A propos de la couverture médiatique de la visite d'Alvaro
Uribe en France
La récente visite du président colombien
en France a donné lieu à une couverture médiatique qui
s'inscrit dans la droite ligne de ce que l'écrivain uruguayen Eduardo
Galeano nomme "le monde à l'envers".
Le scénario de base, la libération des Otages retenus par la Force
Armée Révolutionnaire de Colombie (FARC), tel qu'il est présenté
par les entreprises de communication françaises font ressurgir chez le
lecteur français, tous les schémas et stéréotypes
simplistes du wild, wild West des westerns hollywoodiens: des bandits ont pris
en otage des fermiers innocents et leurs familles, heureusement le shérif
du coin s'apprête à les libérer. Les bandits dans ce type
de film, dont l'orientation politique est à peine voilée, c'est
généralement les indiens ou les mexicains, bref ce sont des brutes.
Le shérif, quant à lui, est l'archétype du citoyen étasunien
dominant: blanc, libéral et désintéressé, entièrement
dévoué à la défense du Bien, c'est le Bon. Généralement,
le scénario, se complique lorsqu' apparaît une figure hétéroclite
qui vient rappeler au spectateur que tout n'est pas si simple. Ce truand pactise
avec tout le monde pour en retirer un bénéfice personnel. De fait,
il va gêner le Bon dans son combat pour le Bien, l'Ordre et la Morale.
Le spectateur ne saura jamais pourquoi les indiens prennent des otages (généralement
une femme): ce sont des brutes qui agissent impulsivement. De même, à
travers ce moyen de propagande que furent les westerns hollywoodiens, il n'apprendra
rien sur la colonisation et l'extermination des Peuples premiers aux Etats-Unis.
Quant au truand, même s'il génère quelque sympathie au début
du film, les spectateurs le détesteront rapidement pour son côté
roublard et manipulateur. Restent le Bon et la vision réductrice de la
société, imposée par le scénariste. Le Bon, à
la fin du film, triomphe toujours !
La couverture médiatique de la visite d'Uribe en France rappelle ces
schèmes simplistes de la propagande cinématographique. Le Bon,
c'est le président colombien Alvaro Uribe aimé par son Peuple
qui l'a réélu, comme le souligne Paris-Match [1], avec 62% des
voix. Qu'il ne fut réélu qu'avec 28% des citoyens qui ont la chance
d'être inscrits sur les listes électorales colombiennes, personne
n'en saura rien. Le Bon est le Bon parce qu'il est bon. Point.
Les brutes ne sont désormais plus ces bandits d'indiens et de mexicains.
Ils sont toujours des bandits mais depuis le 11 septembre 2001, ce sont aussi
des terroristes. Même si la thèse de l'enlèvement comme
arme de guerre est fortement condamnable, nous n'apprendrons rien sur la genèse
des armées de guérilla en Colombie. Ni sur le massacre des 3000
membres de l'Union Patriotique dont le souvenir force la FARC et l'Armée
de Libération Nationale (ELN, par ses sigles en espagnol) à la
méfiance pour rendre les armes. Rappeler les conditions sordides de l'emprisonnement
des otages sans mentionner les actes de tortures, les massacres et les déportations
massives de populations opérés par l'armée colombienne
et ses alliés paramilitaires renforce l'évidence: les brutes sont
des brutes parce qu'elles sont des brutes. Point.
Quant au Truand, il sera soumis à la force du syllogisme aristotélicien.
Puisque le truand se refuse à appeler les brutes par leur nom, et puisque
les brutes sont des brutes…pardon, des terroristes, alors le truand est
lui-même un terroriste. Point.
Et un terroriste sans scrupule, car, selon Le Monde, la demande d'Hugo Chavez
de considérer la FARC et l'ELN comme des groupes belligérants
permettrait en fait "aux guérillas colombiennes de trouver un soutien
officiel au Venezuela"[2]. Le journal
Libération, quant à lui, évoque la possibilité pour
le gouvernement vénézuélien de vendre des armes à
la FARC [3], dès lors que celle-ci serait considérée comme
ce qu'elle est: une armée.
Evidement, cette version moderne du manichéisme des westerns hollywoodiens
divisant le conflit entre la bonne vision d'Uribe et la mauvaise gestion du
président Chávez ne résiste pas une seconde à une
observation objective de la situation politique et militaire en Colombie.
Imaginons un autre scénario où notre Clint Eastwood colombien
soit accusé par l'hebdomadaire étatsunien Newsweek dans son édition
du 09/08/2004 (publication que l'on ne peut qualifier de brûlot gauchiste)
d'avoir maintenu des liens étroits avec le trafiquant de drogue Pablo
Escobar et le Cartel de Medellin; accusation qui s'appuie sur des documents
déclassifiés du Pentagone. Imaginons qu'au lieu de défendre
la veuve et l'orphelin enlevés par les brutes, celui-ci organise des
opérations militaires et bombarde la zone où les otages doivent
être libérés, comme l'a révélé Consuelo
Gonzalez.
On pourrait même rajouter à ce scénario que le Bon, qui
refuse de reconnaître que les brutes disposent d'une véritable
armée, a consacré 6.5% de son produit intérieur brut (PIB)
en dépenses militaires, en plus de l'aide étasunienne liée
au Plan Colombie. C'est une forte somme pour un pays où il n'y a ni guerre
ni armée rebelle. A titre de comparaison, le royaume d'Espagne, pourtant
engagé dans les guerres d'Iraq et d'Afghanistan en 2003, consacrait pour
cette année-là, 1.3% de son PIB aux dépenses militaires.
Imaginons un scénario comme celui-ci, et dans le meilleur des cas, le
public aura décroché depuis belle lurette au vue de la complexité
du problème, dans le pire des cas, on peut penser que le Bon serait alors
considéré comme un bandit de grand chemin.
