Celac : perspectives et contradictions En décembre 2011, j'ai assisté à la conférence
de presse organisée (au siège du CAPE, Centre des Associations
de la Presse Etrangère), à Paris, par le Groupe des Ambassades
des Pays de l'Amérique latine et des Caraïbes en France qui annonçait
la naissance de la CELAC. Dominique Dionisi CELAC : deux orientations pour un projet. Il ne fait aucun doute que la création de la CELAC est un des principaux événements dans les Amériques depuis longtemps. La seule idée d’une organisation réunissant les pays latino-américains et des Caraïbes sans la présence étouffante des USA et du Canada est une très bonne nouvelle qui nous ouvre l’espoir que la domination teintée de mépris avec laquelle la Maison Blanche traitait les affaires du sous-continent butera désormais sur des obstacles croissants. La prétention à l’hégémonie de « l’empire » ne va pas s’évanouir du seul fait de la création de cet organisme, mais ses désirs et ordres n’auront plus l’assentiment automatique qu' ils eurent durant des décennies, par exemple quand l’oukase de Washington exclut Cuba du système américain en 1962. Ne nous laissons pas aller toutefois à un enthousiasme excessif. Faire fonctionner effectivement la CELAC c’est à dire en faire un organisme protagoniste méritant les grandes espérances déposées en elle, ne serait pas facile. Sa création est un acquis d’une rare importance, mais pour le moment elle reste un projet qui pour être efficace devra être capable de devenir une organisation c-à-d un sujet doté de capacités suffisantes d’intervention dans notre région, Notre Amérique. Or, comme nous allons le voir plus avant, ce n’est pas le projet des gouvernements latino-américains de droite avec la bénédiction de la Maison Blanche. La crise du capitalisme actuel est sans précédent. Elle a contribué à ce que même les gouvernements les plus réactionnaires consentent à s’unir dans la CELAC. C’est un geste si important qu' il serait aussi grave de minimiser la victoire et la potion amère qu' il a signifié pour Washington que d’exagérer son effet immédiat. Ce n’est mystère pour personne que l’extrême hétérogénéité socio-politique du continent (allant de la révolution cubaine au régime fantoche de Lobo au Honduras-installé par la Maison Blanche par le renversement de G. Zelaya, faut-il le rappeler, en passant par Santos, Calderon, Martinelli, Chinchilla, Cristina, Dilma, Mujica, Lugo, Humala jusquà Chavez, Evo et Correa) devrait être un sérieux obstacle au moment de concrétiser de beaux discours sans conséquences dans les brulantes affaires régionales. Deux exemples : en premier lieu, il est notoire que Washington dispose de budgets conséquents et de « conseillers » sans compter de nombreuses autres ressources pour « aider » des acteurs locaux qui s’opposent aux politiques de gauche quand ils ne cherchent pas à renverser leurs gouvernements qui déplaisent en Amérique du nord. Bolivie, Equateur, Vénézuela et en premier lieu Cuba sont les cibles favorites de ces politiques. Dans de nombreux cas, cette ingérence impérialiste s’effectue au travers d’organisations-écran, dans d’autres, c’est directement au travers de la politique gouvernementale locale « suggérées » par des agences ou organismes fédéraux tels la DEA, la CIA et l’USAID parmi les plus importants. Sera-t-il possible que la Celac condamne ces pratiques interventionnistes de « l’empire » et prenne des décisions requises pour les neutraliser, s’appuyant sur le fait qu' elles violent les lois internationales et qu' elles sont de nature profondément antidémocratique ? Cela paraît fort peu probable même si des exceptions sont toujours possibles dans des circonstances extrêmes. Y aura-t-il unanimité pour soutenir une politique de ce type en second lieu (un exemple crucial) pour exiger la fin du statut colonial de Porto-Rico ? Cela ne semble pas probable. C’est peut-être pourquoi plusieurs gouvernements (parmi lesquels le Chili, la Colombie et le Mexique) ont lourdement insisté pour que toutes les décisions soient prises à l’unanimité des membres de la Celac. La peur que les gouvernements les plus radicaux de la région puissent constituer