DEUX MOMENTS DU MOUVEMENT COMMUNISTE ALGERIEN

La fondation (1936) et son contre-exemple (1992) : Interrogations et enseignements pour de larges milieux démocratiques

Par Sadek Hadjerès

(décembre 2006)

J’ai évoqué en Octobre dernier la fondation du Parti Communiste algérien dans son contexte de l’époque (1936). De nombreux échos me sont parvenus depuis, alors que je m’apprêtais à aborder dans l’ordre chronologique les étapes suivantes du mouvement social et ouvrier algérien au cours des 70 dernières années. Désireux de mieux connaître la période du début des années 90, ces interrogations émanaient aussi bien de mes anciens camarades que de différents autres milieux nationaux, Elles convergeaient dans une attente qu' un éditorial du Quotidien d’Oran (5 octobre dernier) exprimait sous la plume de K. Selim, posant en substance les questions suivantes: pourquoi et comment, avec quels résultats pour la scène politique algérienne, le mouvement communiste s’est-il paradoxalement effacé peu après son retour à la vie légale ?
Questionnements pertinents, quand on sait combien ce mouvement avait consacré d’efforts et de sacrifices à défendre son droit à l’existence, aussi bien avant et pendant la guerre de libération que durant les trois décennies qui ont suivi l’indépendance. Je signale en passant, sans que l’ancienneté soit forcément et en soi un label de qualité, que ce fut le plus ancien mouvement politique algérien organisé, après l’Etoile Nord Africaine.

J’ai donc modifié mes prévisions pour sauter (provisoirement) plus de cinq décennies d’évolutions historiques de ce mouvement. Dans mes publications à venir, j’aborderai prioritairement cette période d’ après 1988, la plus rapprochée de nous.
Il m’a paru utile, pour un premier éclairage partiel, de faire connaître ma prise de position publiée il y a quatorze ans dans la presse algérienne sous le titre « Faire vivre la démocratie au cœur de la modernité ». C’était la première de mes prises de position publiques sur différents aspects de la crise qui a frappé le pays au cours des quinze dernières années. J’ai pu vérifier que la plupart de mes anciens camarades ou concitoyens n’avaient pas eu ce document sous les yeux, ou bien n’en avaient pas saisi à l’époque toute la portée et les implications.

Ce texte n’abordait qu' un aspect que je jugeais essentiel, celui de l’importance du débat démocratique. Il sera complété plus tard par d’autres aspects non moins fondamentaux de la crise qui a frappé le PAGS, autour de problèmes politiques et idéologiques révélateurs de faiblesses qui l’ont rendu plus vulnérable aux assauts externes et internes. J’exposais dans ce document les circonstances et le problème de fond créé par les cercles qui, au sein et en dehors du PAGS, affichaient l’intention de mettre fin à l’existence de ce parti, héritier du PCA et des meilleures traditions et enseignements du mouvement national. Un projet qu' ils n’ont pas tardé à mettre en pratique dans une précipitation voulue, sous le faux prétexte des conditions dramatiques et sur-dramatisées de l’époque.

