Portrait du président Uribe
Hernando Calvez Ospina
Chapitre 16 Portrait du Président
1. Le narco- paramilitarisme entre au Parlement.
Ce fut un véritable « bulletin de guerre
triomphal ». Les élections législatives du 10 mars 2002
venaient de se dérouler quand le narco-paramilitaire Salvatore Mancuso
se félicita sur Internet du fort pourcentage de candidats élus
qui communiaient avec les « idéaux » paramilitaires. «
Nous pouvons affirmer, chiffres en main, que notre objectif des 30 % a été
largement dépassé, ce qui constitue une date marquante de l’histoire
des AUC […] C’est pour nous un motif d’immense satisfaction
que les candidats ayant nos préférences, issus dans leur majorité
de nos bases sociales et politiques et donc fruits du vaste et solide travail
de formation réalisé par les Autodéfenses, aient obtenu
le soutien massif des électeurs ».
Le dirigeant libéral Carlos Lemos Simmons, qui pourtant ne s’était
jamais fermement opposé au paramilitarisme, a déclaré face
à de tels résultats électoraux: « Cela veut dire
qu' aujourd’hui les Autodéfenses forment la majeure partie
du Congrès et y sont la force la plus importante […] Mais ce qui
est le plus effrayant dans cette affaire, c’est l’indifférence
avec laquelle le pays a reçu l’annonce de tels résultats.
Un événement de cette gravité n’a pas soulevé
la plus minime réaction de la part des médias, des syndicats patronaux,
du gouvernement, de l’Eglise, de la dite société civile
ou de la communauté internationale […] Des considérations
électorales indignes ont fait que ce qui était tenu pour haïssable
et mauvais hier est devenu avantageux et bon aujourd’hui » (1).
Le ministre de l’Intérieur d’alors, Armando Estrada Villa,
a confirmé les paroles de Mancuso sans toutefois annoncer de quelconques
mesures à cet égard: « L’analyse qui a été
faite de ces personnes, leur élection, les circonscriptions où
ils furent élus se trouvant être des endroits où les paramilitaires
sont influent, ,tout cela permet d’arriver à la conclusion que
les paramilitaires ont donné l’ordre de voter pour ces candidats
ou qu' ils sont arrivés à s’entendre pour que des pressions
soient exercées sur les communautés afin qu' elles portent
leurs voix sur les noms qu' ils avaient choisis » (2).
Tout le monde savait que dans les régions où les paramilitaires
commandaient, les hommes politiques leur avaient versé 100 millions de
pesos pour l’obtention d’un fauteuil au Sénat. « Comme
monnaie d’échange, les seigneurs de la guerre garantissaient à
leurs protégés qu' ils n’auraient pas de compétiteurs
dans leurs circonscriptions et que le peuple voterait massivement pour eux le
jour du scrutin. Les élus, en échange de leur « aval »,
fermèrent les yeux sur leurs activités et allèrent même
jusqu' à adjudiquer à leurs sociétés des contrats
publics » (3).
L’establishment savait que ces élections allaient être la
concrétisation d’une avancée décisive de la paramilitarisation
de l’Etat vu qu' on avait tout préparé pour cela. Le
jour même du scrutin, Francisco Santos Calderon, qui allait être
élu vice-président de la Colombie quelques mois plus tard, avait
écrit dans son journal El Tiempo: « […] ce qui est certain,
c’est que le Congrès que nous allons élire sera encore pire
que celui que nous avons aujourd’hui. Il va être, à quelques
exceptions près, un Congrès à la solde des caciques politiques
traditionnels, des « narcos » et des paramilitaires ». Il
ne s’agissait pas d’une prophétie mais de paroles prononcées
en connaissance de cause.
On n’a pas même ouvert la plus modeste enquête officielle
pour vérifier le genre de relations que certains parlementaires auraient
entretenu avec les paramilitaires. Et, à l’inverse des élus
de l’Union Patriotique et d’autres partis politiques de gauche ou
de formations simplement critiques à l’égard du système,
ces paramilitaires n’ont pas été les victimes d’un
plan d’extermination. Les défenseurs du système se tuent
rarement entre eux!
2. Uribe Velez, un passé qui sent le trafic
de drogue.
après la publication d’une série d’enquêtes
qu' il avait menées sur les connections pouvant exister entre le
narcotrafic, le paramilitarisme et le candidat de l’époque à
la présidence, Alvaro Uribe Velez, Fernando Garavito Pardo, chroniqueur
à El Espectador, a reçu des menaces de mort qui l’ont contraint
à s’exiler en mars 2002 (4).
