Aux Etats-Unis, Salvatore Mancuso et consorts
accusés de centaines de massacres, de plus de 15 000 assassinats et
de davantage encore de disparitions forcées ne pourront être inquientés
que pour des délits liés à la drogue. Et quoi qu'en dise M. Uribe, les
extradés ne risquent pas de recevoir beaucoup de visites de juges colombiens
enquêtant sur les massacres (et encore moins des parties civiles). Le
coût des déplacements, la dispersion des extradés sur quatre Etats et
les freins procéduraux devraient refroidir les ardeurs. Qu'on en juge:
la justice colombienne n'a toujours pas obtenu les pièces de la condamnation
aux Etats-Unis de Chiquita pour financement des paras. Dans l'autre
sens, le procès l'an dernier de la société Drummond, devant une cour
US, avait été torpillé par le refus de Bogota d'expédier certains documents...
Le message de M. Uribe aux paras demeurés au pays est clair: ceux
qui ne sont pas satisfaits de leur sort et qui bavardent encourent l'extradition.
Quant à ceux qui ont été expédiés, ils n'ont plus intérêt à poursuivre
leurs révélations: ils ne feraient que susciter la curiosité des juges
colombiens, sans attendrir leurs collègues étasuniens...
Bien sûr, rien ne dit que cette barrière juridico-géographique préservera
indéfiniment le régime d'Alvaro Uribe. On ne peut exclure que le sentiment
de trahison délie les langues. Mais la maison était en feu, et le président
se devait de reprendre la main.
Depuis que la Cour constitutionnelle a modifié la loi de démobilisation
des paramilitaires, les obligeant à parler s'ils veulent obtenir les
réductions de peines initialement garanties par M. Uribe, le processus
de paix s'est progressivement retourné contre son instigateur. En près de deux ans d'enquêtes, la justice, la presse et les partis d'opposition
ont commencé à mettre en évidence le réseau mafieux dit parapolitique
qui dirige le troisième pays d'Amérique du Sud. Des dizaines d' uribistes :
ministres, gouverneurs, députés, présidents de Chambre, fonctionnaires,
etc. sont tombés, et le chef de l'Etat a senti le souffle de la justice
se rapprocher, lors de l'arrestation de son cousin Mario Uribe en avril
dernier.
Pis, son projet de seconde réélection, en 2010, commence à prendre l'eau,
après l'éclatement fin avril de l'affaire Yidis Medina, du nom d'une
ex-congressiste affirmant avoir vendu sa voix pour faire adopter la
réforme constitutionnelle qui a permis la première réélection du président
en 2006...
Politiquement, ces scandales à répétitions ont déjà coûté cher à M.
Uribe, qui a vu son projet phare d'accord de libre commerce rejeté par
le congrès étasunien. Nul doute que l'extradition des paras pourrait
adoucir la majorité démocrate comme elle ravit l'administration Bush,
peu désireuse de voir éclaboussé son principal allié politique et militaire
dans la région. Quant aux entreprises bananières nord-américaines, elles
ne doivent pas être mécontentes de savoir Mancuso aux mains des juges
US anti-drogue: l'ex-porte-parole paramilitaire n'avait-il pas déclaré
que Dole, Chiquita et compagnie avaient volontairement financé le travail
antisyndical de ses troupes?
Mieux vaut effectivement ne parler que trafic de coke!