La répression pour mater l’insurrection
Oaxéaca n’a pas opposé de résistance. Du
moins en apparence à l’heure où la police fédérale
préventive (PFP) a commencé ses premiers déploiements dans
cet État du sud du Mexique, quarante-huit heures après les émeutes
de vendredi au cours desquelles trois personnes ont été tuées.
« Nous ne voulons pas de répression », ont crié des
habitants, a rapporté l’AFP. Depuis samedi, ce corps policier,
dépêché par le président Vicente Fox, encerclait
les abords du chef-lieu, théâtre d’une révolte populaire
et sociale des enseignants et des organisations sociales regroupées au
sein de l’Assemblée populaire du peuple d’Oaxéaca (APPO) depuis
maintenant plus de 160 jours. « Nous condamnons (cette) présence
à Oaxéaca, ils ne sont pas les bienvenus », a déclaré
le porte-parole de l’APPO, Florentino Lopez, en précisant toutefois
que, si le mouvement refusait « de remettre la ville » à
la PFP, il éviterait toute confrontation.
Tirs des forces de l’ordre
Ce déploiement policier, exceptionnel puisque l’autorité
des États est traditionnellement assurée par les polices locales,
témoigne de la gravité de la situation. La journée de grève
de vendredi, lancée par le mouvement des enseignants, a tourné
à l’insurrection en raison de la violente répression qui
s’est abattue à l’encontre des manifestants. En réponse
aux barricades et aux jets de pierres, la foule a essuyé les tirs des
forces de l’ordre. Deux enseignants ainsi qu' un reporter-cameraman,
Brad Will, qui couvrait les événements pour Indymedia New York,
ont été tués, portant à une quinzaine le nombre
de morts depuis le début de la révolte, le 22 juin. Une dizaine
de personnes ont par ailleurs été blessées, certaines se
trouvant dans un état grave. Selon le porte-parole de l’APPO, le
journaliste aurait été tué d’« une balle dans
la poitrine », par des tirs provenant du palais municipal où se
seraient retranchés des policiers et des proches du gouverneur, Ulises
Ruiz, a-t-il précisé à l’AFP.
La présence des forces antiémeute ainsi que les
dernières démonstrations de violences ne sont pourtant pas de
nature à apaiser la colère, voire à calmer le jusqu' au-boutisme
du mouvement et ce alors que les instituteurs sont disposés à
reprendre, lundi, le chemin de l’école, comme l’a annoncé
le responsable du syndicat des enseignants, Enrique Rueda.
Le président Vicente Fox, qui avait promis un retour
au calme avant le 1er décembre, date de l’investiture du nouveau
président, Felipe Calderon, a donc préféré opter
pour la force plutôt que pour la négociation, au risque d’envenimer
la situation à Oaxéaca. La mobilisation, née à l’origine
d’une revendication salariale, s’est muée en un vaste mouvement
regroupant 360 organisations sociales solidaires de ses « instituteurs
» face à l’intransigeance et aux exactions des autorités
locales. Peu à peu, la révolte sociale des enseignants a gagné
les couches populaires de cet État touristique où les populations
paysannes et indigènes sont délaissées.
deux dossiers explosifs
Le conflit s’est radicalisé depuis la journée
noire du 14 juin, au cours de laquelle onze personnes ont été
assassinées. Le mouvement n’a eu de cesse dès lors de réclamer
la démission et le jugement du gouverneur, Ulises Ruiz, du Parti révolutionnaire
institutionnel, élu en 2004 à l’issue d’un scrutin
entaché d’irrégularités. Les insurgés l’accusent
également de corruption et d’abus de pouvoir. Face à la
révolte, Ulises Ruiz, flanqué des affairistes locaux, a toujours
prôné la méthode forte. Vicente Fox, pressé de résoudre
l’autre crise institutionnelle, à savoir la fronde emmenée
par le candidat de gauche, Lopez Obrador, qui conteste les résultats
de l’élection présidentielle du 2 juillet, avait jusqu' à
présent joué la montre. Mais il laisse en héritage à
son successeur deux dossiers explosifs : un contre-pouvoir populaire à
Mexico, conduit par Lopez Obrador, et une insurrection, qui, bien que réprimée,
ne semble pas s’avouer vaincue.
Cathy Ceïbe
Article paru dans l' Humanité du 30 octobre 2006.
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