Les FARC répondent aux questions et aux critiques
Rodrigo Granda
— Les FARC se considèrent comme un mouvement
politico-militaire qui mène une guerre sociale insurrectionnelle contre
l’Etat colombien. A ce titre, elles capturent des policiers, des soldats,
des officiers et des mercenaires. Elles ont également décidé
de séquestrer des personnalités civiles représentatives
de l’appareil d’Etat colombien. Enfin, elles ont enlevé aussi
des civils dont la libération a été conditionnée
au payement d’une rançon. Si personne ne peut contester qu' une
armée emprisonne des combattants adverses, comment les FARC peuvent-elles
justifier l’incarcération de civils ? Ne pensent-elles pas que
de telles pratiques tendent à les isoler de larges secteurs de l’opinion
publique colombienne opposés au gouvernement ?
Effectivement, les FARC-EP sont un mouvement politico-militaire
usant du juste droit à la rébellion contre un Etat qui pratique
une démocratie de façade. Nous répondons à une guerre
qui nous a été imposée par les hautes sphères du
pouvoir colombien. Durant des décennies, le terrorisme d’Etat a
été utilisé comme méthode d’extermination
contre nous et notre peuple. Dès lors, et tout le monde le sait bien,
une telle guerre a besoin de financement. Ce conflit nous a été
imposé par les riches de Colombie : ils doivent donc financer cette guerre
qu' ils ont eux-mêmes déclenchée. C’est pour
cela que les FARC capturent des personnes, libérées en échange
d’une somme d’argent qui est de fait un impôt. Cet argent
est destiné au financement de l’appareil de guerre du peuple.
Comme vous le savez, nous parlons de la construction d’un
nouveau pouvoir et d’un nouvel Etat. En Suisse, en France, ou aux Etats-Unis,
si quelqu' un ne paie pas ses impôts, il va nécessairement
en prison. Le nouvel Etat que nous sommes en train de forger a décidé
le paiement d’un impôt pour la paix. Cela signifie que toute personne
physique ou morale, de même que les entreprises étrangères
qui sont établies en Colombie et réalisent des bénéfices
supérieurs à un million de dollars par an, doivent s’acquitter
d’un impôt pour la paix représentant 10% de leurs gains.
Les débiteurs sont informés qu' ils doivent entrer en discussion
avec les responsables financiers des FARC et acquitter cette somme. Si ces personnes
ne le font pas, elles sont alors arrêtées et emprisonnées
jusqu' à ce qu' elles aient effectué leur paiement,
avec lequel nous assumons les charges du nouvel Etat, construit et dirigé
par les FARC, agissant comme armée du peuple.
Evidemment, au cours des opérations militaires, les
FARC capturent des officiers, des sous-officiers, des policiers et des soldats
- actuellement détenus comme prisonniers de guerre. Dans ces affrontements,
il arrive aussi que l’ennemi capture des prisonniers de notre bord qui,
après des jugements sommaires et truqués, purgent des condamnations
très lourdes dans les différentes prisons du pays. Malheureusement,
cela est normal dans le contexte de la guerre. Quoi qu' il en soit, dans
un conflit aussi aigu que celui de la Colombie, il est possible que certaines
détentions de civils ne soient pas bien vues par la population de manière
générale. Néanmoins, nous considérons qu' en
ayant publié la loi 002, selon laquelle certaines personnes et entités
économiquement puissantes doivent payer l’impôt pour la paix,
nous les avons dûment avisées et qu' elles peuvent entrer
en discussion et régler leur situation dans les délais impartis.
Si nous obtenons cela, il est indubitable que les arrestations diminueront.
Quant au fait que cela nous éloigne de la population
civile, cela se peut, mais ne va sûrement pas être déterminant,
parce que de larges secteurs de la population colombienne savent parfaitement
que généralement, les FARC-EP ne détiennent que des personnes
économiquement solvables. Il ne s’agit, en aucune manière,
de détenir des gens au hasard. Concernant les prisonniers de guerre,
nous les gardons en prévision d’un échange humanitaire,
que nous espérons très proche. Nous n’oublions pas de tenir
compte du fait, qu' en Colombie, la justice et les juges spéciaux
imposent de fortes condamnations à de nombreux guérilleros et
guérilleras arrêtés – qui ont eu la chance de ne pas
être assassinés lors de leur capture – : ces condamnations
équivalent pratiquement à des emprisonnements à vie. Car,
dans notre pays, la justice est une justice de classe et s’applique comme
telle : ceux qui font usage du juste droit à la rébellion sont
condamnés comme " terroristes " ou " auteurs de séquestration
" : les sentences contre les révolutionnaires oscillent entre 40
et 80 années de prison. Ainsi, l’impôt est une nécessité
dictée par la situation actuelle de guerre que vit la Colombie. Nous
voudrions ne détenir aucune personne, ni civile – même issues
des sommets de l’oligarchie -, ni militaire... Mais la confrontation quotidienne
dans notre pays impose que les choses se passent de cette manière, et
non comme nous le souhaiterions.
— Le financement de la lutte armée dépend
en large partie de l’impôt révolutionnaire prélevé
sur la culture de la feuille de coca et sur la production de pâte base,
et dans une certaine mesure aussi des enlèvements contre rançon.
Si un processus de paix débutait, la guérilla pourrait-elle se
passer de ces sources de financement sans mettre en péril son autonomie
politique et organisationnelle ? En d’autres termes, n’existe-t-il
pas à l’intérieur de votre mouvement des forces qui tendent
à défendre le statu quo par crainte que la démobilisation
prive les FARC de sources de revenus décisives et que cela conduise à
leur marginalisation ?
