Mauritanie : Les militaires ferment la parenthèse civile
(11 Août 2008)
La transition démocratique aura été de
courte durée en Mauritanie. Elu en mars 2007, le président Sidi
Ould Cheikh Abdallahi a été renversé le 6 août 2008
par des éléments de sa garde. Depuis le premier coup d’Etat
qui a chassé Moktar Ould Daddah du pouvoir, en 1978, Nouakchott vit son
cinquième régime militaire. Dans cette période de trente
ans marquée par l’omniprésence de l’armée,
les seize mois que vient de vivre un régime issu d’une expression
populaire sonnent comme une parenthèse anachronique. La Mauritanie retrouve
un ordre militaire qui l’a longtemps caractérisé, le règne
éphémère des civils n’ayant pu se faire dans la stabilité
qui lui aurait permis de s’inscrire dans la durée.
Le Haut conseil d’Etat dont la mise en place a été
annoncée après le putsch et que préside le général
Ould Abdel Aziz est composé de dix autres membres. A savoir le général
Mohamed Ould Cheikh Mohamed Ahmed (chef d’état-major des forces
armées), le général Felix Negri (chef d’état-major
de la garde nationale), le colonel Ahmed Ould Bekrine (chef d’état-major
de la gendarmerie) et le colonel Mohamed Ould Cheikh Elhadi (chef de la Sûreté
nationale). Six autres officiers les complètent : le colonel Ghoulam
Ould Mahmoud, le colonel Mohamed Ould Meguett, le colonel Mohamed Ould Mohamed
Z’Nagui, le colonel Dia Adama Omar, le colonel Hennoune Ould Sidi et le
colonel Ahmedou Bamba Ould Baya.
Plusieurs facteurs sont avancés pour expliquer ce coup
d’Etat, aboutissement d’une instabilité politique qui a fragilisé
le pouvoir de Sidi Ould Cheikh Abdallahi dès les premiers mois de son
installation. Le phénomène le plus remarquable, durant cette période,
aura été la brutale émergence du terrorisme islamiste.
Si des mouvances radicales se sont souvent exprimées à Nouakchott
pendant ces dernières années, les attentats qui se sont multipliés
au cours des derniers mois, ont donné l’illustration d’un
pouvoir incapable de maîtriser la situation intérieure.
Le fait le plus spectaculaire a été l’assassinat
de touristes français, le 26 décembre 2007, par des éléments
se disant proches d’Al Qaeda. Paris avait, dans la foulée, «conseillé»
l’annulation du rallye Paris-Dakar dont la plus grande partie du parcours
se déroule en Mauritanie, en raison de menaces terroristes. Un nouveau
«coup d’éclat» s’était produit début
février 2008, quand des hommes armés ont attaqué à
l’arme automatique l’ambassade d’Israël, faisant trois
blessés, tous Français, dont deux par des balles perdues. Ces
actions étaient alors mises en relation avec l’appel qu' aurait
lancé aux Mauritaniens le numéro deux du réseau al-Qaïda,
Ayman Al-Zawahiri, de s’attaquer à l’ambassade israélienne
à Nouakchott, selon un centre américain de surveillance de sites
Internet islamistes, IntelCenter.
Longtemps stable sous le régime répressif d’Ould
Taya, renversé en 2005, la Mauritanie semblait avoir du mal à
gérer les espaces de liberté qui s’étaient ouvertes
avec la poussée démocratique. L’exercice semblait d’autant
difficile que le pouvoir élu en mars 2007 n’a jamais su asseoir
autour de lui une cohésion politique suffisante pour lui garantir une
assise forte et légitime. Au point que la crise politique est allée
crescendo ces derniers temps, fragilisant de plus en plus la majorité
présidentielle.
Le dernier gouvernement monté par le Premier ministre
Yahia Ahmed El-Waghef, arrêté par les putschistes en même
temps que le président Ould Cheikh Abdallahi, remonte à mi-juillet.
Quinze jours plus tôt, sous la menace d’une motion de censure d’un
Parlement pluraliste, son prédécesseur avait démissionné.
Devant une situation politique et sociale difficile, la majorité ne faisait
pas preuve d’une cohésion et d’une stabilité qui lui
auraient permis de soutenir les vents de fronde qui soufflaient de partout.
Et comme pour mieux annoncer la fin d’un règne présidentiel
qui n’était pas parvenu à se consolider en seize mois, un
groupe de 25 députés et 23 sénateurs avaient annoncé
leur démission collective du Pacte national pour la démocratie
et le développement (PNDD), la formation présidentielle, le 4
août 2008. Deux jours après, survenait le coup d’Etat du
6 août.
La plus courante explication donnée à ce putsch
repose sur les tentatives de contrôle que le président Ould Cheikh
Abdallahi voulait exercer sur l’armée. Les principales victimes
en étaient les deux généraux au centre du putsch. Des changements
décidés à la tête de l’armée, de la
gendarmerie et de la Garde nationale, par le chef de l’Etat déchu,
avaient conduit à leur mise à l’écart. Quelques heures
après, ils prenaient le pouvoir. Les généraux Ould Cheikh
Mohamed Ahmed et Mohamed Ould Abdel Aziz devaient, en effet, être remplacés,
respectivement, par le colonel Abderrahmane Ould Boubacar et le colonel Mohamed
Ahmed Ould Ismaïl. Tous deux avaient été membres du Conseil
militaire de transition qui avaient conduit, de 2005 à 2007, la transition
démocratique en Mauritanie. Aussitôt annoncée la nouvelle
de leur limogeage, ils ont fait envahir le palais pour procéder à
l’arrestation du chef de l’Etat. Comme pour confirmer qu' ils
sont bien les maîtres du jeu, le général Mohamed Ould Abdel
Aziz, dans sa première déclaration après le putsch, a souligne
: «C’est l’armée qui a mis fin à la dictature
en 2005. Et, aujourd’hui, c’est encore elle qui met fin à
la dictature, au népotisme, au chaos, au désordre».
