Le “Berlusconi
chilien” est arrivé…
Georges Stanechy
Il entrera officiellement en fonction le 11 mars prochain :
président du Chili. C’est ainsi qu' est surnommé Sebastián
Piñera, vainqueur des élections du 17 janvier dernier sur son
rival Eduardo Frei. (2)
Premier président du Chili “de droite” élu
depuis 50 ans, nous dit-on… Raccourci ambigu. Comme si depuis un demi-siècle,
le Chili avait vécu dans un enfer communiste ou un purgatoire socialiste.
Oubliant coups d’Etat et dictatures militaires, qui ont jalonné
l’histoire de ce pays comme celle de ses voisins d’Amérique
latine.
Elu, sur fond de fraudes électorales…
Nos “journalistes d’investigation” ne l’ont
pas remarqué, encore moins analysé, contrairement à de
nombreux observateurs ; il y eut moins de votes exprimés qu' il
y a vingt ans : 7, 145 millions contre 7, 251 millions. (3)
Il est vrai qu' il n’y avait que 8 millions d’inscrits,
au lieu de 12 millions potentiellement aptes à voter. Sur une population
évaluée, d’ après les recensements officiels, à
plus de 17 millions d’habitants. Ce sont donc de 3,8 à 4 millions
de chiliens non inscrits sur les listes électorales. Soit, environ, 31
% des citoyens exclus du droit de vote.
qu' importe…
Sebastián Piñera n’avait en face de lui
qu' une coalition hétéroclite de “centre gauche”,
usée par le pouvoir. Pouvoir gangréné par son cortège
inévitable de pathologies se développant, avec le temps, dans
un panier de crabes de rivalités personnelles : corruption, népotisme,
gabegie, incompétence…
Malgré une cote de popularité de 80% dont bénéficiait
personnellement la précédente présidente, Michelle Bachelet.
Mais, elle terminait ses deux mandats de quatre ans et, constitutionnellement,
ne pouvait se représenter.
Manipulation des listes électorales, pressions des grands
propriétaires terriens, dans les zones rurales, montagneuses, d’un
pays de 4.200 km de longueur, dominé par la Cordillère des Andes.
Non compris l’Ile de Pâques, presque au milieu du Pacifique…
qu' importe…
Fraudes ou pas, estampillé « démocratie
occidentale », le Chili n’aura pas droit au même traitement
que le Venezuela, la Bolivie, ou l’Equateur… Les présidents
démocratiquement élus de ces pays, avec de confortables majorités,
sont l’objet de la détestation des oligarchies occidentales, diabolisés
en permanence par la propagande de leurs médias : Hugo Chavez, Evo Morales,
Rafael Correa.
N’a-t-on pas idée !… Vouloir que les immenses
richesses de leurs pays, mines et hydrocarbures tout particulièrement,
soient exploitées et partagées au profit de leurs habitants et
non pas uniquement pour les actionnaires étrangers des multinationales
mondialisées !…
Inadmissible d’ après dogmes, paradigmes, rhétoriques,
idéologies, de l’Empire occidental. D’où leur excommunication,
sans égard pour leur légitimité électorale et leur
popularité nationales, de la “Communauté Internationale
des Démocraties et des Droits de l’Homme”…
De plus, notre habitus colonial, notre racisme viscéral,
conscient ou inconscient, sont confortés dans leur plénitude :
la famille de Sebastián Piñera est membre de la caste européenne,
la plus prestigieuse en Amérique latine, descendante des colons espagnols.
Rien à voir avec ces mestizos, ces métis, à moitié
ou en totalité, amérindiens, indigènes, tels que les Chavez,
Morales ou Correa…
On est entre gens “civilisés”,
partageant les mêmes valeurs… (4)
Sebastián Piñera et sa famille auront beau avoir
démultiplié leur fortune sous une des plus sanguinaires, implacables,
dictatures militaires de la fin du XX° siècle, ce ne seront que félicitations
et encouragements des chefs d’Etat occidentaux pour son intronisation.
Le nôtre, saluant en lui « un homme de rassemblement et d’ouverture
».
Normal : cette dictature se posait en championne du Libéralisme
Economique !… « Nous torturons, mais c’est pour mieux privatiser
»…
Diplômé en économie de Harvard, qu' il
enseigna par la suite au Chili, il a édifié, avec sa famille déjà
richissime, une des plus grandes fortunes d’Amérique latine et
du monde (701° d’ après Forbes…) sous la dictature militaire
d’Augusto Pinochet. Qui, rappelons-le, à la suite d’un violent
coup d’Etat organisé avec les néoconservateurs américains,
avait renversé le gouvernement régulièrement élu
de Salvador Allende. Au cours duquel, ce dernier fut assassiné.
