LE COLONIALISME FRANÇAIS NE S’EST JAMAIS ETEINT
AU TCHAD.
Un rappel de 1973 : l’assassinat du Dr. Outel
Bono.
L’AFASPA et sa revue sont maintes fois revenues sur le
caractère inacceptable, sur les plans politique et juridique, de la présence
de troupes françaises et de leurs activités dans plusieurs pays
d’Afrique notamment au Tchad.
A l’occasion des évènements actuels dans ce pays, « Aujourd’hui
l’Afrique » entend rappeler un épisode tragique des
relations franco tchadiennes, l’assassinat du docteur Outel BONO en 1973,
en publiant des extraits d’un document juridique élaboré
par le défenseur de sa famille, Monsieur Pierre KALDOR, président
d’honneur de l’AFASPA.
« Je soussigné, Pierre Kaldor, avocat du
Barreau des Hauts de Seine, 7 avenue Pinel 92600 Asnières, Tél. :
793 34 99, conseil de Madame Nadine DAUCH Vve BONO, ai l’honneur
de remettre à la Chambre d’Accusation de la Cour d’Appel
de ¨PARIS les présentes observations au soutien de l’appel
formé par Mme BONO contre l’ordonnance de M. le juge d’Instruction
PINSSEAU en date du 20 avril 1982.
Le 26 août 1973, le Dr OUTEL BONO, directeur de la Santé au Ministère
de la Santé de la République du Tchad, était assassiné
dans sa voiture, à 9H30, rue de la Roquette.
Les raisons politiques de ce crime sont soulignées par tous les documents
figurant au dossier.
Déjà en 1963, pour des raisons politiques sans aucune connexion
avec ces actes de violence, le Dr OUTEL BONO avait été condamné
à mort en République du Tchad, alors gouverné par le président
TOMBALBAYE.
Une campagne de protestation internationale a soutenu la pression de l’opinion
publique au Tchad et a pu faire en sorte que la peine de mort ait été
commuée en détention perpétuelle ; mais trois ans
plus tard le Dr BONO était gracié, reprenait sa profession de
médecin. .
En 1969, le Dr BONO était de nouveau arrêté pour avoir évoqué
dans la réunion d’un cercle culturel, la détresse des planteurs
de coton tchadiens.
Il était condamné à 5 ans de prison sous la prévention
d’atteinte à la sûreté de l’État ;
mais à la faveur de la protestation populaire, il était assez
rapidement gracié et reprenait sa fonction de Directeur de la Santé.
Le gouvernement français qui, malgré l’indépendance
nominale de la République tchadienne, gardait la haute main sur les rouages
de l’état tchadien, recherchait les hommes d’une solution
au problème du remplacement du président TOMBALBAYE et de son
entourage discrédités par sa cruauté et sa corruption.
Le Dr OUTEL BONO avait été officieusement sollicité d’être
l’homme du changement, ce qu' il n’a pas accepté des
autorités françaises.
Venu en France en 1972 pour y passer ses vacances il était informé
d’une nouvelle vague de répression qui s’était déclenchée
au TCHAD dès qu' il eût quitté le pays.
En France le Dr BONO s’efforçait d’aider à une protestation
contre cette répression, en même temps qu' il accomplissait
un stage de recyclage dans nos hôpitaux parisiens.
La situation au Tchad se détériorant de plus en plus, le Dr OUTEL
BONO qui avait, jusqu' ici, peu participé à une activité
politique expresse, avait décidé, avec des amis tchadiens en France
et dans son pays, de créer un mouvement d’opposition de caractère
démocratique et non violent.
Le 21 août 1973, étaient ainsi répandus au Tchad quelques
dizaines d’exemplaires d’un manifeste et une conférence de
presse était prévue à Paris pour le 27 août ou le
28 août 1973, date à laquelle, en principe, le président
TOMBALBAYE de son côté devait présenter la création
d’une nouvelle formation politique remplaçant le vieux parti progressiste
tchadien dont il était le maître et dont il disait les objectifs
dépassés.
L’assassin du Dr BONO a été vu sur place par plusieurs témoins
qui l’ont aperçu avant le crime et tout de suite après.
Pendant longtemps, l’assassin n’a pas été connu.
Puis, au moment de la détention de M. et Mme Claustre, ethnologues dans
le nord du Tchad par les rebelles Toubous dirigés par M. Hissène
Habré, le gouvernement Tombalbaye envoyait un officier français
de renseignements devenu fonctionnaire tchadien, le commandant Galopin, tenter
de négocier la libération des époux Claustre.
Le commandant Galopin qui avait, dans le passé, collaboré à
une répression cruelle des opposants au régime en place, fut retenu
prisonnier par M. Hissène Habré.