une majorité qui déplaise à la Maison Blanche et puisse nuire aux « relations amicales » que maintiennent différents pays avec Washington. C’est pourquoi aussi, les pays qui veulent que la Celac soit plus qu' un forum périodique et devienne un organisme effectif, demandent eux que des décisions à une majorité qualifiée puissent être prises (la proportion sera longtemps en discussion) pour ce qui concerne la vie de l’institution. Le ministre chilien Alfredo Moreno a été clair en exprimant la position de l’impérialisme : « la Celac sera un forum et non une organisation, sans siège permanent, ni secrétariat ni employés permanents, rien de tout cela ». Pour Moreno, représentatif de la droite latino-américaine, il s’agit de stériliser le projet, le castrer à la naissance pour en faire une succession de sommets présidentiels sans importance (Chili en 2012, Cuba en 2013, Costa-Rica en 2014). Et c’est le Chili qui préside la Celac en 2012, c’est Sebastian Pinera qui mettra en œuvre son projet « décaféiné » appuyé par toute la droite latino-américaine dont la première caractéristique est la soumission et la génuflexion devant les diktats de l’empire. Un autre projet existe pour la CELAC en droite ligne du programme bolivarien du Congrès de 1826 et les espérances de San Martin, Artigas, Sucre, Marti, Morazan, Sandino et tant d’autres patriotes latino-américains et caribéens. Un projet brillamment mis à jour il y a un demi-siècle dans la Seconde Déclaration de La Havane et impulsé par Fidel, Raul et le Che. La confrontation de ces deux orientations est inévitable et les circonstances historiques (approfondissent de la crise générale du capitalisme, interventionnisme nord-américain, prises de conscience politiques de nos différents peuples etc) pèseront différemment sur les plateaux de la balance. Souhaitons que ce soit dans un sens positif. Rappelons que les remparts de l’influence nord-américaine dans la région - Chili, Colombie, Mexique - sont des poudrières qui peuvent exploser d’un moment à l’autre. Washington a beaucoup attendu et laissé faire. Le baptême de la CELAC a été une très mauvaise nouvelle pour « l’empire » mais il sait qu' il lui reste encore de bonnes cartes dans la manche. Par exemple qu' il dispose de plusieurs « chevaux de Troie » dans une organisation encore sans saveur et qu' ils se mettront docilement à son service le moment venu. Il sait aussi que son travail persévérant de déstabilisation des gouvernements les plus radicaux peut les affaiblir, créant ainsi des difficultés qui se refléteront au sein de la CELAC. Il sait enfin que ses chants de sirène entendus par les dirigeants de centre-gauche d’Argentine, Brésil, Uruguay, Pérou, peuvent tenter leurs gouvernants de déserter le projet d’émancipation des racines de la Celac actualisés par Fidel, Raul, Chavez et Correa pour n’en citer que les figures principales. Les gestes de conciliation lancés par Obama vers Cristina Fernandez et le travail permanent de séduction que la Maison Blanche exerce sur Brasilia sont des pièces de cette stratégie. Séparer l’Argentine et le Brésil du projet radical de la Celac, isoler Chavez, Evo et Correa et au passage donner un tour de vis au blocus contre la révolution cubaine. « L’empire » ne laissera rien au hasard. L’enjeu est bien trop grand : 20 millions de kms carrés, un marché de 600 millions d’habitants, sept des dix plus grands producteurs de minerais stratégiques du monde, la moitié de l’eau douce et de la biodiversité de la planète sans parler du pétrole, gaz naturel, ressources énergétiques de tout genre et alimentation pour contrer la faim d’un milliard de personnes. Comme le rappelait Che Guevara, l’Amérique latine est l’arrière-garde stratégique des USA, et dans les conditions actuelles de crise économique internationale et l’accélération de la décomposition du précaire « ordre mondial » créé par Washington dans l’ après guerre, cette arrière-garde acquiert une valeur décisive
Atilio A. Boron Le 27 décembre 2011 http://www.legrandsoir.info/celac-deux-orientations-pour-un-projet.html Atilio A. Boron est directeur du PLED (programme latino-américain