Premièrement, il faut dire que les FARC-EP ont toujours
été un mouvement autarcique, c’est-à-dire qu' elles
ont vécu de leurs propres ressources et n’ont jamais dépendu
– ni hier ni aujourd’hui – et ne dépendront jamais
d’aucun financement d’origine étrangère. Comme FARC-EP,
nous avons réussi à développer initialement une économie
de subsistance avant de développer des facteurs de production qui permettent
le maintien de notre mouvement. Les FARC-EP existaient en Colombie bien avant
le développement du narcotrafic ou la mise en oeuvre d’une politique
logistique de capture systématique de personnes, qui sont des choses
conjoncturelles. Avec les années, les FARC-EP ont diversifié leur
financement grâce à des investissements de tous ordres : dans des
opérations financières à l’intérieur et à
l’extérieur du pays, dans la production agricole, l’élevage,
la mine, le transport et bien d’autres secteurs productifs.
Il est indéniable que la Colombie a été
transfigurée par des politiques néolibérales imposées
par la terreur, qui ont ruiné les campagnes, dans un pays producteur
de feuilles de coca pour l’élaboration de la cocaïne, et cela
a obligé des milliers et des milliers de familles paysannes pauvres à
tirer leur subsistance de cette économie pour ne pas mourir de faim face
à la destruction de leurs cultures traditionnelles de café, de
maïs, de bananes, de sorgho, de coton, etc.
Les FARC-EP sont un mouvement principalement rural et nous
sommes en contact direct avec cette réalité, mais nous n’avons
pas les moyens d’obliger les gens à abandonner ces plantations
dites illicites sans leur donner une alternative. Lors du dialogue de el Caguán
(1999-2002) [1], le gouvernement
de M. Pastrana, à l’initiative de notre organisation, avait organisé
la première conférence publique internationale pour le remplacement
des cultures dites " illicites " et la protection de l’environnement.
L’Union européenne, le Japon, le Canada, ainsi que l’ONU,
le Groupe des pays amis du processus de paix en Colombie et les pays accompagnateurs
de ce dialogue ont participé à ces rencontres. Les Etats-Unis
avaient été conviés, mais ils ont décliné
cette invitation. A cette occasion, les FARC ont présenté un projet
viable pour l’éradication des plantations de feuilles de coca dans
les municipes de Cartagena del Chairá et du Caquetá, qui vouaient
alors quelques 8 000 hectares à cette activité.
Nous aurions voulu obtenir que la communauté internationale
s’engage en faveur d’une alternative à la répression
et qu' on réalise des investissements sociaux dans cette région
afin d’y développer un " laboratoire expérimental "
en vue de la recherche de solutions pour supprimer ces cultures, qui auraient
pu être étendues ensuite à d’autres zones du pays,
et si possible du continent : en Equateur, au Pérou, en Bolivie. Cette
proposition est toujours valable. Nous croyons aussi que la légalisation
de la drogue contribuerait à la solution du problème. Des économistes
comme Friedman et une revue aussi prestigieuse que The Economist le reconnaissent
d’ailleurs. Il y a des raisons à cela : comme il s’agit d’un
commerce clandestin, la rotation du capital est impressionnante. Actuellement,
on calcule que le produit mondial du narcotrafic représente 680 milliards
de dollars et il n’est pas de crime qui ne soit pas commis pour s’approprier
cette énorme quantité d’argent.
Il s’agit tout d’abord d’un problème
économique, puis politique, et aussi éthique, mais si les énormes
profits disparaissaient, l’incitation fondamentale que sont les gains
sur investissements disparaîtrait et les Etats pourraient contrôler
ce marché. Quelque chose de semblable à ce qui est arrivé,
toutes proportions gardées, avec la fin de la prohibition aux Etats-Unis
à l’époque de la mafia d’Al Capone et Cie, dans les
années 20. Il doit être clair – et nous l’avons démontré
face à notre nation et à la communauté internationale –
que les FARC-EP ne sont en aucune manière des narcotrafiquants et qu' elles
ne sont mêlées ni à la production, ni au transport, ni à
la commercialisation, ni à l’exportation de narcotiques. Au contraire,
nous sommes disposés à travailler avec la communauté internationale
et même avec le gouvernement des Etats-Unis à la solution de ce
grave problème.
Notre organisation a imposé le prélèvement d’un impôt
aux acheteurs de pâte de coca qui doivent pénétrer dans
les zones où ces cultures existent et où nous sommes présents
; et cet impôt représente une forme de contrôle par rapport
aux abus commis à l’encontre des paysans cultivateurs. Ensuite,
nous n’exerçons pas de fonctions de police. C’est à
l’Etat colombien de contrôler ces zones et, jusqu' à
présent, il a été incapable de le faire en dépit
des milliers de millions de dollars investis par le gouvernement des Etats-Unis
pour en finir avec ce trafic qui affecte le monde.
De plus, il faut tenir compte du fait que les revenus générés
par cet impôt représentent une fraction infime des coûts
de l’appareil militaire des FARC-EP. En ce qui concerne la détention
de personnes, il faut dire que leur produit aide aussi au maintien économique
des FARC, mais ce n’est pas décisif. L’objectif ultime des
FARC-EP n’est pas le " confort " de son personnel dirigeant,
de sa hiérarchie ou de ses combattant-e-s. Pour nous, l’argent
est un moyen, quelque chose qui peut contribuer à la concrétisation
du but politique et stratégique des FARC-EP, soit la prise du pouvoir
pour effectuer des changements politiques, économiques, sociaux, écologiques
et de tout ordre, dont le pays a besoin et qu' il réclame. Le financement
est donc un moyen pour arriver à de telles fins. Personne des FARC-EP
n’aspire à devenir multimillionnaire ; c’est l’une
de nos grandes différences avec les narcotrafiquants et les paramilitaires
qui cherchent à s’enrichir personnellement et à " mener
la grande vie ".
Quant à une possible démobilisation - à laquelle vous faites
allusion -, cela n’entre pas dans les calculs immédiats des FARC-EP.
