Les objectifs du millénaire limitent les aspirations de
changement social
par Rafael Correa
Discours du président Rafael CORREA à l’Assemblée
générale des Nations unies à New York le 26 septembre 2007
:
Monsieur le Président, Excellences, Messieurs les Chefs
d’Etat et de Gouvernement et Messieurs les Représentants des Gouvernements
du Monde :
Permettez-moi de commencer cette intervention par une réflexion
sur l’engagement de la lutte contre la pauvreté, en vigueur depuis
septembre 2000, quand 189 pays ont souscrit à la déclaration des
Objectifs du Millénaire du Développement (OMD). En vertu de cet
accord, nous nous sommes engagés à atteindre, d’ici 2015,
certains objectifs de base sur le chemin du Développement Humain.
LIMITES DES « OBJECTIFS DU MILLENAIRE »
Aujourd’hui, depuis qu' un gouvernement a proclamé
en Équateur une révolution citoyenne, démocratique, éthique
et nationaliste, nous souhaitons proposer quelques réflexions critiques
sur le concept même des OMD, sur leurs limites et sur les dangers qu' impliquent
des agendas minimalistes de cette nature, surtout face aux profondes asymétries
sociales et économiques que vit la planète.
La première limite des OMD est qu' ils constituent une stratégie
minimaliste pour réduire la pauvreté. Notre but est d’aller
bien au delà de tels minima, en approfondissant les objectifs et en en
y incorporant de nombreux autres. Le fait de se rallier de manière exclusive
à une optique de besoins minimums, comme celle que posent les OMD, implique
un haut risque qui, tout en cherchant à satisfaire les consciences, limite
les aspirations au changement social.
Ainsi, nous pouvons affirmer qu' il existe deux niveaux qui nous permettent
de caractériser la vie des personnes. Le premier a trait aux capacités
indispensables des êtres humains pour subsister au sein de la société,
capacités sans lesquelles une vie ne mérite pas d’être
qualifiée d’humaine. Le second niveau se réfère aux
capacités qui permettent à chacun de se réaliser en tant
que personne dans cette société. Nous ne parlons donc pas seulement
de subsistance, mais du droit de jouir d’une vie digne d’être
vécue.
NON AUX OBJECTIFS MINIMALISTES
Monsieur le Président, Excellences : Nous pensons qu' avoir
pour but de vivre avec un dollar plus un centime par jour de sorte à,
soi disant, vaincre l’extrême pauvreté, ou éviter
de mourir prématurément, comme cela figure dans les OMD, ne permet
pas de mener une vie décente.
Le développement de politiques publiques dans un pays qui aspire à
un changement radical, comme c’est le cas de l’Equateur, ne peut
se contenter d’atteindre des objectifs minimalistes. Bien sûr, éviter
la mort prématurée de garçons et de filles ou de femmes
lors de l’accouchement, est un objectif incontestable. Cependant, en ne
nous centrant que sur cela, nous courons le risque de nous contenter du fait
que la vie humaine soit simplement un processus de résistance visant
à prolonger de quelques heures l’existence des personnes.
OBJECTIFS COMMUNS SUR DES MaxéIMA SOCIAUX
Par conséquent, nous proposons des objectifs communs
non seulement sur des minima de vie mais sur des maxéima sociaux. Par exemple,
nous considérons qu' il est possible de partager des identités
diverses, de construire et de récupérer des espaces publics, de
garantir l’accès à la justice, d’avoir un emploi qui
garantisse le droit à gagner sa vie, d’avoir du temps pour la méditation,
la création artistique et le loisir, des objectifs qui se trouvent déjà
dans le Plan National de Développement mis en vigueur par le gouvernement
équatorien.
Nous renonçons ainsi à l’idée selon laquelle le présent
est une pure fatalité historique face à laquelle nous nous soumettons
en ne cherchant à satisfaire que des minima clairement élémentaires.
De plus, le fait de se contenter de ces minima suppose également la légitimation
de la réalité que nous vivons, puisque de tels minima ne cherchent
pas à remettre en cause les écarts ni les relations de pouvoir
existants entre les sujets et entre les sociétés. En ce sens,
nous plaidons également en faveur de la reconnaissance d’une dignité
égale pour tous les êtres humains.
Accorder à certaines personnes des minima doit être, tout au plus,
un objectif transitoire et ne doit jamais être considéré
comme un modus operandi de la politique publique, du fait que cela suppose de
situer le « bénéficiaire » dans une position d’infériorité
face aux autres. En d’autres termes, cela suppose de ne pas reconnaître
son droit égal à la dignité humaine face aux autres. De
fait, ce n’est pas un hasard si des bureaucraties internationales comme
la Banque mondiale proposent systématiquement de fournir des rapports
sur la pauvreté (“poverty reports”) sans que jamais il ne
leur soit venu à l’esprit de réaliser des rapports sur les
inégalités (“inequality reports”).
C’est pour cela que la meilleure stratégie de réduction
de la pauvreté dans la dignité est sans doute la réduction
des écarts sociaux, économiques, territoriaux, environnementaux
et culturels. De cette façon, un des objectifs principaux de notre gouvernement
est de diminuer les inégalités dans le cadre d’un développement
endogène, d’inclusion économique et de cohésion sociale
et territoriale, aussi bien au niveau interne qu' au niveau global.
DROITS HUMAINS ET VALEURS UNIVERSELLES CONTRE PROGRAMMES
SOCIAUX QUI FRAGMENTENT LA SOCIETE
Dans le même sens, nous cherchons à réaliser
en Equateur le règne des droits humains et des valeurs universelles.
Au contraire, ce que la longue et triste nuit néolibérale préconisait,
dans une perspective d’assistance et de compensation des conséquences
de l’absolutisme du marché, ce sont des programmes sociaux qui
ont fragmenté la société en autant de parties qu' il
existe de groupes sociaux.
