La Convention Nationale Démocratique élit Obrador
président du Mexique
par Jorge Martin
La Convention Nationale Démocratique (CND) qui
s’est réunie dans le centre de Mexico, samedi 16 septembre, a décidé
d’élire un « gouvernement légitime » ayant comme
prédisent Andres Manuel Lopez Obrador, le candidat du PRD aux élections
du 2 juillet. Cette Convention s’est tenue après deux mois de lutte
contre la fraude électorale, qui a remis en cause toutes les institutions
de la démocratie bourgeoise.
1 025 724 délégués de tout le pays ont
participé à cette CND, en plus de dizaines de milliers d’autres
qui n’avaient pas été officiellement enregistrés.
Dans les semaines qui ont précédé ce rassemblement, le
gouvernement mexicain a tenté d’en empêcher la tenue. Le
15 septembre est le jour traditionnel du « Grito de Dolores » (le
cri de Dolores), en référence au premier appel à la lutte
pour l’indépendance, lancé par Hidalgo en 1810. Chaque année,
le président du Mexique fait, à minuit, un discours du Palais
National, place Zocalo. Puis, le 16 septembre, jour de l’indépendance
du Mexique, il y a une parade militaire. Cette année, le gouvernement
menaçait d’utiliser l’armée contre l’immense
campement de protestation installé place Zocalo.
Finalement, le mouvement a décidé d’évacuer
la place pour laisser passer la parade militaire – mais seulement après
s’être approprié le Grito de Dolores – et de réinvestir
les lieux dans l’ après-midi du 16, pour tenir la CND. Signe de
la faiblesse du gouvernement : le président Fox a dû renoncer à
l’idée de faire le discours traditionnel sur la place Zocalo –
une première en près d’un siècle – et s’est
envolé pour Guanajuato. L’excuse officielle est que les services
secrets auraient eu des informations selon lesquelles des « groupes radicaux
du PRD s’apprêtaient à tuer des gens. » Mais de hauts
responsables des services secrets démentent cette affirmation. La vérité,
c’est que nous avons, au Mexique, une situation sans précédent
: le gouvernement de Vincente Fox ne peut pas imposer sa volonté sur
le mouvement de masse. Le Grito de Dolores a été célébré,
place Zocalo, par la sénatrice de gauche Dolores Ibarra et d’autres
représentants du mouvement.
Du fait d’une pluie torrentielle, la CND a commencé
avec une heure de retard. Mais les délégués qui remplissaient
la place Zocalo et les rues environnantes n’ont pas bougé. Ils
avaient des bonnes raisons d’être là, et ce n’est pas
la pluie qui les auraient fait partir.
Lorsque la CND a commencé, la première oratrice
fut l’écrivain de gauche Elena Poniatowska. Elle a commencé
par mentionner une lettre qu' elle avait reçu de Cuahtémoc
Cárdenas, un ancien dirigeant du PRD, qui écrit que le mouvement
« ne doit pas briser les cadres institutionnels » en élisant
Obrador comme « Président légitime ». Ces mots furent
accueillis par un tonnerre de désapprobations. Les gens criaient : «
Traître ! Traître ! ». Cardénas, comme de nombreux
autres dirigeants du PRD, se sont ouvertement dissociés du mouvement
de résistance contre la fraude électorale. En conséquence,
ces dirigeants autrefois respectés – Cardenas se rattache au président
du même nom qui a nationalisé le pétrole, en 1938 –
sont désormais considérés, à juste titre, comme
des traîtres.
Il en va de même avec l’« Autre campagne
» lancée par le Sous-commandant Marcos et d’autres dirigeants
de l’EZLN. En appelant ouvertement à l’abstention, alors
que les masses voyaient dans les élections une occasion de changer leur
vie, les Zapatistes ont sévèrement endommagé le soutien
et le respect dont ils jouissaient parmi les travailleurs et les paysans mexicains.
Le dirigeant de l’EZLN est à présent communément
surnommé le « Sous-comédien Marcos ». Les évènements
révolutionnaires mettent toutes les organisations et tendances à
l’épreuve – et les erreurs se payent très cher.
Le CND a approuvé plusieurs résolutions qui
proclament que Caldéron, le candidat du PAN, est un « usurpateur
», et qui refusent de « le reconnaître comme président
légitime de la République ». Un « plan de résistance
» a également été massivement approuvé. Ce
plan inclut, entre autres, une journée d’action contre la privatisation
des ressources énergétiques (électricité et pétrole),
et une semaine d’action (en octobre) pour la défense de l’éducation
publique. Cela montre clairement que le mouvement est allé au-delà
de la question de la fraude électorale et la défense de la démocratie.
En fait, les questions démocratiques sont liées au rejet des politiques
de droite du PAN, qui prévoit de privatiser la compagnie pétrolière
d’Etat PEMEX et la compagnie d’électricité, de créer
un enseignement supérieur à deux vitesses, de détruire
le système de sécurité sociale et d’éliminer
les droits fondamentaux des travailleurs tels qu' ils ont été
inscrits dans la Constitution, en 1917, lors de la révolution mexicaine.