Imaginez-vous que nous n’avons plus aucun contact avec le gouvernement
Uribe. Si nous parvenions à une hypothétique situation d’arrêt
de la guerre et devions passer à un autre type d’actions, les FARC-EP
disposent d’un " plan B ". Mais nous parlons ici de suppositions,
alors que la réalité est bien différente.
Enfin, les FARC-EP ne font pas la guerre par plaisir. Nous
avons dit que si le cadre politique ambiant change et que les conditions pour
mener une politique large, légale, sans crainte de représailles
ou d’assassinats existent, si la voie est ouverte à une démocratie
réelle, nous pourrions alors penser à changer la forme actuelle
de confrontation militaire pour répondre à la nouvelle donne.
Durant tout le mandat présidentiel de M. Uribe, et bien avant, les FARC-EP
ont dû faire une opposition politique et militaire au régime, parce
qu' il n’existait aucune autre manière de pouvoir exprimer
notre pensée. La bourgeoisie colombienne est une bourgeoisie sanguinaire,
rétrograde, qui ne comprend que le langage des armes. Si nous n’avions
pas répondu à l’agression, elle nous aurait déjà
marqués au fer rouge et enchaînés, comme à l’époque
de l’esclavage...
— Les récentes mobilisations de masse contre
la violence et les séquestrations ont fait porter la responsabilité
aussi bien sur le gouvernement que sur les insurgés. Ces mobilisations
ne représentent-elles pas un revers pour la gauche, dans la mesure où
Alvaro Uribe a su en tirer parti pour détourner l’attention du
public par rapport à son implication dans les scandales de la parapolitique
?
Comme vous le dites vous-même, ces mobilisations ont
le sens d’un rejet de la violence, et plus particulièrement de
la violence officielle et paramilitaire. Le peuple colombien est bien sûr
fatigué de l’affrontement militaire, mais quel peuple ne le serait
pas après 40 ans de guerre imposés par le régime en place.
M. Alvaro Uribe a essayé de capitaliser un mouvement auquel ont pris
part des secteurs populaires très proches des FARC-EP, et même
des membres de notre organisation. On pouvait voir dans ces mobilisations des
pancartes exigeant l’échange humanitaire des prisonniers, la recherche
du dialogue pour une issue politique au conflit social et armé que vit
le pays. Si vous analysez les bulletins de la presse, de la radio ou de la télévision,
vous constaterez que la plus grande part des éditorialistes du pays ont
critiqué l’opportunisme politique du gouvernement. Il faut en outre
rappeler que dans la ville de Cali, il y a eu un affrontement public entre le
ministre de l’Intérieur et l’un des parents des 11 députés
tués lors de la tentative manquée de sauvetage militaire, ordonnée
par le gouvernement, le 18 juin 2007. Enfin, il n’est pas certain que
le président Uribe ait capitalisé ces mobilisations. Au contraire,
les derniers sondages d’opinion effectués après cet événement
montrent que l’image de M. Uribe est usée et " en chute libre
", et ceci pour la première fois depuis son accession à la
présidence [2002].
Quant au problème de la parapolitique [2],
il a été dénoncé depuis plus de vingt ans par le
journal Voz, l’organe du Parti communiste de Colombie, par les FARC-EP
et par des démocrates de tout le pays. Néanmoins, l’Etat
colombien a toujours ignoré ces dénonciations. Il y a un an et
demi, j’ai eu l’occasion de parler - dans la prison de haute sécurité
de Combita, où j’étais alors détenu - avec le responsable
pour la paix du gouvernement Uribe, le docteur Luis Carlos Restrepo. Durant
cette conversation, nous avons abordé plusieurs thèmes : j’ai
pu entre autres lui démontrer que la politique de " sécurité
démocratique " imposée par le président et le Plan
Colombie avaient échoué. Il m’a répondu : "
Ecoutez Monsieur Granda, l’Etat colombien vous a certainement combattus
avec des méthodes non orthodoxes... ". Ces méthodes dont
parlait Restrepo sont précisément la parapolitique et le paramilitarisme,
parce que cette manière de faire a été froidement calculée
pour la Colombie. C’est l’une des formes d’expression du fascisme,
grâce auxquelles les monopoles financiers, le secteur industriel et les
grands propriétaires terriens ont bénéficié de l’ensemble
de la recomposition économique du pays, provoquée par la globalisation
et les privatisations qui l’accompagne. Les affaires et les gains effectués
par ces secteurs ont été extraordinaires. Ce qui reste à
privatiser en ce moment est réduit, ce qui nous indique que la période
de mise en œuvre la plus brutale du projet néolibéral en
Colombie est, dans une certaine mesure, déjà derrière nous,
puisqu' il ne reste aucune entreprise publique d’importance à
vendre aux transnationales. C’est pour cette raison qu' ils tentent
maintenant de démonter ces appareils de mort qu' ils avaient mis
en place comme appui militaire à leur projet fascisant d’imposition
du néolibéralisme.