Cependant, un projet national et un changement des rapports de force au sein
d’une société ne signifient pas une addition de fragments
qui voudraient, par le hasard du destin, acquérir du sens et de la cohérence
et se compléter comme les parties d’un puzzle, même si nous
ne disposons pas de toutes les pièces qui le composent.
Il est indispensable d’élaborer un projet partagé, qui doit
être en constante redéfinition, et qui ait justement pour objectif
que tous, nous souhaitions y prendre part. Pour cela, nous avons élaboré
en Équateur le Plan National de Développement de façon
démocratique, parce nous pensons que sans la participation de tous aux
décisions fondamentales de la société, aucun pays ne pourra
légitimer et rendre ses décisions politiques plus efficaces.
Il s’agit en définitive de modifier une pratique politique appliquée
par les secteurs traditionnels, avec leur technocratie et leur élitisme,
pour rendre la parole et l’action à ceux qui doivent être
les maîtres, les protagonistes et les bénéficiaires des
politiques publiques.
De plus, je souhaiterais signaler que les OMD souffrent d’une vision du
développement attachée à des critères de consommation
et à une stratégie liée aux processus de libéralisation
économique.
Notre vision du développement est très différente
: nous entendons par développement le bien être de tous, en paix
et en harmonie avec la nature, et la prolongation infinie des cultures humaines.
PROPOSITION EQUATORIENNE POUR LA REDUCTION DU CO2 : LAISSER
LE PETROLE EN TERRE
En ce sens, il nous plaît qu' au sein de cette Assemblée,
soient largement débattus les effets dévastateurs et injustes
du changement climatique. L’Equateur a fait une proposition concrète
et novatrice pour contribuer à la réduction de l’émission
de CO2 et à la conservation de la biodiversité avec notre projet
Yasuní-ITT.
L’initiative pose l’engagement de ne pas exploiter environ 920 millions
de barils de pétrole et d’éviter ainsi l’émission
de près de 111 millions de tonnes de carbone provenant de l’utilisation
de combustibles fossiles.
Cependant, cela impliquerait de ne plus recevoir des investissements pour ce
projet et un manque à gagner de près de 720 millions de dollars
par an, ce qui est très significatif pour l’économie équatorienne.
Nous sommes disposés à faire cet immense sacrifice, mais en demandant
la co-responsabilité de la communauté internationale (surtout
les pays développés, principaux prédateurs de la planète)
et une compensation minimale pour les biens environnementaux que nous générons.
Ce serait un extraordinaire exemple d’action collective
mondiale (passer de la rhétorique aux faits concrets, à la pratique)
qui permettrait non seulement de réduire le réchauffement mondial
pour le bénéfice de toute la planète mais également
d’inaugurer une nouvelle logique économique pour le XXIème
siècle, où l’on prend en compte la création de valeur
d’usage plutôt que la production de marchandises.
DECLARATION DES DROITS DES PEUPLES INDIGENES
Parlant de cultures, nous nous réjouissons aussi du
fait que l’Assemblée des Nations unies ait adopté il y a
quelques jours la Déclaration des Droits des Peuples Indigènes,
très activement appuyée par l’Equateur. Il a fallu attendre
plus de 20 ans pour que cet instrument soit approuvé : ce sera la charte
fondamentale pour la protection des droits humains de nos peuples aborigènes.
POUR L’EQUATEUR, IL N’EXISTE PAS D’ETRES
HUMAINS ILLEGAUX
Enfin, le bien être dont nous parlons présuppose
aussi que les libertés, opportunités et potentialités réelles
des individus soient amplifiées. En ce sens, le fait que d’une
part, on promeut au niveau mondial la libre circulation des marchandises et
des capitaux en cherchant la rentabilité maxéimale, mais que, d’un
autre côté, on pénalise la libre circulation de personnes
à la recherche d’un emploi digne est un paradoxe immoral : c’est
tout simplement intolérable et insoutenable d’un point de vue éthique.
Pour le Gouvernement de l’Equateur, il n’y a pas d’êtres
humains illégaux et les Nations unies doivent insister sur ce point.
Il n’existe pas d’êtres humains illégaux. C’est
inadmissible. Nous travaillons activement pour promouvoir un changement de ces
politiques migratoires internationales honteuses, sans oublier, évidemment,
que notre plus grande responsabilité est la construction d’un pays
qui offre les garanties d’une vie digne comme mécanisme de prévention
à l’exode forcé par la pauvreté et l’exclusion.
IL N’Y A PAS DE FIN DE L’HISTOIRE ET DES IDEOLOGIES
Monsieur le Président, Excellences :
Nous ne devons pas nous faire d’illusions face à ceux qui proclament
la fin des idéologies, la fin de l’histoire. Les secteurs conservateurs
veulent nous faire croire que nous vivons dans le meilleur des mondes possibles
et qu' il faut abandonner toute tentative de changement, toute tentative
de construction de notre propre identité individuelle et collective,
toute tentative de construction de notre histoire.
Face à cette conception du monde, mesquine et auto satisfaite,
nous autres, nous soutenons qu' il est possible de mener à bien
une action collective, consciente et démocratique, pour diriger nos vies
et organiser la société mondiale d’une autre manière,
avec un visage plus humain. Notre concept du développement nous oblige
à nous reconnaître, à nous comprendre et à nous estimer
les uns les autres, afin de rendre possible l’autoréalisation et
la construction d’un avenir partagé. C’est à la construction
de ce monde, de ce rêve, que l’Equateur vous invite.
Mesdames et Messieurs, merci beaucoup.
infos article URL: http://www.cadtm.org
Source : Altercom
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