Il est donc plus commode politiquement pour les entreprises de communication
françaises de réduire le conflit colombien et les enjeux d'un
accord humanitaire à une vision manichéenne aussi éloignée
de la réalité que le président colombien ne l'est de la
recherche d'une solution réelle au conflit qui ravage ce pays.
Pour avoir une idée plus claire, il faut déjà admettre
que Chavez n'est pas un truand compromis avec la mafia malgré ce que
laisse entendre la photo, et la légende qui lui correspond, qui introduit
le reportage de Paris-Match consacré à Alvaro Uribe [4]. Il faut
aussi reconnaître qu'à la différence de son homologue colombien,
il fut confortablement élu lors des élections présidentielles
de décembre 2006. A titre d'exemple, Chavez et Uribe ont été
élus avec quasiment le même nombre de voix, autour de 7.200.000
voix. A la différence près qu'au Venezuela, il y a 26 millions
d'habitants et en Colombie 45.000.000; sans compter quelques millions de déplacés
qui ont du fuir hors des frontières de ce pays.
Il faut avoir en mémoire qu'à la différence des manipulations
politiciennes d'Uribe faisant modifier la loi approuvant la réélection
du président par un Congrès acquis à sa cause, Chavez a
proposé cette même modification constitutionnelle en referendum
populaire. Referendum perdu et accepté comme tel. Il est aussi nécessaire
d'avoir à l'esprit, qu'à la différence du Venezuela, où
le spectre audiovisuel est acquis à l'opposition, la Colombie ne dispose
d'aucune chaîne critique à l'égard de son président.
Admettons donc que le Bon ne soit pas bon, et que le Truand n'en est pas un.
Qu'en est-il des Brutes? Sont-ils des brutes, ou une armée de brutes?
C'est bien là le cœur du problème.
La FARC existe depuis 48 ans et de multiples rencontres entre cette guérilla
et des personnalités internationales du monde politique et économique
(notamment avec le président de Wall Street en 1999) avaient régulièrement
lieu avant la présidence d'Uribe. Avec la classification de la FARC et
de l'ELN comme groupes terroristes après les évènements
du 11 septembre 2001, la volonté "d'exterminer" la guérilla
s'est substituée à la possibilité de trouver une sortie
négociée au conflit colombien. Or ni Alvaro Uribe ni ses prédécesseurs
ne peuvent affirmer aucun succès militaire réel lorsqu'ils se
sont engagés dans cette voie. Car pour mettre un terme à la guerre,
il faut déjà reconnaître qu'il y ait une guerre. Pour négocier
la paix, il faut déjà reconnaître des interlocuteurs aptes
à la négociation.
Comble de l'absurde, un article de Paolo A. Paranagua dans le Monde datant du
13 août 2008. On y apprend qu' "à Bogota, trois procureurs
enquêteurs spécialisés, au Parquet, dans les droits de l'homme,
ont bien voulu répondre à nos questions sous couvert de l'anonymat.
Ils estiment que les FARC violent les Conventions de Genève et le droit
international humanitaire." [5] Nous ne pouvons que féliciter Paranagua
pour avoir respecté l'anonymat de ses sources, parce que dans le cas
contraire, ces procureurs spécialisés auraient dû repasser
leurs examens puisque les conventions de Genève s'appliquent aux conflits
armés, ce qui officiellement n'est pas le cas de la Colombie. Soit il
s'agit de Brutes, soit d'une armée participant à un conflit et
devant se soumettre aux Conventions de Genève, et avec laquelle une sortie
de la guerre est juridiquement possible.
La proposition du président Chávez de reconnaître la FARC
et l'ELN comme force belligérante s'inscrit dans la volonté du
gouvernement vénézuélien de contribuer à la recherche
de la paix, tant espérée par le Peuple colombien. Cette proposition
appuyée par Amnesty International, a pour but de jeter les bases d'un
échange humanitaire et d'un accord de paix entre deux forces militaires
qui combattent depuis près de cinquante ans. Réduire la perspective
humanitaire de Caracas au scénario du Bon, de la Brute et du Truand tel
que nous l'ont exposé les media français, est une tergiversation
malsaine qui légitime le recours aux atrocités de la guerre que
prônent Alvaro Uribe et son gouvernement.
Pour en finir avec la guerre qui ensanglante la Colombie depuis la mort de Jorge
Eliécer Gaitán, la seule solution est une négociation,
dont la reconnaissance des groupes guérilleros n'est que le premier pas.
Privilégier cette option, lancée par le président Hugo
Chávez, délivrerait le Peuple Colombien, prisonnier depuis trop
longtemps des prétentions belliqueuses de ses gouvernements. Que cela
plaise aux media français, ou non !
Romain Migus.
(1) Michel Peyrard,
"Le double visage d'Alvaro Uribe", Paris-Match.
(2) Paolo A. Paranagua, "La Colombie demande le soutien de l'Europe dans
l'affaire des otages", Le Monde, 22/01/08.
(3) Michel Taille, "Uribe plaide sa cause anti-FARC", Libération,
22/01/08.
(4) Michel Peyrard, "Le double visage d'Alvaro Uribe", Paris-Match.
Sur la photo, on peut voir le président colombien lire un reportage mensonger
de Paris-Match présentant Hugo Chávez comme le chef d'une famille
mafieuse. La légende qui accompagne cette photo est sans équivoque.
Elle rapporte les propos d'Uribe parcourant l'article calomnieux: "Et dire
que, quand je me rends à Caracas, on me traite d'assassin…"
(5) Paolo A. Paranagua, Les deux ex-otages colombiennes dénoncent les
méthodes des FARC, Le Monde, 13/0108
http://cbparis.over-blog.com/article-16149893.html
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