Dans ce sens, nous pourrions faire une comparaison avec le
Chili du général Pinochet. Rappelez-vous que les politiques néolibérales
ont commencé à être imposées au continent après
le coup d’Etat de 1973 au Chili. Ce coup d’Etat a pratiquement liquidé
la résistance populaire de la classe ouvrière, des classes moyennes
et de la paysannerie ; il a imposé la discipline sociale des monopoles,
c’est-à-dire le fascisme au service du néolibéralisme,
qui a utilisé la terreur dans notre Amérique pour imposer son
projet économique et son idéologie politique. Maintenant, en Colombie,
l’establishment est secoué, parce que les institutions et les hommes
qui les composent, sont impliqués dans la crise à laquelle ils
ont conduit la nation. La Colombie est l’un des pays avec le plus haut
niveau de corruption à l’échelle mondiale. On dirait que
les institutions colombiennes on été créées pour
protéger toutes les formes de corruption. C’est pour cette raison
que l’establishment, pour imposer ses politiques néolibérales,
a jeté par-dessus bord tout sens éthique en politique, et maintenant
il reçoit et paye la facture de son " mariage " avec un narco-paramilitarisme
créé pour éliminer la gauche révolutionnaire à
n’importe quel prix. Ce modèle et ce projet fascistes pour la Colombie
ont échoué. Lorsque déferle la marée des dénonciations,
le président tente évidemment d’éviter tout débat
public et crée des écrans de fumée : la réélection,
le référendum, la coupe du monde de football, etc., afin de distraire
l’opinion publique nationale. Mais les scandales et la corruption régnante
en Colombie sont d’une telle ampleur, qu' aucun de ces shows publicitaires
ne réussira à détourner l’attention de l’aspect
fondamental : la corruption imposée par la mafia, le paramilitarisme
et le narcotrafic - qui sont la même chose – en faveur d’un
gouvernement qui est un gouvernement mafieux qui pratiquent une narco-démocratie.
— L’Armée de libération nationale
(ELN, Ejército de Liberación Nacional) a décidé
récemment de déposer les armes. Dans quelle mesure, cette décision
affaiblit-elle la lutte armée des FARC, vu que désormais l’Etat
colombien, le paramilitarisme et les Etats-Unis pourront concentrer tous leurs
efforts pour vous combattre ?
Il faut relativiser l’impact de la lutte contre-insurrectionnelle
que nous vivons aujourd’hui, de la part du gouvernement colombien et des
Etats-Unis. Pratiquement, depuis le début du Plan Colombie, les FARC-EP
ont résisté seules à ces opérations. Il est indéniable
que l’Etat colombien n’a jamais combattu militairement le paramilitarisme.
Les opérations militaires dans des zones où opèrent les
camarades de l’ELN ont été minimes ; dans une certaine mesure,
la responsabilité et le poids fondamental des opérations menées
par l’armée colombienne et les gringos ont été supportés
par notre organisation. Vous devez vous souvenir qu' en ce moment, la Colombie
est le troisième pays bénéficiaire de l’aide militaire
nord-américaine, après Israël et l’Egypte. Dans la
première étape du Plan Colombie, les États-Unis ont investi
7,5 milliards de dollars et l’Etat colombien a imposé un impôt
de guerre de 12 % (qui a été majoré cette année
de 8 %). Même ainsi, toutes les opérations du Plan Colombie et
celle qui ont suivi ont échoué face à la résistance
et à la contre-offensive des FARC-EP.
Il est donc très relatif de penser que l’ennemi
puisse nous mettre en déroute, bien qu' il braque toutes ses batteries
sur nous. Notre histoire le démontre depuis l’époque de
notre naissance à Marquetalia (1964) : rappelons que 16 000 militaires
furent déployés dans cette région contre le groupe fondateur
des FARC, formé de quarante-six hommes et de deux femmes d’origine
paysanne. A ce moment, il n’y avait aucun autre mouvement insurgé
dans le pays. Le poids de cette offensive contre les zones d’autodéfense
paysanne - dénommée " Opération LASO " [Latinoamerican
Security Operation] - retomba naturellement sur les FARC-EP.
Nous croyons que dans cette nouvelle période, une limite
a été atteinte dans les actions militaires des troupes gringas,
mercenaires et de l’armée colombienne. Nous parlons actuellement
de leur déclin. Il faut dire que dans les hautes sphères du gouvernement
colombien et dans les couloirs du Pentagone, on parle de l’échec
retentissant du Plan Colombie, du Plan Patriota [3],
du Plan Consolidation et du Plan Victoria(2002-2007). Il est impossible pour
les gringos et l’Etat colombien de remporter une victoire militaire sur
un mouvement armé qui, comme le nôtre, mène la lutte depuis
quarante-trois ans, et qui dispose d’une large expérience, tant
au niveau de ses commandant-e-s que de ses combattant-e-s. Il faut dire qu' il
s’agit d’une expérience quasi unique en Amérique latine
et dans le monde. Vous pouvez constater qu' en ce moment, il n’y
a aucun autre grand plan ou " opération militaire " dans l’hémisphère
occidental, qui ait l’envergure et les caractéristiques des opérations
menées dans le centre et le sud de la Colombie et pratiquement sur tout
le territoire national.
Nous avons dû vraiment livrer une guerre seuls. Auparavant,
il existait le " camp socialiste ", la solidarité internationale,
et nous avons dû " danser avec la plus laide " (pour utiliser
une expression populaire colombienne un peu machiste), mais nous avons vu que
seuls, nous pouvions aussi affronter et vaincre l’ennemi. Pour nous, c’est
une obligation et notre apport solidaire aux peuples opprimés du monde.
La combinaison de toutes les formes de lutte de masses va nous assurer la victoire
dans un futur proche. Il ne reste plus d’autre alternative à l’Etat
colombien que d’accepter son incapacité à mettre en déroute
les insurgé-e-s, ainsi que l’échec de son projet fasciste,
qui a utilisé la terreur d’Etat comme arme fondamentale, et de
chercher un accord pour que nous puissions entamer une discussion et trouver
une issue politique négociée à ce long conflit social et
armé que vit notre pays.
Quant au désarmement de l’ELN, je l’apprends...
Car je sais que l’ELN n’a pas déposé les armes. Je
ne peux pas me prononcer sur les décisions de l’ELN. C’est
une organisation souveraine, une organisation de guérilla qui combat
depuis des années et qui, d’ après ce que je sais, n’a
jusqu' ici pas livré une seule cartouche.
— Les FARC sont nées d’un mouvement de
paysans pauvres, qui constituent toujours le noyau principal de leur base sociale.