Ses révélations ont coïncidé avec celles d’Ignacio
Gomez Gomez qui a dû, lui aussi, quitter la Colombie pour des raisons
identiques. Lorsqu' il reçut, en 2002, le Prix International de
la Liberté de la Presse attribué par le Comité Mondial
pour la Protection des Journalistes, CPJ, il a expliqué qu' il devait
cette récompense au « travail sur les antécédents
qui relient Alvaro Uribe Velez au Cartel de Medellin. Il s’agissait d’une
enquête divisée en cinq parties. L’une d’elles se rapportait
à la coïncidence qui fit qu' au moment où Pablo Escobar
siégeait au parlement et s’occupait énormément d’activités
politiques ou de prosélytisme dans les quartiers pauvres de Medellin,
Alvaro Uribe en était le maire et y réalisait des programmes forts
parallèles à ceux de Pablo Escobar. Ensuite, Alvaro Uribe fut
directeur de l’Aviation Civile. Avant lui, de 1954 à 1981, 2 339
licences avaient été accordées par l’Etat, alors
qu' en 28 mois d’exercice, il réussit, lui, à en concéder
2 242, soit presque autant que pendant les 35 années précédentes,
avec la circonstance aggravante qu' un très grand nombre de licences,
200 environ, est tombé aux mains du Cartel de Medellin […] On a
trouvé l’hélicoptère [du père] au moment de
l’héritage de ce dernier dans le laboratoire extrêmement
fameux de Pablo Escobar appelé Tranquilandia. L’hélicoptère
appartenait à [Alvaro] Uribe et à son frère. Il y avait
aussi une relation étroite entre le père d’Uribe et le clan
Ochoa, une famille très importante du Cartel de Medellin. Et la dernière
partie [de la série] a été le moment où Pablo Escobar
s’est évadé de prison et a essayé de passer un nouvel
accord avec le gouvernement et où la personne chargée d’arriver
à cet accord a été Alvaro Uribe Velez […] Sur les
cinq enquêtes, nous n’avons réussi à en publier qu' une,
celle qui se rapporte à l’hélicoptère. Et le jour
où nous l’avons publiée, le président s’est
mis excessivement en colère, il m’a insulté à la
radio… ».
Les menaces commencèrent alors contre lui, contre le directeur du journal
télévisé et contre leurs familles. La série fut
arrêtée et plus aucune télévision n’accepta
de la diffuser ni en Colombie ni à l’étranger…
C’est de cette manière que l’on apprit que l’actuel
président de la Colombie avait passé les premières années
de sa vie au sein d’une famille de la classe moyenne qui avait régulièrement
des problèmes d’argent. Cette situation changea radicalement un
beau jour, quand le père, Alberto Uribe Sierra, se mit à faire
des affaires comme agioteur ou, pour utiliser une expression plus appropriée
selon les investigateurs, comme homme de paille. C’est-à-dire qu' il
fut le propriétaire factice de biens appartenant à des trafiquants
de drogue, activité qu' il inaugura pour les caïds du clan
Ochoa, des parents de son épouse. Les Uribe commencèrent à
accumuler leur propre fortune ainsi que leurs propres grandes exploitations
rurales. « Uribe Sierra était tellement plongé dans un monde
de trafics hallucinants que, racontait un de ses amis, il pouvait s’endormir
un jour à la tête de 23 propriétés ou de 10 et se
réveiller le lendemain en en ayant 41 » (5).
Un vrai tour de magie! Et, quel hasard, en Colombie on surnomme les «
narcos » des « magiciens »!
Malgré ses hautes responsabilités, le président Uribe Velez
ne s’est jamais expliqué avec objectivité sur l’origine
de sa grande fortune. Les fois où il fut contraint d’aborder cette
question, il le fit avec des phrases creuses sans rien dire de précis.
Dès qu' un journaliste le presse de questions, il fait preuve d’agressivité.
Aucune autorité ne s’est décidée à enquêter.
