Le vrai visage de Calderon : brève histoire de la
trahison au Mexique
ROBERTO ZANINI
C’est une arrestation par traîtrise, le premier
véritable acte de gouvernement de Felipe Calderon Hinojosa, président
installé de haute lutte, dans un Mexique « si loin de Dieu
et si proche des Etats-Unis », comme le dit un jour son lointain
prédécesseur Porfirio Diaz, qui était un dictateur terrible
mais pas un idiot.
Attirer à Mexico et jeter dans une super-prison Flavio
Sosa, son frère et deux autres chefs de la révolte de Oaxéaca est
un geste qui s’inscrit dans le droit fil de la lumineuse tradition mexicaine
d’inviter son ennemi à dîner pour négocier et pour
se débarrasser au contraire de lui ensuite. En somme, la trahison, catégorie
qui, au Mexique, a des racines profondes et parfaitement conservées dans
la révolucion qui au fil des années est devenue istitucional et
se termine maintenant en divisant le pays comme une pomme. Depuis le père
de la révolution, Madero, qui fut trahi et tué par son général
Huerta, lequel à son tour fut contraint à s’enfuir par son
général Carranza, lequel Carranza envoie ses sicaires au rendez-vous
piège qui tue Zapata et en fait une légende, et ainsi de suite
tout au long du début de ce siècle qu' on appela bref.
Au Mexique, ce siècle s’est terminé avec
le soulèvement zapatiste, en ce nouvel an armé de 1994 et celui
d’ après qui porte la marque d’une autre trahison. La table
des négociations entre l’Etat et l’Ezln (Armée zapatiste
de libération nationale, NDT) était ouverte, l’évêque
de San Cristobal jouait serré au médiateur chez les rares bourgeois
et latifundistes des montagnes qui recevaient ses prêtres à coups
de fusils, et voulaient sa peau – ils l’eurent presque, en prenant
d’assaut son église à coups de pierres- et le président
Ernesto Zedillo qui à l’improviste annonça ecce homo, voila
la photo, Marcos s’appelle Rafael Guillen Vicente et maintenant mes troupes
vont aller le chercher. Et les troupes allèrent dans la selva, fracassèrent
les fragiles postes de contrôle des enfants guérilleros qui avaient
un passe-montagne mais pas de chaussures, arrivèrent à Guadaloupe
Tepeyac qui était un petit village de quelques maisons avec des toits
de tôles, un hôpital qu' un programme électoral avait
enterré dans la jungle mexicaine, les baraques en bois de la comandancia
zapatiste et une grande bibliothèque éclatante en plein milieu
de la forêt, que des gosses étudiants venus de la capitale montaient
avec des cadeaux venant de tout le pays et de la moitié du continent.
Cette bibliothèque était une sorte de miracle subtropical. Des
traductions espagnoles de livres chinois de l’époque où
Pékin inonda le monde de marxismes en édition de poche, vie et
œuvres de Mao éditées un an avant la mort du céleste
président, un chef d’oeuvre de la beat generation comme « Trout
fishing in America » qui avait fini dans les rayons de la section
biologie parce que qui est-ce qui le connaît ce Richard Brautigan ?
Et puis avec un titre pareil qui irait le mettre dans les romans ? Donc
biologie, décréta un jeune étudiant nonchalant plein de
zèle révolutionnaire. Puis arrivèrent les blindés
et les hélicoptères Cobra (don des stups américains) à
la poursuite de Marcos ; et les maisons de zinc, les baraques du gouvernement
zapatiste et la bibliothèque miraculeuse brûlèrent pendant
trois jours et trois nuits. La fumée se voyait bien au-delà de
la Selva Lacandona, et une gigantesque tâche de cendres brûlantes
fut tout ce que trouvèrent les premiers valeureux qui osèrent
défier les postes de contrôle de l’armée mexicaine.
Marcos avait fui, la selva bienveillante s’était refermée
sur lui, il revint des semaines plus tard avec des récits d’enfer
sur la peur, le sommeil, la soif déjouée en buvant sa propre urine.
Mais il avait sauvé sa peau et son soulèvement. C’était
au mois de février, en 1996. Quelques années plus tard, le subcomandante
allait entrer sur la plus grande place de Mexico escorté par un demi
million de personnes.
Cette chasse à l’homme décrétée
par le président Zedillo avait été le dernier épisode
de l’histoire mexicaine de la trahison. Le piège de Calderon renouvelle
une tradition pestilentielle, acte fondateur d’une présidence à
peine née qui montre déjà son pire visage. Ou peut-être
le seul qu' elle ait.
Edition de mercredi 6 décembre de il manifesto
http://www.ilmanifesto.it/Quotidiano-archivio/06-dicembre-2006/art42.html
Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio
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