Les FARC ont-elles été capables depuis lors de repenser leur réorientation
stratégique à la lumière de l’urbanisation extrêmement
rapide de la Colombie ? En d’autres termes, comment les FARC s’adressent-elles
aux masses urbaines paupérisées qui subissent les constantes attaques
des paramilitaires, et la répression exercée par l’Etat
colombien ?
Je vous disais à l’instant que les FARC-EP sont
une organisation politico-militaire. La lutte que mènent les FARC-EP
n’est pas un affrontement d’appareils, c’est-à-dire
entre l’appareil militaire de l’Etat colombien et celui des FARC-EP
proprement dit.
De manière générale, si on analyse l’évolution
du comportement des Etats bourgeois, on observe que ceux-ci ont diverses manières
de mettre en œuvre ce qu' ils appellent " la démocratie
représentative ", et qu' ils combinent à peu près
toutes les formes de lutte pour exploiter les peuples. Les gringos appellent
cela " la carotte et le bâton ", qu' ils pratiquent de
la manière suivante : s’ils considèrent que les masses sont
dociles, ils les laissent développer certaines formes limitées
de démocratie pendant un certain temps ; s’ils considèrent
que ces masses se sont radicalisées, ils font descendre les troupes dans
la rue et répriment. Mais s’ils constatent que ces mouvements de
masse se radicalisent encore, ils recourent au terrorisme d’Etat et massacrent
leurs opposant-e-s et exterminent des organisations de masse. C’est la
terreur au niveau le plus effrayant, qu' ont connu tous les pays de notre
Amérique dans le passé récent et qui perdure encore en
Colombie.
De ce point de vue, il est légitime que les mouvements
révolutionnaires de Colombie et du monde emploient toutes les formes
de lutte de masse pour arriver aux changements révolutionnaires dont
la société a besoin à un moment de son développement.
Nous n’avons pas proclamé la lutte armée par décret.
Elle ne peut d’ailleurs pas l’être, pas plus que par la volonté
de tel ou tel personne ou parti. La lutte armée naît de la nécessité
impérieuse de défendre des intérêts de classe à
un moment donné, lorsque les Etats bourgeois ferment toute possibilité
de démocratie et d’expression dont peuvent bénéficier
les masses.
En Colombie, malheureusement, l’histoire a confirmé
ce que je viens d’affirmer : les FARC-EP, à la recherche d’une
réconciliation nationale en 1982, sont entrées en dialogue avec
le président de l’époque Belisario Betancur. On est parvenu
alors à signer les accords de La Uribe [1984]. Comme corollaire à
ces accords a été fondé le large mouvement appelé
Union patriotique (UP). Lorsque ce mouvement est apparu dans la vie politique
nationale, il a bénéficié d’un sentiment de sympathie
de la part des habitant-e-s de la campagne et des villes, des classes moyennes,
des étudiant-e-s, etc. Autrement dit, c’était un mouvement
qui rassemblait des secteurs très divers. Lorsque celui-ci a commencé
à se développer, la bourgeoisie a paniqué et entamé
son extermination planifiée et systématique : en premier lieu
celle de ses dirigeant-e-s, ensuite de ses militant-e-s. Tout ceci a conduit
au génocide politique le plus aberrant qu' ait connu l’Amérique
latine. De cette expérience, mise en échec par le terrorisme d’Etat,
les FARC-EP ont beaucoup appris ; elles ne sont pas disposées à
répéter la même histoire.
Nous avons produit un effort important du fait de la création
et du développement de mouvements et d’organisations populaires
et politiques au niveau national. Nous faisons un effort considérable
pour la construction du Parti communiste clandestin de Colombie, qui doit être
clandestin parce que nous avons déjà fait l’expérience
de plus de cinq mille morts avec l’UP. Nous construisons également
le Mouvement bolivarien pour une nouvelle Colombie, auquel tout un chacun peut
participer. Ce mouvement n’a pas de statuts, les gens peuvent se réunir
en petits groupes pour éviter les coups de l’ennemi ; personne
ne doit faire référence à son activisme politique, et ses
formes d’expression sont clandestines. A travers ces structures organisationnelles,
il est possible de participer au mouvement estudiantin, ouvrier, paysan, populaire…
mais les FARC-EP construisent aussi les Milices bolivariennes, qui agissent
dans les campagnes, aux alentours des grandes villes et à l’intérieur
de ces dernières.
Les FARC-EP considèrent que la révolution en
Colombie doit déboucher en partie sur des formes d’insurrection
urbaine, peut-être analogues à celles qui se sont développées
au Nicaragua à l’époque (que l’on se souvienne des
batailles de Managua, Masaya, Estelí, León, pour n’en citer
que quelques-unes), qui furent des actions de guérilla et d’insurrection
populaire combinées qui, dans leur ensemble, ont fait tomber la dictature
de Somoza.
Nous faisons un effort très important en direction du
mouvement syndical, estudiantin, des classes moyennes urbaines, des travailleurs-euses
informels, du mouvement communal, coopératif, des pères de famille.
C’est-à-dire que nous essayons de tout ramener à des formes
d’organisation simple, afin de favoriser du dehors la conscience politique
et pratique de la nécessité des changements dont le pays a besoin,
davantage encore dès lors que les conséquences désastreuses
des politiques néolibérales non seulement radicalisent les masses
urbaines, mais aussi, paradoxalement, les rapprochent et les allient dans la
luttes.
En Colombie, les FARC-EP sont intéressées par la construction
d’un nouveau gouvernement de réconciliation et de reconstruction
nationales, large et démocratique, sans exclusives, auquel puissent participer
tous les secteurs de la vie politique nationale qui souhaitent sortir le pays
de l’abîme dans lequel il se trouve pour le mettre en situation
d’affronter les défis du 21e siècle avec beaucoup d’espérance,
d’optimisme et en nous plaçant à l’avant-garde des
nations démocratiques et révolutionnaires du monde.
