Enregistrements
inédits de Nixon et Kissinger sur les agissements de la CIA et des Etats-Unis
au Chili et son rôle dans la politique de terreur menant au renversement
d'Allende
Par
Peter Kornbluh
Source : http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net
On finit par connaître le contenu des enregistrements
secrets des conversations sur le Chili entre l'ancien président Richard
Nixon et son conseiller de Sécurité Nationale Henry Kissinger.
Les cassettes rendent compte du langage grossier dans lequel se tramait le renversement
de Salvador Allende, qu'ils traitaient de « fils de pute »
et dont ils disaient vouloir « botter le cul ».
Bien qu'imprécis sur les dates, un des dialogues pourrait constituer
la première reconnaissance du rôle de la CIA dans l'assassinat
du général René Schneider.
« C'est un Etat fasciste »,
déclarait le président Richard Nixon lors d'une conversation sur
le Chili au Bureau ovale de la Maison Blanche. Il ne parlait pas du régime
sanguinaire du général Augusto Pinochet. Au contraire, lui et
son conseiller de Sécurité Nationale, Henry Kissinger, se lamentaient
du triomphe de la coalition de Salvador Allende, l'Unité populaire, aux
élections municipales d'avril 1971. La seule manière pour eux
de comprendre la popularité croissante d'Allende était de comparer
le président Chilien - un socialiste toute sa vie durant -
à Adolf Hitler. « Cela ressemble à une stratégie
allemande », dit Kissinger à Nixon le 6 avril 1971, pendant
une réunion d'une heure. Quelques semaines plus tard, le système
secret d'enregistrement de Nixon a capté le fait que Kissinger laissait
entendre que les chiliens « agissent ici comme ont agi les nazis
avec le Reichstag ».
Près de 40 ans après qu'elles aient été
enregistrées en cachette, les cassettes de Nixon sont encore un cadeau
qui attend d'être livré aux historiens et aux étudiants
en histoire. Le système d'enregistrement est connu pour l'infâme
conversation sur le scandale du Watergate, quand celui-ci a été
découvert et qu'il a mené à la démission de Richard
Nixon, face à un inévitable impeachment.
Mais les enregistrements de Nixon, 3 700 heures de conversations
qui ont majoritairement eu lieu dans le Bureau Ovale pendant une période
de 883 jours, entre férvrier 1971 et mi-juillet 1973, ce qui correspond
aussi à une grande partie du temps durant laquelle Salvador Allende a
été le président du Chili constitutionnellement élu.
Et ils ont capturé les voix sans fards, parfois théâtrales,
d'un président impérialiste et de ses conseillers de haut rang
se référant à Allende comme un « fils de
pute », discutant comment ils « botteraient le
cul » et « renverseraient » Allende.
Cette semaine, aux Etats-Unis, un groupe d'histoires
et d'anciens fonctionnaires du Département d'Etat, connu comme nixontapes.org,
a publié près de 100 pages de transcriptions et de liens vers
des documents audio de Nixon, Kissinger, du secrétaire du Trésor
John Connally et d'autres hauts fonctionnaires discutant du Chili. Les enregistrements
et les transcriptions nous permettent de devenir des mouches sur le mur qui
écoutent les plus puissants fonctionnaires du pays le plus puissant du
monde discuter de ce qu'il devait faire du pays d'Amérique Latine qui
défiait l'hégémonie politique et économique des
Etats-Unis. Bien que toutes les références aux opérations
secrètes qu'a mené la CIA pour déstabiliser Allende restent
classées (et effacées des bandes), les discussions que l'on peut
désormais écouter sont un exemple de la mentalité impérialiste
du président et de ses hommes.
Le problème de l'expropriation
Selon les transcriptions des enregistrements, rien ne paraît
avoir contrarié autant Richard Nixon que la décision du gouvernement
d'Allende d'entamer la nationalisation des entreprises états-uniennes
qui avaient dominé l'économie chilienne pendant des décennies.
Nixon croyait que la réponse des Etats-Unis devaient être de couper
pour le Chili tous les crédits bi-latéraux, y compris les prêts
bancaires pour les exportations et importations, bloquer les crédits
multi-latéraux et éviter que le Chili re-négocie sa dette
extérieure. « Je veux que tu saches »,
a dit Nixon à Kissinger, « que je ne veux rien faire pour
le Chili. Rien ».
