L'Empire s'inquiète pour son pétrole nigérian

Hier 19 juin 2008, le géant pétrolier Royal Dutch Shell a dû suspendre l'exploitation du brut nigérien à la suite d'une violente attaque contre sa plateforme off-shore de Bonga, à 120 km des côtes nigérianes, dont la capacité est de 220 000 barils par jour. Le groupe MEND a revendiqué cette action ainsi que l'enlèvement du capitaine états-unien Jack Stone, de la firme de services pétroliers Tidex (Reuters). L'attaque des terminaux pétroliers et des oléoducs par ce groupe dans le Delta du Niger a déjà contribué depuis début 2006 à réduire de 20 % la production pétrolière du Nigéria qui est sixième exportateur mondial de pétrole (et le cinquième fournisseur des États-Unis), et dont les réserves seraient immenses. La crainte d'une interruption totale des exportations nigérianes serait un des facteurs principaux de la flambée des prix du brut sur les marchés internationaux en ce moment.

On sait peu de choses sur le Mouvement pour l'émancipation du Delta du Niger (MEND) à part qu'il réclame une distribution plus équitable des revenus du pétrole (la manne pétrolière nigériane partagée entre les multinationales et le gouvernement profite fort peu à la population). Ses détracteurs y voient un ramassis de criminels, ses sympathisants, par exemple l’écrivain, prix Nobel de littérature, Wole Soyinka, un groupe de jeunes gens disciplinés et déterminés, mus par des objectifs politiques au service d'une meilleure répartition de la rente (voir par exemple l'analyse d'une chercheuse membre de la Ligue communiste révolutionnaire Kohou Mbwélili sur http://www.legrandsoir.info/article.php3?id_article=5313). Certaines de leurs revendications ponctuelles ont révélé une proximité avec des opposants nigérians qui ne sont pas faits pour plaire à l'Empire occidental : ils ont notamment demandé la libération de l'ex-gouverneur de l'Etat de Bayelsa, Diepreye Alamieyeseigha, jugé coupable de corruption et celle de «Mujahid» Dokubo Asari, "un converti à l’islam, un gangster admirateur d’Oussama Ben Laden, selon ses détracteurs, un chef charismatique qui affirme mener ses actions au nom de la défense des ijaw, selon ses admirateurs" d' après RFI (http://www.rfi.fr/actufr/articles/074/article_41998.asp). Jugé coupable de «trahison» par la Haute-Cour fédérale en octobre 2005, Asari dirigeait une milice armée désormais interdite, la Force des volontaires du peuple du delta du Niger (NDVPF), dont le MEND a pris la relève.

Les actions de sabotage du MEND rappellent celles de la résistance irakienne. La résistance nigériane semble d'ailleurs, comme celle d'Irak, divisée entre de nombreux groupes rivaux dont MEND serait le plus efficace ou peut-être l'étiquette commune à l'égard de l'extérieur (http://www.wjla.com/news/stories/1207/481135.html).

Depuis peu, une certaine gauche droit-de-l'hommiste états-unienne s'intéresse au MEND, comme par exemple Sandra Cioffi dont on peut lire l'interview sur Democracy now! (http://i2.democracynow.org/2008/5/9/free_from_nigerian_military_custody_sweet ). Sandra Cioffi a réalisé un film documentaire au Nigéria sur le pétrole - Sweet crude (http://www.sweetcrudemovie.com/ et http://www.sandycioffi.com/home.php) -, ce qui lui a valu d'être arrêtée par le gouvernement nigérian, mais elle a pu être libérée au bout de six jours notamment grâce aux pressions de membres de la Commission des affaires étrangères du Sénat étatsunien. après que le MEND ait demandé la médiation de personnalités comme George Clooney ou Jimmy Carter, elle estime que que la multinationale américaine Chevron, qui est, le deuxième exploitant pétrolier au Nigéria après Shell, devrait s'impliquer dans la résolution du conflit, et la négociation sur la redistribution de la rente... avant qu'elle ne soit remplacée par des compagnies chinoises. Elle serait, dit-elle, un "meilleur joueur que les autres compagnies pétrolières, en particulier les chinoises, par exemple, qui ont indiqué qu'elles désirent s'installer là, et qui n'ont rien à faire des atteintes aux droits de l'homme dans le Delta". Le site de son film appelle les juristes, politiciens et journalistes de l'Union européenne et des Etats-Unis à promouvoir au Nigeria un "Good Friday Peace Agreement" sur le modèle des négociations d'Irlande du Nord en 1998 afin d'obtenir par des voies "démocratiques" une stabilisation de la zone avant que la logique du conflit militaire ne la plonge davantage dans le chaos. Dans un style ambigu il observe : " Que l'objectif soit de traiter une crise humanitaire ou de sécuriser nos approvisionnements pétroliers, il est temps d'avoir une nouvelle approche" (http://www.sweetcrudemovie.com/politicalAction.php).

F. Delorca

http://atlasalternatif.over-blog.com/article-20619628.html

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