J’avais estimé que cette démarche de déconstruction, présentée spontanément ou de façon synchronisée par certains commentateurs comme un acte « novateur », était plutôt une régression par rapport aux intérêts de l’Algérie et aux conquêtes historiques du mouvement social et démocratique. Selon moi, elle avait tourné le dos aux principes et aux pratiques qui avaient marqué la fondation et les avancées les plus fastes du mouvement communiste de puis 1936.
Ma conviction de l’époque n’a fait que se renforcer depuis, à la lumière tragique des développements qui ont suivi.
En s’alignant sur une conception fallacieuse de la « modernité » qui n’est autre que celle du capitalisme mondial ultralibéral, les courants qui au sein du PAGS ont relayé les enjeux hégémonistes de clans au pouvoir, non seulement n’ont pas contribué à la neutralisation politique des courants les plus intégristes pendant qu' il en était encore temps, mais, par l’introduction à usage interne de la « théorie » néfaste du choc des civilisations, ils ont contribué à aiguiser les formes des conflits de pouvoir les plus dangereuses et les plus destructrices pour la nation.
Ce fut un abandon de l’analyse des situations et des problèmes à partir du critère stratégique des intérêts de classe, grâce auquel pour l’essentiel les communistes avaient pu jusque là apporter leur contribution aux rassemblements nationaux salutaires des combats pour l’indépendance puis pour l’édification économique, sociale et culturelle.
Ce fut une désertion du champ de bataille social au moment où il s’aiguisait le plus mais sous camouflage de justifications identitaires. Le critère principal de nos prises de position dans des situations complexes avait toujours été la prise en compte des enjeux socio-économiques sous-jacents. L’abandonner, c’était abdiquer le rôle spécifique et irremplaçable de clarification autour des données objectives, c’était faire le jeu des hégémonismes installés au pouvoir ou prétendant s’y installer, les uns et les autres représentant chacun à sa façon, à l’échelle nationale et internationale, des appétits dictatoriaux politiques et financiers parasitaires. En fin de course de ces convergences maléfiques, nous avons droit aujourd’hui au tableau d’un Etat et d’une société meurtris dans leur chair et leur moral, rongés par la corruption galopante, l’insécurité et les incertitudes du lendemain.
Ce sont les craintes, malheureusement confirmés, que voulait exprimer le document d’époque que je présente ici et que je commenterai dans un article suivant.

FAIRE VIVRE LA DEMOCRATIE AU CŒUR DE LA MODERNITE

Par Sadek HADJERES ( Novembre 1992)

Le PAGS traverse une crise grave. Celle-ci concerne d'abord ses militants, mais elle reflète aussi et concerne tout ce qui se passe dans notre société et dans la mouvance progressiste algérienne.

Il ne s'agit pas seulement de méthodes, de problèmes internes liés aux règles statutaires de fonctionnement d'un parti. A ce sujet, des arguments valables ont été avancés dans la motion signée par un grand nombre de membres du Comité central, en protestation contre la décision, annoncée par le coordinateur du BP, de convoquer un congrès extraordinaire qui porterait à son ordre du jour la dissolution du PAGS.
Il est compréhensible qu'une telle méthode, qui vise à banaliser et faire passer à la sauvette une décision d'une aussi grande importance, jette un doute sérieux sur les intentions du BP actuel et sur la crédibilité même du projet de parti et de société qu'il voudrait mettre en oeuvre.

C'est bien d'un problème de fond qu'il s'agit et non de simple procédure.
Au moment où on parle beaucoup de rupture avec des méthodes dépassées et dont notre peuple a assez souffert, ce qui est en cause en effet c'est: quelles moeurs politiques cherche-t-on à instaurer? Veut-on ou non contribuer à édifier par nos orientations et nos actes cette culture démocratique qu'on souhaite à juste titre opposer à toutes les formes d'intolérance et d'intégrisme?

QUELLES MOEURS POUR LE MOUVEMENT SOCIO- POLITIQUE?

Toutes les composantes du mouvement patriotique et progressiste sont aujourd'hui confrontées à ce problème pour surmonter et dépasser les faiblesses et les déformations qui ont entravé leurs activités et leur ancrage dans la société.
En cette période de crise, la question se pose concrètement ainsi: Sur quoi s'appuyer pour favoriser entre tous les Algériens de bonne volonté ce minimum d'unité d'action qui est vital, pour faire sortir le pays de la situation tragique où il risque de s'enfoncer?
Assurément pas sur les conceptions et le style de pensée unique bureaucratiquement imposée, ni sur les exclusives, les chasses aux sorcières et autres procédés de même nature. Le PAGS, à sa naissance et tout au long de sa vie clandestine, n'a cessé de lutter _ d'une façon constructive au nom même des intérêts de l'édification nationale _ contre cette conception et ce style mis en oeuvre entre autres par le parti unique officiel.
Ces méthodes sont aussi parmi d'autres, l'une des raisons qui ont contribué à briser, même si c'est momentané à l'échelle de l'histoire, les espérances immenses qui s'étaient levées dans les pays de l'Est.