Le Département d'Etat, qui était plus sensible
aux lois internationales et aux obligations des Etats-Unis avec les organismes
multi-latéraux, n'était pas d'accord. Mais Nixon a trouvé
un allié puissant avec son secrétaire conservateur du Trésor,
John Connally, qui lui a dit que si Washington ne s'opposait pas à Allende,
d'autres pays d'Amérique Latine commenceraient à nationaliser
des entreprises états-uniennes. La position de Connally, Nixon l'a exprimé
à Kissinger dans une réunion du 11 juin 1971, c'était que
« l'effet sur le reste de l'Amérique Latine, indépendamment
de ce que nous entendons du côté du Département d'Etat et
du reste, sera mauvais pour nous, si on cesse de s'opposer aux chiliens et on
se met à être aussi délicat avec eux ».
De plus, poursuivait Nixon, « en ce qui concerne l'opinion publique
américaine, les américains meurent d'envie que nous bottions le
cul à quelqu'un ».
« Mes convictions à ce sujet sont très
fortes », affirmait Nixon. « Tout ce que nous
faisons avec le gouvernement chilien sera observé par d'autres gouvernements
et groupes révolutionnaires en Amérique latine comme un signal
du fait qu'ils peuvent faire la même chose et s'en sortir. Par conséquent,
j'ai tendance à être pour ne rien faire pour eux ».
A mesure que la réunion se poursuivait, Nixon dit à Kissinger
et Connally: « peut-être devrions-nous trouver un endroit
où on pourrait botter le cul à quelqu'un »
Ensuite, les trois ont discuté sur Salvador Allende,
transformant son effort pour éviter une confrontation avec Washington
en une sorte de manoeuvre délibérée:
Nixon: Oh, bon sang, John, il [Allende] est malin.
Kissinger: …très malin.
Nixon: C'est sûr.
Connally: Très malin
Kissinger: Donc-
Connally: Même un vrai dur à cuire.
Kissinger: -en jetant un coup d'oeil sur le dossier,
lui -cela doit servir ses desseins qu'il n'y ait pas d'affrontement [avec
les Etats-unis].
Nixon: C'est juste.
Seulement quelques mois plus tard, après que Allende
ait décidé de créer un « impôt sur les
bénéfices supplémentaires » des compagnies minières
Annaconda y Kennecott et de ne pas payer des compensations pour avoir nationalisé
les mines, le 5 octobre 1971, Nixon dit à Kissinger: « J'ai
décidé de virer Allende ». Connally pose ensuite
la question d'un coup d'Etat « la seule chose que nous puissions
espérer, c'est qu'il soit renversé et, entre temps, vous pouvez
y arriver en prouvant par vos actions contre lui, que ce que vous protégez,
ce sont les intérêts des Etats-Unis. » Pour Nixon,
les Etats-Unis ont finalement trouvé « un type que l'on
peut frapper ». Il a exhorté ses assistants à
« nous livrer un plan. Je vais les frapper fort ».
« Tout va bien pour le Chili. On leur botte
le cul, ok? », demande Nixon à Kissinger à la
fin de la réunion. « D'accord », répondit
Kissinger.
L'assassinat de Pérez Zujovic
Le 8 juin 1971, l'ancien ministre de l'Intérieur Démocrate-chrétien,
Edmundo Pérez Zujovic, fut tué dans un assassinat politique au
grand jour. Au Chili, son assassinat a rappelé le souvenir récent
du coup de force soutenu par la CIA contre le commandement en chef chilien René
Schneider, moins de neuf mois auparavant, quand la CIA avait tenté d'empêcher
le serment présidentiel d'Allende en créant un « climat
de coup d'Etat ». A Washington, la transcription des enregistrements
déclassifiées révèlent que Nixon, Kissinger et le
chef de cabinet de la Maison blanche, H.R. Haldeman, avaient un intérêt
particulier dans la réaction chilienne à l'assassinat de Pérez
Zujovic, et on peut les écouter plaisanter sur la situation:
Kissinger: Les fils de pute, ils nous accusent, nous.
Haldeman: Ils accusent la CIA? [rires]
Kissinger: Ils accusent la CIA.
Nixon: Et pourquoi diable nous l'aurions assassiné?
Kissinger: Bien, a) nous ne pouvions pas. Nous sommes-
Nixon: Oui.
Kissinger: La CIA est trop incompétente pour le faire.
Rappelle-toi-
Nixon: C'est sûr, c'est bien ça le meilleur...
Kissinger: - Quand ils ont essayé d'assassiner
quelqu'un, il a fallu qu'ils s'y prennent à trois fois.