— Quels sont pour les FARC les mouvements sociaux urbains
dont le développement paraît stratégiquement essentiel dans
ce processus ?
Dans les villes, nous travaillons essentiellement en direction
des secteurs industriels. Nous travaillons également au sein du mouvement
coopératif, avec les collectifs d’action communale dans les quartiers,
avec des associations de l’économie informelle, qui se sont multipliées
au cours des dernières années en raison des politiques néolibérales.
Nous accordons aussi beaucoup d’importance au problème des femmes
et de la jeunesse en général. En conséquence, nous disposons
d’une représentation dans tous ces secteurs. Nous agissons de manière
consciencieuse pour leur donner un caractère organisationnel et les orienter
vers la lutte politique. En même temps, ce travail nourrit, par ses expériences
et ses formes d’affrontement avec la répression, notre propre action
politique. Bien que les FARC soit nées comme un mouvement essentiellement
paysan et que cette base sociale se maintienne dans sa composition actuelle,
il est également vrai qu' il y a d’autres secteurs de la société
qui nous accompagnent dans la lutte. Parmi les gens liés aux FARC-EP,
on trouve des secteurs des classes moyennes et professionnelles, techniques
et supérieures, mais aussi des professions libérales, des prêtres,
des gens des milieux de la culture et de l’art populaire dans toutes ses
expressions. C’est un changement qui s’est opéré au
cours de ces dernières années. Nous soulignons la participation
des femmes dans nos rangs : elles représentent aujourd’hui 43%
des forces de la guérilla.
— On dit que les FARC ne se sont pas toujours montrées
capables de permettre concrètement, dans les régions sous leur
contrôle, le développement d’une société civile
organisée de manière autonome en fonction des différents
intérêts qui la traversent (coopératives, syndicats, associations
diverses, minorités indigènes, etc.). Cette attitude ne révèle-t-elle
pas un projet de société autoritaire fondé exclusivement
sur les capacités et les compétences d’une sorte de parti-Etat
?
(Rires…) Je ne sais pas à quoi vous vous référez
avec cette question. Je ne sais pas non plus quand nous avons eu sous notre
contrôle une quelconque partie du territoire national. Ceci n’est
encore jamais arrivé jusqu' à présent. En Colombie,
nous ne menons pas une guerre de position. Nous sommes une armée de guérillas
mobiles. Lorsque nous sommes pour un temps dans certaines régions, nous
développons la démocratie directe d’une façon inédite.
Plus encore, je crois que les FARC-EP sont beaucoup plus démocratiques
que certains Etats ou démocraties. Nous disposons, comme organe de décision
des FARC-EP, de la conférence nationale des guérilleros, qui se
réunit tous les quatre ans (ou un peu plus, selon l’état
de la guerre). Les postes de commandement, sans exception, sont décidés
au vote de tous les guérilleros. Autrement dit, il n’y a pas de
nomination par décret. C’est au travers du vote populaire, au travers
du vote des membres des FARC-EP, que se vit la démocratie et que se règlent
les questions de hiérarchie à l’intérieur du mouvement
guérillero, en collaboration avec les communautés.
Le cas le plus significatif a été celui de San Vicente del Caguán,
dans le centre-sud du pays, pendant la période du désengagement
et du dialogue, entre 1999 et 2002. Là, nous nous sommes installés
pendant trois ans, et nous avons oeuvré avec les communautés dans
le cadre d’actions civiles et militaires. Ensemble, la population civile
et le groupe de guérilleros, nous avons construit, en travaillant en
commun, des ponts, des routes, des écoles, des hôpitaux, des chemins
vicinaux, et plusieurs fleuves, rivières et ruisseaux fortement pollués
ont pu être réhabilités. D’autre part, les FARC-EP
ont émis des règlements en matière écologique (chasse,
pêche, élagage et exploitation du bois, protection des arbres indigènes),
et tout ceci s’est fait avec la participation de la communauté.
Par exemple, pour la construction d’une route, 100 à 200 collectifs
d’action communale de toute la région se sont réunis, et
là, par votation populaire, ils ont déterminé qui allait
travailler, comment, et avec quel appui économique et logistique. On
faisait ensuite les comptes et on les présentait aux masses pour qu' elles
analysent la finalité de chaque investissement. Ça, c’est
la démocratie participative et ouverte, une vraie démocratie de
masse comme n’en a jamais connu le pays. C’est l’expérience
que nous avons faite.
L’autoritarisme ne fait pas partie des principes des
FARC-EP. Certes, nous défendons des principes, et sur ces principes nous
ne cédons pas. Nous avons notre propre vision de ce que doit être
la démocratie. La démocratie doit être ouverte et la plus
directe possible. C’est-à-dire une démocratie de masse comme
forme permettant de définir et de débattre des grands problèmes.
C’est très simple : si dans une communauté, il y a 100 personnes,
pourquoi 10 devraient-elles décider ? Pour nous, ce sont ces 100 personnes
qui ont le pouvoir de prendre la décision. On parle d’une démocratie
représentative en Colombie, parce qu' il y a des élections,
mais, en réalité, ces scélérats qui vont au Sénat
ou à la Chambre des représentants ne sont en aucune manière
des représentants authentiques des communautés. Ce sont des gens
qui arrivent là du fait de leur richesse, par le clientélisme
et les escroqueries auxquelles ils soumettent notre peuple. Par conséquent,
comme vous le voyez, il est important de clarifier le type de démocratie
dont on parle, ce que nous entendons, nous FARC-EP, par démocratie, et
ce que vous entendez vous, en Europe, par ce terme. Je considère que
les FARC-EP sont une organisation démocratique qui exerce la démocratie
dans les domaines dans lesquels elle travaille. Nous sommes en faveur de la
démocratie directe la plus large et la plus participative possible. Une
démocratie exercée pour et par les majorités et non une
démocratie de façade, une démocratie pour un groupe restreint
de privilégiés. Ce type de " démocratie " ne
nous plait pas et nous n’allons pas la pratiquer. Je vous ai dit que dans
les FARC-EP nous préférions organiser les masses dans toutes sortes
de collectifs qui leur permettent de défendre leurs intérêts.