Le père du président est mort en juin 1983, au cour de l’attaque
de son hacienda par les FARC. Les Uribe disent que les guérilleros voulaient
le kidnapper et qu' il s’était retranché chez lui pour
les en empêcher. Nous avons lancé cette attaque pour flanquer par
terre le camp d’entraînement militaire qui s’y trouvait, assurèrent
les guérilleros. Voici la partie dramatique de l’histoire. après
avoir appris l’attaque, Alvaro Uribe Velez décida de se rendre
sur les lieux en hélicoptère pour tenter de sauver son père
et ses frères. Interrogé à ce sujet, il répondit:
« Je suis monté dans le premier hélicoptère qu' ils
se sont procurés, la nuit étant presque tombée […]
L’autre jour, le journal El Mundo a dit que l’hélicoptère
appartenait au richissime Pablo Escobar » (6).
Selon les informations parues dans la presse, l’appareil était
l’un des plus modernes du pays pour la haute technologie de ses instruments
de navigation et, de ce fait, le « richissime » ne le prêtait
pas à n’importe qui.
Quand il était maire de Medellin, Uribe Velez présenta à
Bogota, dans un grand concert médiatique, le programme « Medellin
sans taudis ». Tout juste après, l’on sut qu' il s’agissait
d’un plan doté d’un un sens civique évident financé
par Escobar Gaviria qui recherchait la solidarité sociale et l’acceptation
politique. Ledit programme consistait à construire mille maisons pour
les donner aux familles qui dormaient dans des bicoques près d’une
décharge d’ordures.
Les étranges « concours de circonstances » qui relient le
président Uribe Velez à certains caïds du trafic de stupéfiants
ne se sont pas arrêtés là. En mars 1984, la police arriva
au laboratoire du traitement de cocaïne, considéré le plus
grand et le plus moderne au monde, connu sous le nom de Tranquilandia, dont
le propriétaire majoritaire était Escobar Gaviria. S’y trouvaient
plusieurs appareils d’aviation dont trois avaient des licences de vol
délivrées par l’Aéronautique Civile du temps où
son directeur était Alvaro Uribe Velez (mars 1980, août 1982).
On découvrit aussi un hélicoptère dont les frères
Uribe Velez avaient hérité…
En dépit de tous ces faits, le président affirma avec insistance:
« Je n’ai pas eu de relations avec Escobar, pas même à
l’époque où il était fréquentable »
(7).
après avoir quitté la direction de l’Aéronautique,
le futur président colombien fut élu gouverneur du département
d’Antioquia. Du haut de cette charge, il devint le promoteur et l’incitateur
principal des Coopératives de Sécurité Rurales, «
Vivre ensemble ». Carlos Castaño Gil, chef paramilitaire, devait
dire qu' Uribe Velez réussit à « faire prospérer
des coopératives de Sécurité avec lesquelles je n’avais
jamais été d’accord. Je ne vais pas nier qu' elles
rendaient service aux Autodéfenses, mais avec elles, on n’a pas
tellement avancé. Ce sont les trafiquants de drogue qui en ont profité
lorsqu' ils se sont occupés de monter de petites « Vivre ensemble
» sur leurs terres » (8).
Le 30 juillet 2004, le Président de la Colombie réfuta publiquement
un document émanant de la Defense Intelligence Agency (DIA), une dépendance
du Pentagone qui est un des services de sécurité les plus secrets
et les plus puissants des Etats-Unis. Ce rapport qui avait été
déclassifié au mois de mai précédent, disait dans
l’alinéa 82: « Alvaro Uribe Velez – un politicien et
sénateur colombien qui se consacre à la collaboration avec le
cartel de Medellin à un haut niveau gouvernemental. Uribe était
lié à une entreprise impliquée dans des activités
de narcotrafic aux Etats-Unis. Son père a été assassiné
en Colombie, en raison de ses liens avec les narcotrafiquants. Uribe a travaillé
pour le cartel de Medellin et c’est un ami proche de Pablo Escobar Gaviria
» (9).
Le communiqué de la Présidence n’a présenté
aucun argument capable de démentir de façon catégorique
une révélation d’une telle gravité. Par contre, il
a essayé de faire débouter le rapport de la DIA sous prétexte
qu' « il s’agit d’une information qui n’a pas été
vérifiée », ce que dit effectivement le texte: « Not
finally evaluated ». Ce qui est frappant, c’est que cette information
a bel et bien été utilisée au cours d’enquêtes
et de procès afin de mettre en cause de nombreux narcotrafiquants dont
la description figurait dans ses pages…
3. Les parents du président…
« Je n’en ai pas la moindre idée, je
n’en ai rien su », a répondu le président Uribe Velez
au journaliste qui le questionnait. Pas un mot de plus. La veille, le 21 juin
2005, au cours d’une session du parlement, le congressiste Gustavo Petro
Urrego avait affirmé que, Santiago, le frère du président
colombien avait été mis en examen par la justice pénale
pour création d’un groupe paramilitaire et assassinats de plusieurs
paysans. « Dans des procédures judiciaires anciennes, le frère
du président de la république fait figure d’accusé
pour avoir autorisé, protégé et établi des groupes
paramilitaires » soutenait Petro Urrego.