La CND a atteint son point culminant lorsque la question de
reconnaître Obrador comme le président légitime a été
soumise au vote du rassemblement de masse. Certains proposaient de le proclamer
« chef de la résistance », ce qui revenait à faire
une concession aux institutions. Mais cette proposition a été
largement rejetée, et une écrasante majorité des délégués
a déclaré Obrador « président de la République
». Coincée contre les barrières de l’espace réservé
aux médias, Rafael Pérez Vazquez, 84 ans, criait aussi fort qu' elle
le pouvait : « Président, il est le président ! On lutte
depuis la fraude ! Il a été élu et il doit être président
! »
Il fut alors décidé que Lopez Orador formerait
un gouvernement légitime et que celui-ci s’installerait à
Mexico, le 20 novembre, date anniversaire de la révolution mexicaine.
Puis une mobilisation massive a été programmée pour le
1er décembre, dans le but « d’empêcher l’installation
de Calderon comme président. »
Dans un discours où il a accepté le poste de
président, Lopez Obrador a clairement défié les institutions
de la classe dirigeante, qu' il a décrites comme « la coalition
des élites composées des dirigeants du PAN et du PRI, ces armes
d’une petite minorité de rapaces qui ont fait tant de mal au pays
». Il a ajouté qu' il était fier d’être
à la tête d’un « gouvernement du peuple ».
L’attitude des grands médias mexicains –
et, soit-dit en passant, de la presse internationale [1]–
à l’égard du mouvement contre la fraude, attitude qui confine
au blocus médiatique, est un autre sujet qui alimente la colère
du peuple en lutte. Une commission de « journalistes en résistance
» a été mise sur pied, qui a immédiatement revendiqué
« l’expropriation des chaînes de télévision
», de façon à restaurer une « information véridique
et indépendante des intérêts de l’oligarchie. »
A la fin de la CND, les masses jubilaient d’enthousiasme.
Elles avaient le sentiment d’avoir remporté une victoire. Des colonnes
formées de milliers de personnes ont quitté la place, le poing
levé, au cri de « se siente, se siente, tenemos presidente ! »
(entendez, entendez, nous avons un président !). Ce mouvement a indubitablement
accru la confiance des masses en leurs propres forces. C’est d’autant
plus le cas que, ces dernières années, une série de mobilisations
contre le gouvernement Fox a abouti à des victoires complètes
ou partielles. L’idée que la lutte collective peut modifier le
cours des évènements a pénétré l’imagination
des travailleurs, de la jeunesse et des paysans. Par ailleurs, la façon
dont Lopez Obrador a mené les immenses « assemblées d’information
» – en soumettant les propositions au vote – leur a donné
le sentiment qu' ils détiennent le pouvoir de décision. Quelqu' imparfaite
que puisse être la démocratie dans un meeting d’un million
de délégués – et ce fut davantage un rassemblement
de masse qu' une véritable Convention – le mouvement se sent
maître des évènements. Les masses surveillent ce que font
les dirigeants, et s’ils ne font pas ce qu' elles attendent, elles
s’efforceront de remplacer les « traîtres » par des
dirigeants qui reflètent mieux leurs aspirations.
La classe dirigeante organise systématiquement une
campagne destinée à restaurer la légitimité de ses
institutions et à présenter Obrador et tous ceux qui le soutiennent
comme de « dangereux radicaux ». Comme on pouvait s’y attendre,
les premiers à se lancer furent les Cardinaux Sandoval et Rivera, qui,
lors de la messe de ce dimanche, ont demandé à Lopez Obrador de
reconnaître l’autorité de Calderon et « d’accepter
les règle du jeu démocratique ». Ces messieurs comprennent
parfaitement qu' indépendamment des intentions d’Obrador,
le mouvement contre la fraude électorale est une menace non seulement
pour le pouvoir de Calderon, mais aussi pour les institutions de la «
démocratie » (capitaliste) dans son ensemble.
D’ex-intellectuels de gauche, les gouvernements étrangers,
les organisations patronales, les médias (mexicains et internationaux)
se sont tous joints au « front uni » pour la défense de la
« démocratie » et des institutions gouvernementales. Alors
que le président vénézuélien a clairement établi
qu' il « ne reconnaîtrait pas le gouvernement élu »
(de Calderon), Evo Morales a pris la position inverse, déclarant que
« même s’il y a eu fraude, le vainqueur doit être reconnu.
» Le 14 septembre, le ministre bolivien des affaires étrangères,
Choquehuanca, a envoyé une lettre officielle à Calderon, dans
laquelle sa « victoire » est reconnue, en contradiction directe
avec l’ambassadeur bolivien au Mexique, qui a déclaré que
la Bolivie attendrait le 1er décembre avant de prendre sa décision.
Dans le même temps, dans l’Etat d’Oaxéaca,
l’Assemblée Populaire d’Oaxéaca (APPO) s’est proclamée
gouvernement fédéral légitime, et a commencé à
prendre en main des fonctions gouvernementales (ordre public, transport, etc.).