Ceci est le secret de la survie des FARC-EP au coeur d’un conflit aussi
complexe que celui de la Colombie.
— Les FARC sont fréquemment critiquées,
y compris par des forces de gauche, pour l’usage de méthodes "
expéditives " en leur sein : c’est le cas des exécutions
de déserteurs, de l’envoi de militant-e-s " démoralisé-e-s
" pour accomplir des missions suicides, de l’obligation faite aux
combattantes enceintes d’avorter, etc. Il n’y a pas de doutes que
les FARC sont engagées dans une lutte armée très dure,
mais de telles méthodes ou pratiques ne mettent-elles pas en question
les droits individuels des combattants ou la liberté de discussion au
sein de la guérilla, révélant ainsi une forme d’organisation
politique très verticale dans la tradition stalinienne ?
Votre question montre que l’on sait très peu de
choses sur les FARC-EP et qu' on se fait ainsi l’écho, peut-être
inconsciemment, de la propagande du régime (le régime oligarchique
colombien et son allié les Etats-Unis). C’est l’ennemi qui
affirme que nous sommes organisés de manière verticale, que nous
résolvons tous les problèmes d’une façon expéditive,
comme vous l’évoquez dans votre question.
Nous utilisons des méthodes politiques pour résoudre
tous les problèmes qui apparaissent à l’intérieur
des FARC-EP. Initialement, les nouveaux combattant-e-s suivent une école
de formation de six mois, où les documents qui sont étudiés
sont essentiellement nos statuts, les normes de commandement et le régime
de discipline. Si l’aspirant-e se rend compte qu' il ne peut pas,
pour des raisons physiques ou morales, mettre en œuvre ces normes, il peut
retourner chez lui sans problème, parce que jusqu' à ce moment,
il ne connaît rien ni personne de plus que les gens qui, comme lui, ont
assisté clandestinement au cours de formation initiale. Une fois passé
ce niveau, la personne contracte un engagement, et lorsqu' on intègre
les FARC-EP, c’est pour la vie, c’est-à-dire jusqu' au
triomphe de la révolution et à la construction d’une nouvelle
société.
Nous ne disposons pas d’un service militaire obligatoire, ni d’ailleurs
volontaire. L’intégration aux FARC-EP suppose l’implication
complète dans la formation politique et militaire sur la base d’une
adhésion consciente. N’oublions pas que l’on trouve des gens
pour manipuler des armes partout, mais des gens pour comprendre la politique,
la lutte des classes et les changements sociaux, dans une société
comme la nôtre, c’est bien plus difficile. Cet ensemble de capacités,
dont le développement est dans notre intérêt, nécessite
et exige une formation permanente et à long terme.
Il n’est pas vrai, par conséquent, que nous utilisions
le peloton d’exécution ou que nous nous livrions à des exécutions
extrajudiciaires. Nous n’avons pas à le faire, parce qu' il
y a dans nos statuts bien des manières de sanctionner les ruptures de
la discipline de notre organisation. L’exécution n’est envisagée
que pour les traîtres et les infiltrés qui travaillent consciemment
pour l’ennemi. C’est la mesure la plus grave qui s’applique
dans les FARC-EP. Pour le reste, toute situation se résout par la critique
et l’autocritique sur la base des principes du marxisme-léninisme
qui sont partie intégrante de notre conception de la révolution.
Le reste, au même titre que ce qui est contenu dans votre question, relève
d’une campagne diffamatoire qui cherche à transformer les FARC
en un mouvement sans discipline, sans hiérarchie, sans mandats de commandement
reconnus. Et, dans ces conditions, une organisation militaire ne peut pas subsister.
Il y a un adage qui dit : " Soit la discipline est mise en œuvre,
soit la milice disparaît ".
En ce sens, il serait absurde de penser que nous pourrions
envoyer des personnes démoralisées, avec des problèmes
psychiques, ou sans qualifications politico-militaires suffisantes, accomplir
des missions. Il s’agit d’une guerre ! Qui pourrait commettre une
telle erreur ? Bien au contraire, à l’intérieur des FARC-EP,
la participation à des missions constitue une forme de reconnaissance
du bon travail ; elle est un encouragement et un honneur pour les combattant-es.
Dans les FARC-EP, on préconise une participation consciente et, pour
cela, la valeur des combattant-e-s en mesure de participer à chacune
des actions de guerre, ou aux missions spéciales que les FARC-EP décident,
est étudiée à l’avance par les commandant-e-s.
Pour ce qui est des femmes dans la guérilla, elles sont
libres. Pour la première fois, une organisation de gauche et un mouvement
révolutionnaire envisagent la femme comme une personne absolument libre
et égale à l’homme, qui assume les mêmes responsabilités,
les mêmes tâches et a les mêmes droits. Depuis sans doute
l’époque du matriarcat, la guérilla est aujourd’hui
le lieu où la femme commence à tenir le rôle qu' historiquement
elle a perdu, ce qui fut la défaite la plus grande qu' ait subi
le genre féminin dans l’histoire de l’humanité. A
propos du problème de la grossesse dans les FARC-EP, les guérilleras
savent d’avance que dans le contexte de guerre qu' elles vivent,
elles ne peuvent tomber enceinte. A l’intérieur de notre organisation,
nous avons mis en œuvre un travail éducatif de diffusion de l’information
et de prévention pour que les femmes connaissent bien les mécanismes
de la procréation, ainsi que les manières d’éviter
la grossesse et/ou les maladies sexuellement transmissibles.