Un groupe paramilitaire appelé « Les douze apôtres »
avait été basé dans l’hacienda « La Carolina
», dans le département d’Antioquia, dont les frères
Uribe Velez sont les copropriétaires. En 1997, le ministère Public
avait interrogé le frère du président au sujet de délits
criminels, d’enlèvements de personnes, d’extorsion de fonds
et assassinats commis entre 1993 et 1994 par « Les douze apôtres
». Le groupe paramilitaire avait été accusé d’avoir
assassiné 50 personnes et d’avoir perpétré le massacre
d’un groupe de six personnes dont deux sont toujours portées «
disparues » alors que les corps des quatre autres ont été
retrouvés. Sur ce cas, une plainte a été déposée
auprès de la Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme.
Le soir même de la dénonciation faite par le parlementaire, le
procureur Luis Camilo Osorio confirmait que le frère du président
avait fait l’objet d’une instruction en 1999 mais en indiquant qu' un
« arrêt inhibitif [avait été rendu] en faveur de Monsieur
Uribe Velez et qu' on avait ordonné le classement définitif
» de l’affaire, la même année.
Petro Urrego mit l’accent sur le fait qu' il est du devoir d’Alvaro
Uribe Velez, en tant que président, « d’expliquer à
toute la Colombie ce qui s’est passé pendant la procédure
judiciaire ouverte contre son frère et ce qui le reliait directement
au paramilitarisme et à des crimes contre l’humanité…
».
Le parlementaire dénonça aussi le fait que trois parents du président
colombien, dont deux de ses cousins germains, avaient commandé une autre
bande paramilitaire connue sous le nom de « Los Erre » et soupçonnée
d’avoir assassiné une cinquantaine de personnes dans plusieurs
communes du département d’Antioquia. Ces parents furent condamnés
en première instance et furent incarcérés pendant près
d’une année, jusqu' à ce qu' un juge d’appel
les remette en liberté et archive le dossier pour insuffisance de preuves.
Les parents du président, Carlos Alberto Velez Ochoa, Juan Diego Velez
Ochoa et Mario Velez Ochoa, sont aussi de la famille des caïds Ochoa…
« Je proteste contre Uribe qui a l’audace de défendre une
loi qui réclame l’impunité des paramilitaires alors qu' il
sait que ses proches parents sont poursuivis pour paramilitarisme… ».
Telles ont été les paroles accusatrices que Petro Urrego lança
pendant la fameuse session du Parlement colombien, couronnée par le vote
de la dénommée « Loi de Justice et de Paix » qui confère
un statut politique aux narco-paramilitaires qui sont en « négociation
» avec le gouvernement du président Uribe Velez. Une loi qui devrait
profiter à sa famille…
Notes du chapitre 16
(1)
El Tiempo. Bogota, 28 mars 2002.
(2) El Colombiano. Medellín,
24 avril 2002.
(3) « Los tentáculos
de las AUC ». Semana. Bogota, 10 juillet 2005.
(4) Garavito et le correspondant
pour l’Amérique Latine de la revue étasunienne Newsweek,
Joseph Contreras, ont publié Biografía no autorizada de Alvaro
Uribe Velez. (El señor de las Sombras). Ed. Oveja Negra. Bogota, 2002.
Cet ouvrage est disponible gratuitement en espagnol sur le site: www.arlac.be/2007/biografia_auv.pdf
(5) El Mundo. Medellín,
16 juin 1983.
(6) El Tiempo. Bogota,
21 avril 2002.
(7) El Tiempo. Bogota,
21 avril 2002.
(8) Aranguren Molina,
Mauricio. Op.cit.
(9) L’information
complète est disponible sur le site: http://www.gwu.edu/~nsarchiv/NSAEBB/NSAEBB131/index.php
transmis par www.michelcollon.info
Contact : Karine Alvarez
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