On peut le dire sans hésitation. Ce problème est au coeur de l'évolution du mouvement social contemporain, dans des formes spécifiques appropriées aux niveaux de développement et aux particularités des différents pays.
Il est au coeur de la recomposition des forces acquises au progrès social et démocratique. Cette recomposition sera à mon avis une oeuvre de longue haleine, liée à des luttes complexes qui restent nécessaires pour la survie économique (pour ne pas dire physique) et pour le consensus politique et les ouvertures idéologico-culturelles indispensables à l'édification à notre époque.

Cette recomposition n'exige sans doute pas la fin des partis. Ceux qui la réclament aujourd'hui ne font qu'oeuvrer à la constitution d'autres partis, encore plus fermés sur leur propre projet, quelles que soient leur dénomination ou leur façade.
Mais cette recomposition rendra souhaitable une conception renouvelée, évolutive, du rôle et du fonctionnement des organisations à caractère politique.
Cela veut dire que, dès aujourd'hui, l'action politique rénovée devrait mieux se conjuguer avec l'activité de masse associative, fondée sur l'initiative des différentes catégories de la population, fondée aussi sur une fructueuse confrontation entre les efforts d'élaboration théorique et les enseignements de l'expérience.

Cette recomposition demandera surtout de faire reculer différentes formes d'hégémonisme, qu'elles soient de nature partisane, idéologique, étatique ou sociétale.

L'APPROCHE DÉMOCRATIQUE D'UNE ISSUE A LA CRISE

Si on se réfère aux tâches les plus actuelles, un tel effort aiderait notre pays, son peuple, ses institutions, à dépasser les faux clivages et les procès d'intention.
Nous sommes bel et bien tombés dans ces derniers à partir du moment où on a tout à la fois isolé et opposé de plus en plus, dans un enchaînement devenu incontrôlé, deux facteurs qui pourtant, si on se place dans une approche et une perspective démocratiques, ont vocation de s'épauler et de se compléter.
On a voulu opposer, (comme s'ils étaient exclusifs l'un de l'autre ou qu'ils ne pouvaient exister qu'en subordination totale de l'un à l'autre), d'un côté le droit de tout Etat démocratique à protéger la sécurité et la liberté des citoyens par les moyens constitutionnels de l'appareil d'Etat et d'un autre côté l'action politico-sociale et culturelle irremplaçable des citoyens.
Il ne peut y avoir de solutions durables sans un Etat doué d'une réelle autorité et se donnant les moyens de son action. De la même façon, il ne saurait y avoir, pour n'importe quel problème, de solutions durables si elles sont seulement imposées par le haut, y compris lorsqu'elles sont dictées par les meilleures intentions du monde, si elles ne sont pas relayées par un consensus politique suffisant, émanant de la société et de la nation.

C'est ce besoin démocratique qui fonde le rôle des organisations à caractère politique, dans la pluralité idéologique incontournable du monde actuel. Et c'est pourquoi l'action et les instruments autonomes à caractère politique ne peuvent être remplacés par les seules mesures ou organismes à caractère administratif.

C'est pourquoi aussi les partis qui se veulent tournés vers l'avenir sont voués à l'échec s'ils ne sont pas convaincus d'une chose: le nouveau et la modernité, les ruptures indispensables avec ce qui est périmé et freine les évolutions souhaitables, il ne suffit pas d'en proclamer la nécessité, encore moins de prétendre les réaliser avec des pratiques issues en droite ligne des vieilleries de l'arsenal hégémoniste. C'est toute la différence entre une rupture au sens dialectique créateur et ces cassures désastreuses au nom des "tables-rases" de l'histoire .

POURQUOI DES ESPOIRS RESTÉS SANS LENDEMAIN?

