Haïti : Pourquoi et comment lutter contre les Accords de
Partenariat Économique ?
Cette décision du gouvernement peut être considérée
comme une victoire, résultat de la grande mobilisation lancée
et menée par la Coalition Nationale BARE APE. Une victoire peut-être
temporaire, vu les fortes pressions exercées par les acteurs comme le
CARIFORUM et l’Union Européenne sur le gouvernement haïtien,
mais très importante pour donner encore plus de force à la mobilisation.
Sur les 16 pays qui forment le CARIFORUM (le groupe Caraïbes), seulement
2 pays ont refusé de signer l’accord commercial lors de la XIVe
Réunion des chefs d’Etat du CARIFORUM réalisée à
la Barbade, le 10 septembre 2008 : il s’agit de la République d’Haïti
et la Guyane. Il faut rappeler que quelque jours avant la réunion, le
Président de la Guyane avait appelé ses homologues à rejeter
en bloc l’Accord de Partenariat Economique (APE), estimant qu' il
est préjudiciable au processus d’intégration régionale
et au renforcement des structures nationales de production et d’investissement.
La décision du gouvernement haïtien de ne pas signer les APE repose
sur les éléments suivants :
* les préférences régionales, en particulier
dans ces relations d’échange avec la République dominicaine.
Les négociations en cours ne permettent pas de favoriser les entreprises
et industries nationales et sont de nature à décapitaliser les
efforts déjà constatés dans certains secteurs. Nous pensons
qu' il faut surtout donner la priorité à la « préférence
nationale ».
* la question de l’aide au développement. Les
APE ne prévoient aucune augmentation ni une nouvelle orientation de ce
qu' on appelle « aide au développement ». S’il
est vrai que l’aide au développement n’a jamais impulsé
un processus réel de développement dans les pays pauvres, il va
sans dire que les APE viendraient compliquer la situation. Non seulement les
pays ACP vont faire face à une libéralisation déloyale
et très désavantageuse qui occasionneront des pertes énormes
de ressources par la libéralisation de secteurs clés de leurs
économies mais aussi par le fait que l’UE se montre très
intransigeante estimant que « l’aide » accordée dans
le FED (Fonds Européen de Développement) est déjà
suffisant. Les prévisions du FED pour Haïti pour la période
2008-2013 s’estiment à 304,6 millions d’euros alors que les
pertes par rapport à cette libéralisation d’échange
pour la même période avoisineraient 500 à 600 millions d’euros,
soit presque le double du FED pour Haïti. Il est de ce fait nécessaire
de se demander « Qui aide qui ? ».
* l’accès au marché : « Les négociations
des APE comportent un volet offre d’accès au marché qui
détermine le degré et l’ampleur de la libéralisation
des échanges. La formulation de cette proposition d’offre d’accès
au marché implique la détermination des produits devant être,
soit exclus de la libéralisation, soit pour lesquels l’ouverture
totale ou partielle du marché devra être repoussée à
une date ultérieure. L’objectif de la détermination de la
liste nationale de ces produits est d’éviter de mettre en péril
certains pans de notre appareil productif et de permettre de bâtir une
stratégie crédible de défense et de sauvegarde des intérêts
vitaux du pays ». Le Gouvernement haïtien a fait part aux autres
pays du CARIFORUM des anomalies qui existent au niveau de la région eu
égard aux tarifs. Haïti, dans la zone Caraïbe dispose du tarif
moyen le plus bas, soit 2,9% alors que la moyenne pour toute la zone oscille
entre 15 et 25%, ce qui fait d’Haïti, le pays le plus libéral
de notre hémisphère. Les APE exigent encore plus de libéralisation,
ce qui contribuera forcément à déstructurer et décapitaliser
une économie déjà en proie à de graves difficultés.
Les offres faites par le gouvernement après avoir bénéficié
d’un moratoire de six (6) lors de la signature du document en Décembre
2007 et la liste des produits sensibles définis et publiés montrent
que nous sommes loin d’un accord qui favoriserait le renforcement des
capacités locales et nationales pour entrer dans ce jeu de concurrence
sauvage qu' il propose.
Au regard du contexte actuel que vit le pays, il va sans dire
que ces raisons sont importantes mais pas suffisantes tenant compte de la nécessité
pour le pays de redynamiser les secteurs productifs surtout en ce qui a trait
aux secteurs « Services » et « industrie agricole ».
Le gouvernement haïtien n’est pas allé contre les APE, mais
de préférence vers l’amélioration du contenu. Alors,
que, de par leurs objectifs, l’idéologie néolibérale
qui les sous-tend, et les mécanismes mis en place, les APE sont contre
toute logique productive et aussi contre la structuration des secteurs économiques
vitaux pour les pays comme Haïti. Il nous faut changer de paradigme de
la coopération et de l’intégration pour pouvoir créer
de nouvelles dynamiques nationales et régionales.
