le Parti communiste soudanais, permanences et nouvelle donne Soudan: Le Soudan se présente comme un pays original à maints égards. Nation parmi les plus anciennes d'Afrique, son histoire et sa géographie le placent à une zone de fractures, souvent conflictuelles : Afrique "blanche " "noire", Afrique sahélienne orientale, Afrique musulmane animiste et chrétienne. Le Soudan a, dès l'époque des pharaons, excité bien des convoitises en raison de sa place stratégique. La découverte à la fin des années soixante-dix de gisements pétroliers constitue, aujourdhui, une des clés dexplication de la guerre qui ravage le pays, surtout le Sud, et qui depuis 1983 a provoqué la mort denviron un million et demi de personnes. De la naissance du Parti Communiste à la Révolution d'Octobre 1964 Le PC soudanais a été créé en Egypte[2] en mars 1947 sous le nom de Mouvement soudanais de libération nationale. Il fut alors soutenu et appuyé notamment par une organisation communiste égyptienne dirigée par Henri Curiel[3]. Il prit alors racine dans la société soudanaise. Ses dirigeants - Abd El Khaleg Mahjoub (futur secrétaire général), Al Tajini al Tayeb Babikir, Izz al-Din Amer - et ses militants choisirent et mirent en uvre une ligne politique reliant les revendications nationales aux revendications socio-économiques. A l'indépendance, le 1° janvier 1956, le programme politique et social du MSLN - qui se transforma en Parti communiste soudanais (SCP) était relativement classique parmi les pays débarrassés du colonialisme. Il revendiquait une démocratie pluraliste, appelant à l« unité des forces vives de la nation », l« union de la classe ouvrière, de la paysannerie, de la bourgeoisie nationale, des intellectuels progressistes », et réclamant des investissements dans l'industrie, alors quasi inexistante, et dans les secteurs délaissés par le pouvoir colonial. Le SCP demeurait minoritaire mais ses cadres et ses militants étaient dévoués et chevronnés. Il s'appuyait sur une puissante base syndicale (surtout chez les cheminots et les métayers) organisée dans lUnion des travailleurs soudanais[4]. Le militantisme syndical fournit également une base de repli aux militants communistes quand leur parti était placé hors-la-loi. Enfin, signe de son dynamisme, le SCP chapeautait les organisations d'intellectuels, d'étudiants et de femmes. Le putsch militaire de 1958, dirigé par le général Abbud, et téléguidé par les Etats Unis et la Grande-Bretagne, contraignit le SCP à la clandestinité. La ligne d'unité contre la dictature, qui sous des appellations diverses, constitue jusquà nos jours, la stratégie permanente du SCP, déboucha alors sur la formation du Front national unifié, animé pour l'essentiel par ses militants. Sous la pression dun mouvement de masses, ce régime, lié à la haute bourgeoisie soudanaise et à l'impérialisme, tomba en octobre 1964. La dictature Nimeiry après quatre années de régime démocratique marquées
par l'instabilité politique et la volonté de mettre le Parti communiste
hors-la-loi, les militaires reprirent le pouvoir le 25 mai 1969. Le Parti
communiste tout en gardant ses distances, tant du point de vue idéologique
que politique, simpliqua militairement aux côtés des Officiers
Libres . Il participa aux manifestations populaires qui les
accueillirent au début. Les militaires, pour leur part, cherchèrent à
déborder le SCP. Ils instaurèrent une politique de nationalisations qui
se révéla très vite inefficace. De plus, Nimeiry entendit fondre toutes
les organisations en un parti unique, l'Union socialiste soudanaise, ce
que la majorité des communistes refusa[5]. Dès lors, la tension alla croissant : arrestation du secrétaire général
(qui put néanmoins s'enfuir de son lieu d'internement, le 29 juin 1971),
appel du SCP à la lutte contre la dictature le 30 mai 1971, rébellion
d'une partie de l'armée, le 19 juillet, laquelle fut rapidement défaite.