Ce n'est pas par incapacité congénitale ni par manque de volonté de répondre aux exigences de notre temps que le PAGS est entré en crise.
C'est parce que pour différentes raisons, l'exécutif de ce parti n'a pas accordé aux implications réelles de ces exigences l'attention suffisante ou même qu'il leur a tourné franchement le dos.
Le consensus dégagé par le Congrès du parti (Décembre 1990) aurait pourtant dû encourager cet exécutif, en s'appuyant sur le premier comité central enfin élu après la clandestinité, à faire épanouir la richesse dont ce CC était porteur, par des échanges correspondant à la complexité de la situation.

Les délégués au Congrès, dans leur immense majorité, avaient adopté ce consensus avec une sagesse qui n'excluait pas l'esprit critique et la vigilance. Ils avaient espéré, non sans quelque raison, que ce consensus contribuerait en cette phase d'interrogations à sauvegarder les potentialités du parti et du mouvement social et démocratique à un moment crucial dans la vie du pays. Les résultats du Congrès, malgré tout ce qu'on pourrait en dire, avaient nourri bien des espoirs, à partir d'une recommandation simple et forte à la fois: agir unis et continuer en même temps à débattre.

C'était possible et raisonnable. Le Congrès en avait fourni les orientations de base. Agir unis demeurait possible autour de la plate-forme d'action concrète que le Congrès avait adoptée à la quasi unanimité. Cela aurait créé le meilleur climat pour alimenter le débat et inversement. Besoin d'autant plus grand que le débat autour des orientations stratégiques avait alors été reconnu par tous comme notoirement insuffisant, voire à peine amorcé dans la plupart des instances du parti.

En un mot, il restait à faire confiance à l'esprit de responsabilité grandissant des militants face aux enseignements de l'histoire passée, des mutations présentes et de leur expérience quotidienne. Il suffisait que soit respecté en chaque militant ce qui était à la base de son engagement social et démocratique et avait fait la force du PAGS dans les années difficiles de la clandestinité. Malheureusement, l'interaction bénéfique entre mobilisation dans l'action et élévation de la cohésion politico-idéologique, fortement exigée par la complexité des événements, sera artificiellement contrecarrée et brutalement cassée par les étroitesses.

De nombreuses orientations du programme d'action ont été abandonnées ou même condamnées par le nouvel appareil exécutif sans explication convaincante pour les militants. Quand les directives n'emportaient pas la conviction de ces derniers, il leur était répondu: "Appliquez d'abord, vous discuterez ensuite" Langage nouveau envers des militants dont l'esprit de discipline collective n'avait pu se forger malgré les contraintes et les conditions opaques de la clandestinité que dans la mesure où ils ressentaient un climat de confiance et de respect envers leur engagement volontaire.

Chaque opinion ou nuance exprimée devenait rapidement "tachouich" et travail fractionnel passible de chasse aux sorcières. Devant les craintes exprimées sur les dangers d'effritement à cause de ces méthodes, il était répondu avec assurance: " Les départs ne feront que renforcer le parti"

Les tenants de ces méthodes se sont d'abord prévalus de la nécessité d'un exécutif "homogène" face aux dangers courus par l'Algérie. On a vu ce qu'est devenue cette homogénéïté, puisque cet organisme restreint qui s'était défini et voulu ainsi (homogène) au départ, s'est ensuite cassé successivement de son intérieur mais suite à des manipulations extérieures au parti en trois morceaux au moins. Il est rapidement apparu que cet argument (de l’homogéneité) n'était que prétexte et moyen de se rendre indépendant de la pression sociale et mener une politique d'appareil. Il fallait pour cela effacer le rôle dirigeant du comité central, transformé malgré les statuts en chambre d'enregistrement, et dans ce but, pratiquer l'autoritarisme au nom d'une soi-disant efficacité, en ignorant les signaux d'incompréhension et de réprobation parvenant de plus en plus nombreux de la base militante et de la société.

TIRER DES ENSEIGNEMENTS OU CHERCHER DES BOUCS ÉMISSAIRES?