L’une des raisons pour lesquelles Haïti n’a
aucune raison de signer les APE et qui n’est pas mentionnée dans
les rapports officiels est que le pays est classé dans la catégorie
PMA (Pays Moins Avancés) et de ce fait il a déjà un accès
libre et non-réciproque sur le marché européen sur la base
de l’initiative « Tout Sauf les Armes (TSA) » ; alors que
les APE exigent un régime commercial réciproque. Cependant, nous
croyons que le gouvernement haïtien ne peut en aucune façon considérer
que le pays devra demeurer dans ce groupe en ne définissant et appliquant
des politiques publiques visant à émanciper le pays et qu' il
joue son rôle proactif dans le processus d’intégration et
d’échanges commerciaux tant au niveau régional qu' international.
Le camp du refus doit grossir !
Le 15 Octobre prochain représente une date cruciale
pour la région des Caraïbes dans les négociations des Accords
de Partenariat Economique. Sous haute pression exercée par l’Union
Européenne, le Secrétariat du CARIFORUM (CARICOM + la République
dominicaine), après avoir constaté l’échec de la
réunion du 10 septembre, a écrit au Commissaire européen,
Peter Mandelson, pour lui proposer une nouvelle date à laquelle il tentera
de convaincre les pays qui résistent jusqu' à maintenant
à signer l’accord tel qu' il est imposé par l’UE.
Face à la détermination des gouvernements de la Guyane et d’Haïti
et tenant compte de la nécessité pour les pays de la région
de sauvegarder leur souveraineté dans la définition des politiques
publiques internes, d’autres pays de la Caraïbe doivent se joindre
au camp du refus pour pouvoir renforcer les mécanismes d’intégration
régionale et redynamiser les économies nationales. C’est
un mouvement très important qui demande aussi que les mouvements de citoyens,
les mouvements sociaux déjà engagés dans la bataille et
tous les autres qui hésitent encore de faire pression sur les gouvernements
des pays ACP afin de refuser de jouer au jeu de l’UE qui n’est autre
que d’arriver à controler les politiques publiques en matière
sociale, économique et commerciale.
Nous voulons saluer particulièrement toute la lutte
menée par nos partenaires et les peuples africains qui ont porté
leurs gouvernements à être réceptifs par rapport aux demandes
incessantes de sauvegarde de leur souveraineté face à une Union
Européenne (UE) qui veulent encore imposer la logique coloniale : «
Tout par et pour la métropole » .
Une autre Haïti est possible sans les Accords de Partenariat
Economique (APE) Les mouvements sociaux et populaires de ces pays doivent continuer
leur campagne d’information, de sensibilisation, de mobilisation, de plaidoyer
et de recherches d’alternatives viables pour pouvoir forcer les gouvernements
à définir des politiques nationales de développement avec
une large participation de tous les secteurs vitaux. Ces plans doivent fixer
des objectifs clairs et précis et aussi montrer les raisons fondamentales
de la participation du pays dans les négociations internationales et
quels seront les enjeux fondamentaux pour la réalisation des objectifs
fixés.
La libéralisation commerciale a montré ses limites
et son incapacité à adresser les besoins réels de développement
des pays du Sud. Seul un processus défini depuis l’intérieur
est capable d’insuffler une nouvelle vitalité aux secteurs dynamiques
au niveau national. Ainsi, tous les secteurs de la vie nationale ont besoin
de montrer leur capacité à se rallier derrière un objectif
commun qui est de lutter contre les APE et mettre le gouvernement, l’Etat
haïtien devant ses responsabilités d’élaborer des politiques
nationales en fonction des revendications fondamentales de la population haïtienne.
La Coalition Nationale « Bare APE », composée
d’une dizaine d’organisations haïtiennes, réalise depuis
début 2007 jusqu' à aujourd’hui encore, de façon
très intense, des activités d’information, de sensibilisation,
de mobilisation auprès de divers secteurs de la population haïtienne
contre la signature des APE. Notre travail de plaidoyer direct auprès
du gouvernement haïtien, des structures de l’Union Européenne
et de la CARICOM a en quelque sorte joué son rôle dans ce refus
du gouvernement de signer les APE. En dépit de ce nouveau contexte, la
lutte est loin de parvenir à son terme et nous avons l’œil
bien rivé sur la prochaine réunion du CARIFORUM qui nous inspire
de nouvelles initiatives afin de mobiliser la population et faire pression sur
le gouvernement haïtien pour renforcer sa position du refus. D’autres
activités de plaidoyer et de sensibilisation sont prévues dans
les semaines à venir afin de porter les autorités haïtiennes
à confirmer leur refus de signer de tels accords qui n’ont rien
à voir avec la nécessité de développer le pays ni
à court, moyen et long terme. Et notre mobilisation continue dans la
solidarité jusqu' à la victoire finale. Port-au-Prince, le
01 Octobre 2008
Organisations membres de la Coalition haïtienne : PAPDA
– RNDDH – MODEP – CHANDEL – TÈT KOLE TI PEYIZAN
AYISYEN – SOFA – RAJES – SAKS - KOPWONÒ
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