Oui. Mouillé jusqu' au cou dans cette dictature
aux milliers de gens torturés, enlevés, emprisonnés, disparus,
assassinés. Lui et sa famille en ont été parmi les exécuteurs,
les rouages, essentiels sur le plan économique. (5)
Son frère, Pablo, a été un des responsables
de la Banque Centrale du pays. José, un autre de ses frères, a
occupé plusieurs postes ministériels : ministre du Travail puis,
hautement stratégique sur le plan financier, ministre des Mines, dont
on sait combien elles sont considérables, au Chili, en termes de richesses.
Profitant, pour fructifier le Business familial, d’une
quasi exclusivité dans l’octroi d’autorisations administratives,
l’accès à des informations économiques, la priorité
dans les “privatisations” du patrimoine national qui ont fait la
fortune des oligarchies locales et de leurs commanditaires “les multinationales”.
Schéma éprouvé, rodé, imposé, dans le monde
entier.
Il fut au cœur des manœuvres boursières les
plus effrénées pendant la libéralisation à outrance
de l’économie chilienne, avec des marges spéculatives fabuleuses.
Au cours de ces années fastueuses qui ont vu des fortunes grandir non
pas en fonction de la valeur ajoutée créée, mais en vertu
de la croissance exponentielle des profits spéculatifs.
Evidemment, évoluer impunément, avec autant de
facilité, à ce niveau d’enrichissement rapide et colossal,
ne peut se faire que si vous êtes en parallèle l’homme de
paille des détenteurs du pouvoir. Dictature ou autocratie, “pouvoir”
sous la forme de sa “violence légale” (ce qui ne veut pas
dire : “légitime”…) : armée, police, services
spéciaux. Une règle d’or, dans la prédation : pas
d’accaparement, sans renvoi d’ascenseur. De préférence,
dans un paradis fiscal…
Sebastián Piñera possède ainsi, intégralement
ou en tant qu' actionnaire majoritaire, une multitude d’affaires
: médias, télévision (100 % de Chilevision), compagnie
aérienne, réseau pharmaceutique, sociétés agricoles,
immobilières, minières, club de football, etc.
Sans oublier le secteur financier, puisqu' il fut actionnaire
majoritaire, entre autres, de Bancard, puis de Fincard, introduisant les cartes
bancaires au Chili, allant jusqu' à détenir près de
90 % de ce marché… Pour en revendre le contrôle, avec de
confortables plus-values, à des groupes étrangers soucieux de
trouver des parts de marchés déjà rentables.
Pas étonnant que le Chili, avec un tel vandalisme de
caste, figure parmi les pays les plus inégalitaires du monde en matière
de revenus (coefficient Gini).
Malgré son réseau et ses protections, Sebastián
Piñera n’a jamais cessé d’être impliqué
ou inquiété sur le plan judiciaire, dans plusieurs affaires douteuses.
La plus connue est la faillite frauduleuse d’une Banque
(Banco de Talca), dont il était le dirigeant. Les liquidateurs judiciaires
découvrirent un montant supérieur à 200 millions de dollars
( après actualisation, ce serait au minimum le triple aujourd’hui)
de créances non recouvrables.
Sommes accordées à des sociétés
fantômes, sans aucune existence légale et, bien sûr, sans
aucune garantie. Opérations saupoudrées sur 150 entreprises fictives,
destinées, par un simple jeu d’écritures, à racheter
les actions de la banque par ses propres dirigeants.
Un mandat d’arrêt, à son encontre, avait
été lancé le 28 août 1982. La Cour Suprême
souhaitant protéger un des membres éminents de la nomenklatura
a, non seulement, annulé le mandat, mais encore, l’a “blanchi”.
Dans une déclaration récente, la ministre de
la Justice de l’époque, Mónica Madariaga, a reconnu être
intervenue pour faire pression sur la Cour Suprême, à la demande
du propre frère de l’accusé, José Piñera.
Qui était alors son collègue, ministre du Travail
(6), dans le gouvernement dictatorial de
Pinochet.