La répression du pouvoir se voulut exemplaire : le secrétaire général
du Parti, celui des syndicats, le ministre représentant le Sud et 11 militaires
furent pendus, sans autre forme de procès. Le pouvoir chercha à accréditer
la thèse dune "tentative
de coup d'Etat communiste". La question du Sud[6] Au début des années 80, le Soudan était miné par une corruption endémique, le délabrement de son économie et la famine dans le sud du pays (famine nettement moins médiatisée que celle de l'Ethiopie, à la même époque). A ces maux, il fallut ajouter la reprise de la guerre dans le Sud, à partir de 1983, qui greva lourdement un budget déjà exsangue. Le coût de la guerre est dun million de dollars par jour dans un pays où lon vit avec 1 dollar par jour et par personne. La spécificité culturelle du Sud, si elle fut encouragée par le régime colonial, n'en demeurait pas moins indéniable (géographiquement[7], religieusement[8], ethniquement[9] et linguistiquement[10]). La position originale du SCP était alors, comme le précisa lappel du 9 juin 1969, préparé par lui mais lancé par Nimeiry, de juger que la question du Sud devait être traitée sur des plans à la fois politiques, économiques et culturels en posant les principes suivants : 1°) un gouvernement autonome 2°) le respect de la diversité culturelle et religieuse 3°) la correction des inégalités économiques Cette autonomie passait en effet, selon le SCP, par la résorption du sous-développement économique, la formation de cadres à tous les niveaux, la mise en valeur de la culture régionale. Ces propositions, reprises par Nimeiry, ne furent jamais totalement appliquées : après quelques avancées dans le prolongement des accords dAddis Abeba de 1973, les années 79-83 marquèrent un retour en arrière[11]. Fidèle à sa stratégie d'unité contre la dictature, le PC a soutenu le combat mené par l'Armée Populaire de Libération du Soudan (SPLA), fondée par John Garang. Forte denviron 13 à 15000 hommes, la SPLA, si elle a depuis longtemps abandonné son credo socialisant, et est soutenue par les Etats-Unis et leur relais régional, l'Ouganda, compte de nombreux cadres communistes ou de formation communiste. En Juin 1995, le SCP a reconstitué, de son côté, en liaison avec la SPLA, une force de plusieurs centaines dhommes armés. Des divergences subsistent cependant sur des questions politiques et stratégiques entre les deux organisations. L' après Nimeiry A la chute de Nimeiry, en 1985, à laquelle les communistes ont puissamment contribué, le PC est sorti de la clandestinité. Pourtant, malgré une réelle popularité due à leur opposition constante à Nimeiry et aux diktats du FMI et de la BM, il n'obtint, aux élections de 1986, que des résultats modestes avec six élus (3 membres officiels du SCP et 3 soutenus)[12]. Une nouvelle fois, en 1989, l'armée mit fin à cette expérience démocratique, souvent tumultueuse. En réalité, le Front national islamique, avec son principal idéologue, Hassan El Tourabi, tirait les ficelles et imposait sa dictature. Dans les premiers temps, les Etats-Unis ne virent pas d'un trop mauvais il l'arrivée de ce régime anticommuniste. Mais la rivalité entre Khartoum et Kampala et la tactique de Washington dans la région mena à la rupture entre le Soudan et les Etats-Unis. En juin 1995 se tint en Erythrée la principale réunion de l'Alliance nationale démocratique (NDA), regroupant les grands partis d'opposition. Cette stratégie d'union reprenait celle du SCP dans la lutte contre les dictatures précédentes. La deuxième conférence de la NDA, à laquelle participa la SPLA, approfondit les thèmes suivants : actions armées en coordination avec la SPLA et préparation du soulèvement populaire, profitant de l'isolement du régime et de la situation sociale et économique désastreuse. La nouvelle stratégie de la dictature islamiste Progressivement des signes de fragilité apparurent au sein du régime islamiste installé à Khartoum. D'une part, dans le Sud, l'impasse politique et militaire était totale. La population, frappée par la famine, était, de plus, terrorisée par les milices du pouvoir (dites Forces de défense populaire). Le pouvoir central comme la SPLA ont intégré cyniquement dans leurs calculs tactiques l'arme politique de la faim mais le besoin dune solution politique négociée est devenue incontournable. D'autre part, pour briser son isolement (aidé en cela semble-t-il, par une certaine diplomatie française), et se débarrasser de l'encombrante étiquette d'intégriste, le régime a dû concéder une ouverture politique. Dans un premier temps celle-ci est restée relativement timide. Ainsi fin février 1999, un grand nombre de "partis" ont été légalisés à lexception des principaux partis dopposition. Le but était encore de briser la NDA et d'isoler les partis qui en sont membres (représentant 80 % du corps électoral avant la dictature). Fin 1999, le régime a donné dévidents signes de changement. Ceux-ci vont de pair avec laccentuation de divisions internes entre dune part lappareil dEtat et larmée emmenés par le général Omar Al Beshir et dautre part lappareil politique du Front islamiste (NIF), dirigé par Hassan al-Thourabi. Le premier réussit, le 12 décembre, à éloigner du pouvoir son concurrent. Du point de vue diplomatique les Etats de la région, préoccupés par la guerre et la sécheresse, ainsi quune partie de la diplomatie des Etats-Unis[13] appuient le général et louverture des négociations avec la SPLA. Ces négociations se déroulent à lheure actuelle dans deux cadres différents. Les unes sont menées sous légide des gouvernements de la région regroupés dans lIGAD[14] et lautre sous celle du binôme Egypte/Libye, représentant plutôt un point de vue arabe, préoccupé de lancrage dun Soudan unifié dans le monde arabe. La SPLA, pour sa part, cherche à élargir le contenu des négociations, au delà de la seule question du Sud. Pour négocier une issue démocratique au régime soudanais elle cherche à insérer la NDA dans ce processus. Cest dans ce cadre quune ouverture politique a été initiée avec, en février 2000, lautorisation de 11 journaux dont un quotidien de gauche, Al Ayam, et lannonce le 12 mars de la légalisation de quelques partis politiques marginaux. Le Parti communiste affronte une nouvelle phase de clandestinité, quil aborde en poursuivant ses luttes sans négliger ses débats internes[15]. Dominique MAZIRE et Rashid SAEED
Principaux partis politiques soudanais
Ces trois mouvements forment l'essentiel de l'Alliance nationale démocratique (NDA) avant que lUmma ne la quitte à la mi-2000.. Frères musulmans : parti historique intégriste, dont lexpression politique est le Front national islamique (NIF). Mouvement soudanais central : parti islamiste "modéré ". Mouvement populaire pour la libération du Soudan (SPLM): branche politique de la SPLA de John Garang. Front du salut et dunité démocratique (UDSF): mouvement sudiste qui a signé les accords de paix de 1997 avec le pouvoir central, violemment opposé à la SPLA. Si la SPLA et l'UDSF ont des assises politiques, ils s'appuient sur une base ethnique. Il faut ajouter à ces partis des mouvements sudistes, à base tribale voire clanique, ralliés à Khartoum. Résultats des élections de 1986
Notes: [1] Notamment USAD (Union de sudistes).