Parfois, par erreur ou accident, se produisent des cas involontaires
de grossesse, mais compte tenu des normes et des conditions objectives de la
vie dans un environnement combattant, la grossesse est interrompue, en général
à la demande de la combattante elle-même. Dans ces cas, l’interruption
s’effectue dans des conditions hygiéniques d’asepsie, avec
des médecins qualifiés, et en prenant les mesures pour éviter
tout risque pour leurs vies. Dans beaucoup de pays, l’interruption de
la grossesse est légalisée et fait partie de certaines constitutions
du monde, mais on nous a toujours reproché notre arbitraire supposé
sur ce thème et on nous a diabolisés. N’y a-t-il pas ici
une double morale ? Sachez que pour les FARC-EP, les valeurs familiales (très
importantes pour la société colombienne) constituent un fondement
de la conception de la nouvelle société que nous voulons construire.
Mais nous vivons une étape qui ne facilite pas le développement
de cette partie importante de la vie.
Il est révélateur que, malgré toute cette
propagande contre notre organisation, la présence féminine dans
les rangs des FARC-EP soit actuellement de l’ordre de 43%. Les guérilleras
des FARC sont de vraies amazones dans la guerre, ou comme dirait Simon Bolivar
en se référant à ces valeureuses guerrières romaines,
elles sont de véritables " lumières ". Hors de la guerre,
nos camarades femmes ont un comportement très féminin. Au combat,
elles sont aussi aguerries que les hommes. Elles nous donnent des leçons
d’honnêteté, d’abnégation, de sacrifice, de
fraternité et d’héroïsme… Comment pourrions-nous
maltraiter ces camarades, qui prennent une part fondamentale à la lutte
pour le triomphe de la révolution…
— Qui est responsable de la mort des onze députés
colombiens détenus par les FARC ? Comment est-il possible que ces onze
otages se soient trouvés ensemble au même endroit ? Pensez-vous
qu' il s’agisse d’une opération délibérée
de l’Etat colombien pour lancer une vaste campagne politique contre la
guérilla des FARC ?
Cela fait un certain temps que les FARC-EP avertissaient l’opinion
publique nationale et internationale du fait que les opérations de sauvetage
de prisonniers par l’armée étaient exagérément
risquées pour la vie des otages qu' elles détenaient. C’est
pour cela que les FARC-EP ont indiqué que la responsabilité de
la mort des onze députés du Valle del Cauca, le 18 juin 2007,
incombait essentiellement à ceux qui ont donné l’ordre et
tenté de les libérer par la force. Le premier responsable est
Monsieur Uribe.
Vous expliquer pourquoi ils étaient ensemble serait me livrer à
des spéculations, parce que je me souviens qu' à cette date,
je venais tout juste de quitter la prison de La Dorada. Concernant la mort des
onze députés, il faut dire qu' indiscutablement, il s’agit
d’un plan minutieusement préparé tant politiquement que
militairement et sur le plan de la propagande. Le gouvernement de Uribe a démarré
son plan en parlant de la possibilité de faire sortir de prison un certain
nombre de prisonniers des FARC-EP, sur lesquels personne n’avait rien
demandé. Nous avons toujours cherché à obtenir un échange
humanitaire de prisonniers bilatéral FARC-EP/gouvernement. C’est
alors que Uribe a relâché, de façon totalement unilatérale,
certains combattants des FARC-EP. Cette action, à mon sens, était
liée à la préparation en secret d’une action de plus
grande envergure dans les montagnes colombiennes. Il s’agissait précisément
du sauvetage des douze députés par un groupe de spécialistes
composé d’agents de la CIA, de mercenaires anglais et israéliens
et de commandos de l’armée colombienne.
Le projet était sans doute celui-ci : pendant que ce
groupe apparaissait comme libérant avec succès les douze députés,
Uribe remettrait en prison les prisonniers relâchés et commencerait
un travail politique à l’intérieur et à l’extérieur
du pays visant à démontrer que les interventions directes seraient
dorénavant le moyen le plus indiqué pour obtenir la libération
des personnes contrôlées par les FARC-EP, fermant ainsi tout espoir
d’échange humanitaire et toute possibilité de dialogue.
Le résultat de cette opération et d’autres opérations
analogues nous conduit à penser que les tentatives de libération
du type " Ambassade de Lima " [1996-1997] ou " Opération
Entebbe " [1976] ne peuvent être menées à bien dans
les forêts colombiennes. Ce qui s’impose inexorablement en Colombie,
c’est l’échange humanitaire entre le gouvernement et les
FARC-EP, comme préambule à une possibilité de dialogue
ouvrant la voie à la paix et la justice sociale. Espérons que
nombre de vos lecteurs, la communauté internationale, les Etats, les
gouvernements, les partis, les organisations sociales, religieuses, humanistes
et de gauche pourront contribuer à cette quête afin de permettre
un échange humanitaire, et que cela sera utile pour établir une
forme de dialogue en vue d’une issue au conflit social et armé
que nous vivons en Colombie.
NOTES :
[1] [NDLR] Dialogues
et processus de paix dans la zone démilitarisée de El Caguan.
[2] [NDLR] Consultez à ce propos
le dossier " parapolitique et paramilitarisme " sur le site du RISAL
: http://risal.collectifs.net/spip.ph....
[3] [NDLR] En plus des opérations
de lutte contre la drogue du Plan Colombie, les militaires colombiens ont aussi
mis en oeuvre le Plan Patriota soutenu par les Etats-Unis, une opération
de grande envergure de contre- insurrection qui a pour but de prendre le contrôle
des régions contrôlées par les FARC dans le Sud et l’Est
de la Colombie.
Source : revue solidaritéS, (http://www.solidarites.ch/),
Genève, août 2007. Traduction : revue solidaritéS.
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