « Nous ne voulons pas de répression », ont crié des habitants, a rapporté l’AFP. Depuis samedi, ce corps policier, dépêché par le président Vicente Fox, encerclait les abords du chef-lieu, théâtre d’une révolte populaire et sociale des enseignants et des organisations sociales regroupées au sein de l’Assemblée populaire du peuple d’Oaxéaca (APPO) depuis maintenant plus de 160 jours. « Nous condamnons (cette) présence à Oaxéaca, ils ne sont pas les bienvenus », a déclaré le porte-parole de l’APPO, Florentino Lopez, en précisant toutefois que, si le mouvement refusait « de remettre la ville » à la PFP, il éviterait toute confrontation.

Tirs des forces de l’ordre

Ce déploiement policier, exceptionnel puisque l’autorité des États est traditionnellement assurée par les polices locales, témoigne de la gravité de la situation. La journée de grève de vendredi, lancée par le mouvement des enseignants, a tourné à l’insurrection en raison de la violente répression qui s’est abattue à l’encontre des manifestants. En réponse aux barricades et aux jets de pierres, la foule a essuyé les tirs des forces de l’ordre. Deux enseignants ainsi qu' un reporter-cameraman, Brad Will, qui couvrait les événements pour Indymedia New York, ont été tués, portant à une quinzaine le nombre de morts depuis le début de la révolte, le 22 juin. Une dizaine de personnes ont par ailleurs été blessées, certaines se trouvant dans un état grave. Selon le porte-parole de l’APPO, le journaliste aurait été tué d’« une balle dans la poitrine », par des tirs provenant du palais municipal où se seraient retranchés des policiers et des proches du gouverneur, Ulises Ruiz, a-t-il précisé à l’AFP.

La présence des forces antiémeute ainsi que les dernières démonstrations de violences ne sont pourtant pas de nature à apaiser la colère, voire à calmer le jusqu' au-boutisme du mouvement et ce alors que les instituteurs sont disposés à reprendre, lundi, le chemin de l’école, comme l’a annoncé le responsable du syndicat des enseignants, Enrique Rueda.

Le président Vicente Fox, qui avait promis un retour au calme avant le 1er décembre, date de l’investiture du nouveau président, Felipe Calderon, a donc préféré opter pour la force plutôt que pour la négociation, au risque d’envenimer la situation à Oaxéaca. La mobilisation, née à l’origine d’une revendication salariale, s’est muée en un vaste mouvement regroupant 360 organisations sociales solidaires de ses « instituteurs » face à l’intransigeance et aux exactions des autorités locales. Peu à peu, la révolte sociale des enseignants a gagné les couches populaires de cet État touristique où les populations paysannes et indigènes sont délaissées.

deux dossiers explosifs

Le conflit s’est radicalisé depuis la journée noire du 14 juin, au cours de laquelle onze personnes ont été assassinées. Le mouvement n’a eu de cesse dès lors de réclamer la démission et le jugement du gouverneur, Ulises Ruiz, du Parti révolutionnaire institutionnel, élu en 2004 à l’issue d’un scrutin entaché d’irrégularités. Les insurgés l’accusent également de corruption et d’abus de pouvoir. Face à la révolte, Ulises Ruiz, flanqué des affairistes locaux, a toujours prôné la méthode forte. Vicente Fox, pressé de résoudre l’autre crise institutionnelle, à savoir la fronde emmenée par le candidat de gauche, Lopez Obrador, qui conteste les résultats de l’élection présidentielle du 2 juillet, avait jusqu' à présent joué la montre. Mais il laisse en héritage à son successeur deux dossiers explosifs : un contre-pouvoir populaire à Mexico, conduit par Lopez Obrador, et une insurrection, qui, bien que réprimée, ne semble pas s’avouer vaincue.

Cathy Ceïbe

Article paru dans l' Humanité du 30 octobre 2006.

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