d’éducation à distance en Sciences sociales du Centre culturel
de coopération « Floreal Gorini ». La CELAC et la démesure du rêve bolivarien Le Sommet constitutif de la Communauté des États d’Amérique latine et de la Caraïbe (CELAC), célébré à Caracas les 2 et 3 décembre, est un événement d’une indiscutable dimension historique. L’on peut dans un cas pareil utiliser ce qualificatif sans avoir peur d’exagérer. La réunion a dépassé les expectatives les plus optimistes grâce à l’esprit démocratique avec lequel celle-ci a été préparée par les amphitryons vénézuéliens en consultation permanente avec les autres gouvernements, à l’ambiance de fraternité dans laquelle elle s’est développée, à l’importance du contenu des documents fondateurs qui regorgent d’un esprit et d’un lexique émancipateurs, indépendants et latino-américanistes. A partir de maintenant l’Amérique latine et la Caraïbe s’exprimeront avec leur propre voix au sein du concert international et multipolaire des nations, accéléré par la débâcle du capitalisme néolibéral et les guerres d’agression échouées de Washington. Bien qu' au sein de la CELAC existent des nations ayant des politiques néolibérales et d’autres qui la questionnent frontalement, le sommet marque la rupture de la région avec le Monroïsme [de la doctrine Monroe, ndt]. Comme le montrent les expériences passées, ces différences ne doivent pas empêcher son fonctionnement. Il convient de rappeler que le chemin à suivre maintenant ne sera pas exempt d’obstacles endogènes et principalement de menaces exogènes. Dans tous les cas, la magnitude de ses objectifs d’intégration économique, culturelle et politique (qui comprend aussi l’inclusion sociale), protection de la nature et participation citoyenne est inhérent à la magnifique démesure du rêve bolivarien et martien. Ainsi le confirment la Déclaration de Caracas, la Procédure pour le fonctionnement de la CELAC, le Plan d’Action de Caracas et les 20 autres documents adoptés. Lorsque Bolivar a énoncé cet idéal, ensuite
actualisé par Marti, certains ne l’ont pas cru viable, même
s’ils l’ont qualifié de noble et splendide ; d’autres
n’y ont guère prêté d’attention ; d’autres
encore –les empires et les oligarchies– se sont dressés en
tant qu' ennemis jurés et ont fait tout ce qui était en leur
pouvoir pour le tuer dans l’œuf quand il s’est transformé
en projet politique. Mais toujours, même dans les circonstances les plus
adverses, il y a eu des personnes qui ont défendu cet idéal et
qui lui furent fidèles, comme nous avons pu l’apprécier
dans l’intéressant face à face qu' ont eu Cristina
Fernández et Hugo Chavez au sujet de l’histoire latino-américaine
quelques jours avant le sommet [de la CELAC] en direct à la télévision
vénézuélienne (www.cubadebate.cu/noticias/2011/12/03/cristina-y-chavez-un-d...). Il est bien sur impossible d’expliquer la CELAC sans le travail du groupe de Rio, premier mécanisme de concertation politique nettement latino-américain, et les sommets de l’Amérique latine et la Caraïbe pour le Développement qui ont eu lieu au Brésil et au Mexique. Ils font partie de son corpus, comme le proclament les documents fondateurs. Il est aussi nécessaire de souligner que durant l’étape comprise entre les années 90 et l’actualité, c’est Hugo Chavez qui a été le plus important moteur et instigateur des alliances, des grands accords et consensus, un des principaux artisans des institutions et des contenus solidaires dans les relations latino-caribéennes qui ont rendu possible le fait que la création de la Celac soit une réussite. On compte parmi ses succès la très importante restauration des relations entre le gouvernement de Colombie et celui du Venezuela grâce à une louable volonté mutuelle. Il y a 17 ans (4 ans avant d’être élu président), Hugo Chavez a affirmé à l’Université de la Havane : Le siècle qui vient, pour nous, ce sera le siècle de l’espoir. C’est notre siècle, celui de la résurrection du rêve bolivarien, du rêve de Marti, du rêve latino-américain. L’histoire est en train de lui donner raison. Angel GUERRA CABRERA Article paru dans le quotidien mexicain « La Jornada » et repris le 9/12/2011 par le site « Le Grand Soir » |