Les combats de la classe ouvrière tunisienne

Jean Pierre Dubois

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DURANT L'OCCUPATION COLONIALE

Le mouvement ouvrier tunisien a joué un rôle de premier plan pour mettre un terme à la domination coloniale de la France. Dès 1920, se constituent des syndicats regroupant la fraction la plus démunie du prolétariat et, en décembre 1924, est créée la Confédération générale des travailleurs tunisiens (CGTT) - première centrale autonome de l'empire colonial français.

En novembre 1925, les autorités coloniales interdisent la CGTT et arrêtent ses dirigeants mais cela ne suffit pas à empêcher d'importantes grèves dans tout le pays en 1928.

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1952 : Répression coloniale au Cap Bon

En février 1937, ce sont les émeutes de la faim qui secouent le bidonville de Mellassine dans la banlieue de Tunis, tandis qu'en mars, une grève de mineurs lancée par la CGTT reconstituée vire à l'émeute à Métlaoui et Jérissa et fait de nombreux morts abattus par l'armée française.

Durant la guerre, le régime de Vichy interdit les syndicats en France et dans tous les territoires de l'empire. Mais, en Tunisie, peu à peu des syndicats de base se reconstituent. Le 20 janvier 1946, ils fusionnent dans une nouvelle confédération : l'Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT). Dirigée par Farhat Hached, elle compte rapidement 100.000 adhérents.

Le mouvement syndical alliant lutte anti-patronale et lutte pour l'indépendance nationale prend de l'ampleur. Le 4 août 1947, à Sfax, l'UGTT lance une grève générale visant à obtenir un salaire minimum pour les ouvriers tunisiens. Des émeutes éclatent. Les forces de la police coloniale ouvrent le feu, faisant 26 morts et plusieurs dizaines de blessés.

En 1952, suite à l'arrestation par les autorités coloniales de dirigeants indépendantistes, des émeutes éclatent dans toute la Tunisie. La répression menée par l'armée française est féroce. Elle fera plus de 200 morts et donnera lieu à des actes d'atrocité : viols, tortures...

C'est dans ce contexte que, le 5 décembre 1952, Farhat Hached - secrétaire général de l'UGTT - est assassiné par un commando des services secrets français agissant sous couvert d'une organisation secrète dénommée La Main rouge. Il s'ensuit de nouvelles manifestations, des émeutes, des grèves...

APRES L'INDEPENDANCE

Le 20 mars 1956, après 85 années de domination française, la Tunisie accède enfin à son indépendance. Aux côtés du parti Néo-Destour, représentant essentiellement la bourgeoisie et la petite-bourgeoisie, par leur propre combat, la classe ouvrière et ses syndicats ont contribué à la victoire contre le colonialisme.

L'indépendance acquise, face au nouvel Etat, l'UGTT se devait de préserver son autonomie et faire de la défense des travailleurs tunisiens son principal objectif. En considérant, comme l'avait proclamé Farhat Hached lui-même, que « l'indépendance politique sans progrès social et sans souveraineté de la justice sociale et sans changement des principes économiques et sociaux du régime actuel est un leurre et une utopie dangereuse ».

Mais pour le Néo-Destour et son leader Habib Bourguiba, l'action du mouvement syndical devait être subordonnée aux nécessités de la construction d'une société libérée des entraves coloniales mais qui laissait l'essentiel de l'économie dans les mains du capital international.

Durant une trentaine d'années, l'UGTT parvient donc difficilement à jouer son rôle. Ses libertés d'action et d'expression sont sans cesse menacées. Quand, en janvier 1978, elle appelle à un mouvement de grève générale, le pouvoir tente de s'y opposer et des émeutes éclatent à Tunis. La répression conduite par le général Ben Ali, alors ministre en charge de la sécurité, fait de nombreuses victimes (de 50 à 200 morts, selon les sources). En décembre 1983, c'est la répression sanglante des « émeutes du pain » et l'arrestation de Habib Achour, dirigeant de l'UGTT.


Redeyef B.jpg2008 : Répression de la police de Ben Ali à Redeyef

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Réunion de l'Union locale de l'UGTT dans la ville de M'saken

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Ouvriers de la Compagnie tunisienne de meubles (CTM) à M'saken

après le coup d'Etat du général Ben Ali, le 7 novembre 1987, on assiste à une caporalisation totale de l'UGTT qui conduit la direction de la confédération à servir davantage les intérêts du nouveau régime que ceux des travailleurs - jusqu'à soutenir Ben Ali lors des élections présidentielles de 2004 et 2009. [1]

Désormais, la direction nationale de l'UGTT n'impulse plus de mouvements revendicatifs de grande ampleur et n'apparaît aux travailleurs que comme un instrument du pouvoir.

Quand, en janvier 2008, de jeunes chômeurs se soulèvent dans la ville de Redeyef,le gouvernement lance une répression brutale qui fait au moins trois morts et des dizaines de blessés. Le bureau exécutif de l'UGTT ne protestera pas mais sanctionnera les syndicalistes qui ont soutenu le mouvement en les qualifiant de « fauteurs de troubles ».

L'INSURRECTION DE 2011

Ces dernières décennies, la situation sociale n'a cessé de se dégrader en Tunisie. Le taux de chômage moyen est de 14%, mais il atteint 31,2% chez les 15-29 ans et 22% chez les jeunes diplômés. Dans la ville minière de Metlaoui, l'UGTT locale recense 40% de chômeurs parmi la population active. [2]

C'est dans ce contexte qu'a éclaté, le puissant mouvement de protestation qui, en quelques jours, a contraint Ben Ali à abandonner le pouvoir.

La force de la révolte et le positionnement d'avant-garde de certaines de ses organisations locales et régionales ont contraint la direction nationale de l'UGTT à prendre en compte les revendications sociales et démocratiques du mouvement. Mais, ce n'est pas sans ambiguïté. Ainsi, tout en se voulant une  « sorte de contre-pouvoir », elle n'exclut pas de participer, sous certaines conditions, au gouvernement de Mohamed Ghannouchi, ancien premier ministre de Ben Ali.

L'implication de l'UGTT dans les manifestations et les grèves qui viennent de secouer la Tunisie montre que la combativité et le pluralisme des syndicalistes du rang ont survécu à la mise sous tutelle de sa direction nationale. Ce rôle de la classe ouvrière n'est pas suffisamment mentionné par la plupart des médias occidentaux qui ne veulent voir dans la révolution en cours qu'un acte contre une dictature personnelle.

Or, en Tunisie, comme en Egypte, la question qui est au cœur des manifestations est celle de la dégradation des conditions sociales dans un contexte de crise économique mondiale : le chômage, la pauvreté et l'inégalité sociale généralisés.

C'est une question de classe qui supplante les questions de religion, d'ethnie et de nationalité, et que des élections - fussent-elles démocratiques - ne suffiront pas à régler.

NOTES

[1] Bien que certaines structures régionales, plusieurs fédérations (dont celles de l'enseignement supérieur et de la santé) et des syndicats nationaux aient été hostiles à ce soutien.
[2] Données fournies par Olivier Piot, envoyé spécial, Le Monde diplomatique, février 2011.

source http://lepetitblanquiste.hautetfort.com/archive/2011/01/30/les-combats-de-la-classe-ouvriere-tunisienne.html

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