Les mutations que le président Ould Cheikh Abdallahi
a voulu imposer sonnent comme une tentative de se libérer de la tutelle
pesante de l’armée, avec des généraux qui avaient
participé au coup d’Etat de 2005 et avaient joué des rôles
clés dans la transition ayant mené aux élections démocratiques.
A Nouakchott des observateurs les accusaient de tirer les ficelles des dissensions
politiques au sein du parti au pouvoir. Ils étaient ainsi soupçonnés,
voire accusés d’être à l’origine de la fronde
qui, le 4 août 2008, avait poussé à l’annonce de la
démission massive de députés et de sénateurs du
parti au pouvoir.
L’«erreur politique» du président
Ould Cheikh Abdallahi, c’est sans doute d’avoir voulu trop vite
se débarrasser de cette tutelle militaire. Parmi les quatre hauts gradés
qu' il a limogés, deux étaient à l’origine de
sa candidature à la présidentielle de 2007. Ayant un œil
et même une main dans le jeu politique, les officiers n’appréciaient
guère les mutations qui se succédaient, comme l’entrée
de partis d’opposition dans le gouvernement, ou le retour aux affaires
d’éléments influents de l’ancien régime du
président déchu Ould Taya.
Bien préparé dans les «coulisses»
du palais, le putsch s’est déroulé sans effusion de sang.
Mohamed Ould Abdel Aziz, ex-chef d’Etat major particulier du président
de la République, Gazhouani, chef d’Etat-major de l’armée,
Félix Négri, chef de la Garde nationale, ont juste fait procéder
aux arrestations du président de la République, de son Premier
ministre, du chef d’Etat-major nouvellement nommé et de quelques
hautes personnalités, pour décapiter le pouvoir et annoncer le
changement de régime sur les ondes de la radio nationale.
Comme étrangère à cette guerre interne
au sommet du pouvoir qui a vu les militaires dicter encore une fois leur loi
aux civils, la population a été sans réaction devant la
perte d’un régime qu' elle avait porté au pouvoir seize
mois plus tôt. Seuls quelques manifestations de partisans de président
déchu ont été signalées, vite dispersées
par les forces de sécurité, dans une ville de Nouakchott, la capitale,
où on continuait normalement de vaquer aux occupations quotidiennes.
La crise économique et sociale que le régime déchu n’était
pas parvenue à gérer, avec des manifestations à répétition
contre la vie chère, y est peut-être pour quelque chose.
Les condamnations n’ont cependant pas manqué dans
la classe politique mauritanienne, de même qu' au sein de la société
civile. Figure marquante du paysage politique mauritanien, Lô Gourmo Abdoul
de l’Union des forces de progrès, parle d’«un recul
de la démocratie» et réclame «un retour à l’ordre
constitutionnel avec Sidi Ould Cheikh Abdellahi comme président de la
République». Cette position est partagée par plusieurs autres
partis qui ont mis en place, le 7 août, un Front pour la défense
de la démocratie (FDD). Au niveau de la société civile,
le président du Forum national des ONG défenseurs des droits humains,
Sarr Mamadou, clame aussi qu' un«Un coup de force ne règle
pas les problèmes. Les dernières élections ont été
empreintes de transparence. Quels que soient les problèmes cet acquis
doit être préservé. Nous en appelons à la vigilance
pour sortir de la crise. Nous allons réunir toute la société
civile pour entamer une concertation pouvant favoriser le retour à une
situation normale», ajoute-t-il.
La junte au pouvoir annonce la tenue d’élections
sans en préciser encore la date. Mais la réprobation de la communauté
internationale reste unanime. L’Union africaine condamne et la France
«met fermement en garde les auteurs du coup d’Etat qui pourraient
faire l’objet de mesures à leur encontre dans l’hypothèse
où un retour à la légalité constitutionnelle ne
serait pas rapidement assuré». Reste à savoir ce que recouvre
le terme «rapidement». D’autant que Paris a semblé
mettre du temps à avancer dans sa lecture de la situation. Interrogé
sur les raisons du coup d’Etat, un porte-parole du ministère des
Affaires étrangères soutenait le 7 juillet qu' "il est
trop tôt pour qualifier (la) situation".
Il apparaît pourtant clair que malgré sa fragilité
et ses errements, l’expérience démocratique mauritanienne,
dont les prémices se faisaient sentir avec le régime de transition
militaire qui a renversé Ould Taya, était bien porteuse d’espoir.
La Mauritanie semblait sortir d’une longue nuit d’enfermement avec
une effervescence au niveau de la presse, un retour et une réinsertion
des réfugiés chassés vers le Sénégal depuis
1989 et une détente sociale fort perceptible… Les critiques ne
manquaient certes pas devant les balbutiements démocratiques, mais le
processus était soutenu par la population. Aujourd’hui, c’est
à la classe politique d’affirmer sa maturité et sa détermination
devant ce surprenant retournement de situation.
http://www.cetri.be/spip.php?article777&lang=en
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