La semaine dernière, certains dirigeants de l’APPO ont tenté
de mettre un terme à la grève des enseignants, qui forment la
colonne vertébrale du mouvement dans cet Etat. L’accord proposé
comportait une augmentation de salaire substantielle (revendication qui a déclenché
le mouvement). Mais lorsque ces dirigeants ont essayé de faire passer
cet accord parmi les grévistes, la proposition a été rejetée
et les dirigeants en question ont été expulsés des assemblées.
Ce fait illustre l’humeur qui règne à Oaxéaca. Le mouvement
a dépassé les limites des revendications strictement économiques.
Sur l’ensemble de l’Etat d’Oaxéaca, on voit
apparaître des Assemblées Populaires et d’autres organes
de double pouvoir. L’Assemblée Populaire Mixtec et l’APPO
ont annoncé que de tels organes ont émergé à Santa
Catarina Ticua, Yuxia, San Andrés Chicahuaxétla, Yolomécatl, La
Laguna Guadalupe, Río Las Peñas, Siniyuvi, et sont en cours de
formation à San Juan Mixtepec, Santo Domingo del Estado, Teposcolula
et San Agustín Tlacotepec. L’APPO rapporte également que
des Assemblées Populaires se sont constituées dans d’autres
Etats qu' Oaxéaca, comme par exemple à Guerrero, à Michoacan,
et même dans l’Etat de Basse Californie, au nord du pays.
Il est clair que la stratégie de l’Etat est de
combiner répression et concessions. Le Ministère de l’Intérieur
menace publiquement d’envoyer la police et l’armée à
Oaxéaca, pour « restaurer la légalité ». En même
temps, il n’est pas exclu que, pour mettre un terme au mouvement insurrectionnel,
l’oligarchie écarte le gouverneur fédéral détesté.
Le risque existe que la déclaration de Lopez Obrador
comme président reste purement verbale. Pour que ce nouveau « gouvernement
» existe effectivement, il doit, à un certain stade, affronter
et remplacer le gouvernement de Calderon. Une situation de double pouvoir –
dont les éléments ont émergé, au Mexique –
ne peut durer très longtemps. L’un doit finalement l’emporter
sur l’autre.
Le gouvernement élu lors de la CND doit devenir un
véritable gouvernement : telle est désormais la tâche principale
du mouvement révolutionnaire. Cela passe par la création, dans
chaque quartier, chaque entreprise, chaque école et chaque caserne, de
comités de lutte locaux reliés les uns aux autres par des représentants
élus aux échelons local, régional et national. Ces comités
devraient commencer par lutter pour les revendications immédiates de
la population (eau potable, nourriture, logement, démocratie syndicale,
salaires décents, etc.), de façon à ce que la lutte pour
une authentique démocratie (une démocratie ouvrière) devienne
inséparable de la lutte pour l’amélioration des conditions
de vie des masses. Puis, comme dans l’Etat d’Oaxéaca, ces comités
pourraient commencer à prendre le pouvoir au niveau local : constituer
une police responsable devant les assemblées, gérer les transports,
l’approvisionnement en nourriture, etc. Par ailleurs, comme l’expliquent
les marxistes de Militante, l’organisation d’une grève générale
galvaniserait le mouvement et poserait la question : « qui commande ?
». Une grève générale démontre clairement
que ce sont les travailleurs qui font tourner le pays. Elle fait également
apparaître que les travailleurs ont non seulement le pouvoir de paralyser
la société, mais aussi de la gouverner.
Il est difficile de prévoir ce qui va se passer dans
les semaines et les mois à venir. De nombreux facteurs entrent en jeu
dans cette lutte entre des forces vivantes : la qualité et les actions
des dirigeants du mouvement, la fatigue des masses, les manœuvres de la
classe dirigeante, les décisions plus ou moins judicieuse de cette dernière
– à quoi il faut ajouter des éléments accidentels
qui peuvent avoir un impact décisif.
Une chose est sûre : nous n’avons pas affaire
à un mouvement « normal » contre un cas de fraude électorale.
Les racines de ce mouvement plongent dans 15 années d’attaques
systématiques contre les conditions de vie et les acquis sociaux des
masses. La mise en œuvre des « Accord de libre-échange nord-américain
» (ALENA) a détruit l’agriculture mexicaine et forcé
des millions de personnes à émigrer aux Etats-Unis. Il y a un
sentiment général que les institutions de la démocratie
bourgeoise (le gouvernement, les juges, les gouverneurs fédéraux,
les médias) ne sont au service que d’une petite minorité
de riches et de puissants. Pour toutes ces raisons, le mouvement ne s’éteindra
pas. Il se développera, avec des flux et des reflux, et les masses y
puiseront de précieuses leçons. Les éléments les
plus avancés parmi les travailleurs, les paysans, les indigènes
et la jeunesse, doivent s’unir dans une tendance révolutionnaire
dotée du seul programme à la hauteur de la situation : un programme
socialiste.
Jorge Martin
[1] Voir par exemple
la dépêche de l’agence Reuters, publiée sur Yahoo
Actualités, qui prétend que « des dizaines de milliers de
personnes » seulement ont participé à la CND
source www.lariposte.com
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