Nixon: Ouais.
Kissinger: -et il a vécu pour trois semaines
après ça.
Ici, Kissinger paraît faire référence,
et pour la première fois en admettant réellement le rôle
de la CIA dans l'assassinat du général Schneider. après
plusieurs tentatives avortées d'un groupe de militaires à la retraite
et d'officiers en activité qui avaient reçu des armes et des fonds
de la CIA, Schneider fut intercepté et fut abattu en allant à
son travail, le 22 octobre 1970. Il mourrut trois jours plus tard - et
non pas trois semaines, comme le disait Kissinger - à la suite
de ses blessures.
Selon les enregistrements, la conversation a tourné
autour de la manière dont l'administration Nixon pouvait transformer
l'assassinat en une occasion pour réaliser un coup d'Etat contre Allende.
Le gouvernement de l'Unité populaire, informa Kissinger au président,
avait utilisé l'assassinat de Pérez Zujovic pour « imposer
la loi martiale et pour réaliser une forte attaque contre nous ».
La réponse du Président: « Alors, on va leur donner
ce qu'ils veulent - ils vont le sentir passer ». Comme
c'était à attendre, Kissinger était d'accord. « Je
crois que nous devons utiliser cela comme un prétexte ».
Plus loin dans la conversation, Nixon et Kissinger en déduisaient que
les gars d'Allende étaient derrière l'assassinat dans une manoeuvre
politique destinée à l'aider à s'établir; ils étaient
d'accord sur le fait que « l'assassinat prouvait »
qu'Allende « était en train d'avancer vers un État
à parti unique, le plus rapidement possible ».
« Je crois que ce type est en train de prendre
le contrôle total de ce pays », déclare de manière
erronnée Nixon. « Laisse-moi te dire que dans toutes les
actions à venir vis-à-vis du Chili, je préfère la
ligne la plus dure. »
Malheureusement pour le bien de l'histoire, au moment où
Allende fut renversé le 11 septembre 1973, Nixon avait déjà
éteint son micro du Bureau Ovale. En juillet de la même année,
durant les audiences dramatiques de l'affaire du Watergate au Congrès,
un conseiller de la Maison Blanche révélait l'existence du système
d'écoutes secrètes. Le Congrès a immédiatement exigé
que la Maison blanche livre toutes les bandes; Nixon a revendiqué le
« privilège de l'exécutif » et on lui a
refusé. C'est seulement après que la Cour Suprême a rendu
le verdict selon lequel on ne pouvait les dissimuler plus longtemps aux yeux
des autorités légales, que le Président a livré
les bandes. Celles-ci ont révélé qu'il avait menti sur
son rôle dans l'assaut contre le siège du Parti Démocrate
dans le bâtiment du Watergate, ce qui l'a forcé à démissionner
par la suite.
Toutefois, un autre système d'écoutes secrètes
ne fut pas détecté et se maintient en état de marche: celui
de Henry Kissinger. Le 16 septembre 1973, le système d'écoutes
de Kissinger a enregistré sa première conversation téléphonique
avec Nixon après le coup d'Etat au Chili. Sa conversation (déclassifiée
après pétition de mon organisation) rend compte de son attitude
pendant qu'un régime authentiquement fasciste consolidait son pouvoir
par un bain de sang au Chili:
Kissinger: Les choses sont en train de rentrer dans l'ordre
au Chili et évidemment les journaux hurlent parce qu'un gouvernement
pro-communiste a été renversé.
Nixon: C'est pas de ça qu'il s'agit?
Kissinger: Je veux dire qu'au lieu de s'en féliciter
- à l'époque de Eisenhower, nous aurions été
des héros.
Nixon: Et bien nous non - comme tu le sais -
notre main n'apparait même pas ici.
Kissinger: Nous le l'avons pas fait. Je veux dire que nous
les avons aidé [référence à la CIA effacée]
à créer les meilleures conditions possibles.
Nixon: C'est juste. C'est la manière dont on va juger
la chose. Mais écoutes bien, quand les gens sont inquiets, laisse-moi
te dire qu'ils ne vont pas gober les conneries des libéraux cette fois.
Kissinger: Tout à fait.
Nixon: Ils savent que c'est un gouvernement pro-communiste
et que c'est ainsi.
Kissinger: Et pro-Castro.
Nixon: Oubliez le fait qu'il était pro-communiste.
C'était un gouvernement anti-américain tout le temps de son existence.
NOTE :
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