Parti communiste soudanais : Extraits de déclarations Sur le coup dEtat [1] Le terme « coup militaire » a une mauvaise résonance dans notre pays en raison des souffrances subies par notre peuple durant les 22 ans de règne militaire sur les 29 ans dindépendance (1956 à 1985). Mais le fait objectif est que larmée est une institution bien établie qui ne peut être effacée. On ne peut ignorer son impact sur la vie politique et la lutte pour le pouvoir et par conséquent son enjeu dans la lutte politique entre les classes sociales : influencer larmée et obtenir une alliance avec elle. Cette lutte se prolonge à lintérieur de larmée. Sappuyant sur cette analyse, notre Parti définit sa position à chacun des « coups » ( ). Les putschs et la pensée putschiste ainsi que la tactique putschiste expriment les intérêts et les aspirations de la bourgeoisie. Cest naturel. Le Parti communiste ne peut malgré toute son influence politique et idéologique de masse empêcher ces classes de faire les choix politiques qui servent leurs intérêts Conclusions du Comité central (1985). méconnaissance de coup dEtat Le coup dEtat ce jour là fut une surprise pour lensemble du Parti y compris Abdel Khalik Mahjoub, le Bureau politique, le secrétaire général, le Comité central et même certains militaires membres et dirigeants de lorganisation. Document du 50 ° anniversaire (1996). Lautodétermination Le mot dordre de droit à lautodétermination parmi les mots dordres fondamentaux et de principe dans la théorie marxiste concernant les problèmes des nationalités nest pas un mot dordre absolu. Il nest pas rigide, bon à brandir et à lancer en tout lieu et tout temps, sans considération des conditions historiques, tangibles et particulières, ni aux particularités de la naissance dun problème national particulier dans un pays particulier. ( ) Le Parti souhaite à cette fin : « lalliance des forces révolutionnaires soudanaises au Nord avec les peuples et les tribus du Sud sur une base démocratique anti-impérialiste, létablissement dun pouvoir autonome au Sud sous une direction du Sud ayant scellé son destin à celui de cette alliance.[2] Le pluralisme Le pluralisme trouve ses racines dans le libéralisme, nest-ce pas ? Nous pensons que la révolution démocratique nationale et son évolution vers le socialisme seront liées au pluralisme et non à une seule classe fut-elle la classe ouvrière, non au parti unique fut-il le Parti communiste. Je le dis sans gêne ce pluralisme ne suivra pas le modèle de lexistence formelle des partis tels quils existent dans certaines démocraties populaires ou en Chine. Le pluralisme constitue une caractéristique de lévolution de la révolution démocratique nationale au Soudan et elle va accompagner cette évolution et ce cest mon appréciation jusquau socialisme[3]. Questions Ideologiques[4] « Nous ne voudrions pas répéter les erreurs du passé à suivre un quelconque modèle. De la même manière la théorie et la pratique du marxisme-léninisme ne peuvent être traitées comme des livres fermés. ( ). Dans ce contexte le marxisme-léninisme doit demeurer une science de la théorie et de la pratique créative et en développement constant ( ) Nous décidons simplement ce qui est bon et mauvais maintenant et nous choisissons dans le vaste corps des connaissances. Se fondant sur cela nous croyons que chaque parti devrait commencer par formuler ses propres conclusions. ( ) Nous voyons notre contribution à la recherche dune issue à la crise du marxisme ainsi : de lintérieur vers lextérieur, du particulier vers le général. Le comité central du Parti communiste organise un débat interne général sur ces questions avec une importance particulière sur la manière de rénover notre parti, élever sa vision idéologique, son programme, ses statuts, son organisation et même son nom si cela savérait nécessaire, avec une évaluation critique de nos pratiques passées et une égale analyse critique de la crise du marxisme et de léchec du modèle soviétique de socialisme ».
Bibliographie
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