C’est dans cette situation que M. Thierry Desjardins, reporter au « Figaro »
put obtenir de s’entretenir au cours d’un reportage avec le commandant
Galopin qui lui confia que l’assassin du Dr BONO était un certain
Léon Hardy, telle était, tout au moins, l’orthographe donnée
dans le reportage de M. Thierry Desjardins.
Dès que ce renseignement parut, la partie civile fit connaître
au juge d’instruction cette information afin de faire rechercher ce Léon
Hardy.
Il s’avère de l’information qu' il s’agissait
d’un nommé Claude Bocquel qui empruntait diverses identités
et se fit, un moment donné, appeler, selon ses propres déclarations,
Léonardi, ce qui sonne de la même manière que le nom figurant
dans le reportage du Figaro.
Claude Bocquel avait négocié avec le colonel Gourvène les
conditions dans lesquelles il devait enlever ou supprimer un dirigeant de l’opposition
tchadienne qui semble avoir été le Dr Abbah Sidik, bien qu' il
ne puisse être exclu qu' il ait pu s’agir du Dr BONO.
Claude Bocquel n’a pas manqué de dire que, si on lui avait demandé
« dans l’intérêt de la France » de
supprimer le Dr BONO il l’aurait fait.
Le prix de « ces » services est avoué pour 200 000
F.
Malgré la demande de la partie civile, Claude Bocquel n’a jamais
été entendu par le juge d’instruction et n’a jamais
été inculpé.
Alors que des empreintes digitales « identifiables » ont
été relevées sur les vitres de la voiture du Dr BONO, aucune
étude comparative n’a été faite entre ces empreintes
digitales et celles de Claude Bocquel.
N’ayant pas été inculpé, il n’a pas été
confronté avec les personnes qui ont aperçu le meurtrier avant
et après le crime.
L’une des dernières personnes ayant rencontré le Dr BONO
avant sa mort et ayant hébergé dans de curieuses conditions Mme
BONO après la mort de son mari, semble avoir joué un rôle
important, sinon dans l’exécution même du Dr BONO, du moins,
dans sa mise à la disposition du tueur. Il s’agit de M. Henri Bayonne.
Lors d’un interrogatoire devant le juge d’instruction, en présence
de la partie civile, il a admis comme valable les déclarations du commandant
Galopin à M. Thierry Desjardins, à peu près dans les termes
suivants :
« Puisque le commandant Galopin a livré le nom de l’assassin
du Dr BONO ».
Il est à noter que les commissions rogatoires lancées par les
juges d’instruction successifs ne sont rentrées qu' avec beaucoup
de retard à leurs cabinets et sur les démarches instantes de la
partie civile.
Pour autant, les auditions demandées par les magistrats instructeurs,
avaient été pratiquées depuis plusieurs mois, parfois depuis
plus d’une année.
Á titre d’exemple parmi d’autres, la commission rogatoire
de M. Alain Bernard en date du 19 novembre 1974 n’est rentrée que
le 22 mai 1979.
Le rôle éventuel du colonel Gourvenec avait été signalé
dès les premiers temps de l’information par la partie civile au
juge d’instruction qui avait demandé à la brigade criminelle
d’intercepter et d’interroger le colonel Gourvenec à son
passage à l’aéroport où il pouvait passer en provenance
d’Afrique.
Á plusieurs reprises, cet officier a fait des allers-retours en France
sans être jamais interpellé.
Puis, il est rentré définitivement dans notre pays où il
est décédé brusquement peu après le dernier interrogatoire
de Claude Bocquel, après avoir ingurgité une pâtisserie
qui lui était tendue.
Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que le
non-lieu n’est pas justifié et que, pour une bonne administration
de la justice, afin de poursuivre l’enquête, il y a lieu d’inculper,
pour le moins, MM. Claude Bocquel et Henri Bayonne en poursuivant l’information
contre tous autres.
Au soutien du présent mémoire, j’ai l’honneur de vous
demander de m’entendre à votre audience pour quelques minutes. »
Les faits ainsi évoqués ont été
largement communiqués aux medias, si bien que le réalisateur de
la télévision Stellio Lorenzi chargea un de ses collaborateurs
et son équipe de préparer une émission avec l’aide
de Maître Pierre Kaldor. Tous les documents juridiques ont alors été
filmés et l’équipe se déplaça même en
Haute Savoie où se trouvait momentanément en villégiature
l’avocat de la famille BONO.
Pour autant jamais le film que l’on sait très complet n’a
été diffusé.
Aujourd’hui, alors qu' il est courant de condamner tant de pratiques
de la colonisation passée et du néo colonialisme, n’y aurait-il
pas lieu de dédommager les familles des victimes dont certaines se trouvent
dans une situation précaire voire misérable ?
Pierre Kaldor
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