C’était en juillet 2009… Pourquoi parler
près de 30 ans après les faits ?… Culpabilité, remord
?… Frustration, rancune, pour n’avoir pas été récompensée
à la juste mesure du geste et du risque ?… Les abysses des combinaisons
politico-juridiques, de leur règlement, de leur dénouement, sont
insondables…
Même après la dictature de Pinochet, la cascade
d’affaires poursuit son débit. Notamment, en juillet 2007, dans
un “délit d’initié” de grande envergure. Pour
avoir eu accès à des informations privilégiées lui
permettant de prendre le contrôle de la compagnie aérienne du pays,
LAN, à la suite d’une opération boursière à
des conditions avantageuses.
Plus récemment, en mars 2009, on le retrouve impliqué
dans un scandale “d’entente illicite” entre chaînes
de pharmacie chiliennes, en tant qu' actionnaire de Farmacias Ahumada (FASA),
la plus grande chaine de pharmacies du pays.
En résumé, Sebastián Piñera aura
utilisé toute la palette des astuces, spéculations et magouilles
financières possibles et imaginables. Les tartufes appellent cela : «
ingénierie financière« …
N’accablons pas l’homme…
Il n’est que la personnification d’un système.
Michael Moore le rappelle dans son dernier film : “Capitalism
is evil … you have to eliminate it”. Il sortira le 26 février
prochain, avec un titre posant parfaitement l’ambigüité ou
l’ambivalence de cette quadrature du cercle : Capitalism : A Love Story.
(7)
Libéralisme ?… Capitalisme ?… Capitalisme
“sauvage” ?…
Ou, tout simplement, cette forme modernisée du plus
vieux régime politique de l’humanité qu' est La Ploutocratie,
avec pour fondement : La Loi du Plus Fort ?…
Ploutocratie qui s’affirme et s’assume, dans ses
médias, en « droite décomplexée »…
L’affairisme au pouvoir…
Finalement…
N’aurait-il pas raison Tchouang Tseu, ou Zhouang Zhi
suivant les transcriptions du chinois en français, ce grand Maître
du Tao ?… Quatre siècles avant notre ère… (8)
:
« L’on ne sait ce que l’on doit le plus admirer
: la ruse des dirigeants ou l’idiotie des gouvernés !
Les peuples vénèrent les canailles qui les plument.
Ils y voient, peut-être pas tout à fait à
tort, une garantie d’efficacité dans un monde qui ne jure plus
que par le profit. »
Notes
(1) Edgar Morin, Les sept
savoirs nécessaires à l’éducation du futur, Seuil,
2000, p. 108.
(2) Suffrages “exprimés”
: 51,61% contre 48,38%.
(3) Ernesto Carmona, Que s’est-il
passé au Chili ?, 18 janvier 2010, http://stanechy.over-blog.com/ext/http://www.elcorreo.eu.org/article.php3?id_article=4624
(4) Sebastian Piñera, homme d’affaires
d’une droite décomplexée, Le Point, 18 janvier 2010, http://stanechy.over-blog.com/ext/http://www.lepoint.fr/actualites-monde/2010-01-18/portrait-pinera-homme-d-affaires-d-une-droite-decomplexee/924/0/414544
(5) Ana Verónica Pena, La historia
no contada de los orígenes de la fortuna de Sebastián Piñera
– Inversionista en fuga (L’histoire non racontée des origines
de la fortune de Sebastián Piñera – Investisseur en fuite),
La Nación Domingo, 19 avril 2009,
http://stanechy.over-blog.com/ext/http://www.lnd.cl/prontus_noticias_v2/site/artic/20090418/pags/20090418205903.html
(6) Ministra de Pinochet logró libertad
de Piñera en los ’80, La Nación, 24 juillet 2009, http://stanechy.over-blog.com/ext/http://www.lanacion.cl/prontus_noticias_v2/site/artic/20090724/pags/20090724011437.html
(7) Cf. article de Chris McGreal, sur le
film de Michael Moore Capitalism : A Love Story, dans le Guardian du 30 janvier
2010 : ‘Capitalism is evil … you have to eliminate it’, http://stanechy.over-blog.com/ext/http://www.guardian.co.uk/theguardian/2010/jan/30/michael-moore-capitalism-a-love-story
(8) Cité par Jean Lévi, Tchouang
Tseu – Maître du Tao, Pygmalion, 2006, p. 106.
Source : http://socio13.wordpress.com/2010/02/06/chili-l%e2%80%99affairisme-au-pouvoir/
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