Ce style était voulu et exacerbé, dans un moment de tension politique nationale sur-dramatisée, pour braquer l'opinion vers une seule issue (de la crise nationale, une issue administrative, autoritaire , imposée par le haut) alors que le potentiel de mobilisation politique démocratique était présent aussi bien dans le pays que dans le parti.
Ce style eut pour principal résultat de décourager et éloigner chaque fois par centaines des militants et responsables qui avaient donné les preuves de leur combativité, de leur abnégation et de leur désintéressement au moment des choix les plus difficiles. Simplement, ils étaient désespérés de ne pouvoir, alors que la situation le permettait largement, donner honnêtement leur avis avant de s'engager face aux dangers que le pays allait vivre.

Des dizaines de milliers de travailleurs, de paysans, de jeunes étudiants et chômeurs, de femmes, de cadres, d'intellectuels, de journalistes, de militants syndicaux, habitués à faire confiance a priori au PAGS, ont vu avec amertume la direction de ce parti s'éloigner de leurs préoccupations brûlantes au nom de considérations à la fois très abstraites et fortement politiciennes.
Dans le même temps et de ce fait même, cette direction s'enfermait dans des querelles et divisions internes stériles, liées à des spéculations et enjeux de pouvoir au niveau des sphères dirigeantes du pays. Elle négligeait jusqu'à le rejeter un élément d'analyse majeur, l'état d'esprit des différentes couches de citoyens, leur perception fondée ou fausse de leurs propres intérêts, tout cela sous prétexte d'éviter le populisme.

Pourtant le PAGS durant toute sa longue histoire, s'était honoré dans cette tache difficile de faire reculer les approches populistes. Il l'avait fait en liant la défense des intérêts des citoyens, travailleurs manuels et intellectuels, avec celle des intérêts de l'économie nationale et de l'édification. C'était même devenu l'un des traits principaux de son identité politique, et lui valait les reproches contradictoires des différents pôles de l'éventail politique.
Mais la nouvelle mouture de l'approche antipopuliste, proposée au nom de la « modernité contre l'archaïsme », a consisté à remettre à l'honneur les vieux refrains de la propagande capitaliste, tandis que leurs auteurs, pour des raisons politiciennes, s'acharnaient contre les réformateurs authentiques qui dans le gouvernement Hamrouche bousculaient les intérêts de clans enracinés dans le système.
Ainsi des secteurs entiers des grands complexes industriels, de la paysannerie et des quartiers populaires ont été livrés sans défense aux menées réactionnaires et obscurantistes, au nom d'une glorification unilatérale des lois objectives du marché capitaliste. Cet abandon venait assez souvent de ceux-là même qui à partir du milieu des années 80 avaient montré le plus de rigidité dans leur vision de l'option socialiste et dans le rejet mécanique de toute réforme économique.

Certains sont ainsi passés, pour différentes raisons, d'un dogme à un autre. Ces positions sectaires ont contribué, au delà même des rangs du PAGS, à accentuer la dispersion et en définitive le ballottement et la dérive de diverses formations et courants démocratiques, alors que la mémorable manifestation du 10 Mai 1990 amorçait de sérieuses perspectives d'action unie pour peu que progresse l'esprit d'ouverture.
Des potentialités réelles ont été ainsi gâchées depuis deux ans par l'escalade des pratiques étroites qui ont entravé l'émergence dans la société civile de noyaux de résistance démocratique, s'exprimant dans des formes qui leur soient propres, à partir de leurs intérêts, de leurs préoccupations, de leurs représentations et de leur niveau de conscience civique.

Mais au lieu de mettre le doigt sur les causes réelles de ce recul de la scène politique pour mieux le surmonter, on invoque de prétendues tares originelles du mouvement social qu'on culpabilise pour justifier et mettre en oeuvre un plan de liquidation d'une des réalisations les plus importantes du mouvement social et démocratique.

SAURONS-NOUS ETRE OUVERTS SUR L'AVENIR?

Ce qu'on risque de frapper ainsi gravement, ce n'est pas seulement un parti. C'est un courant historique national, authentique et profond malgré toutes ses faiblesses. C'est l'un des constituants de l'espérance démocratique, une force à vocation de rassemblement et de dialogue, qu'on a depuis longtemps cherché en vain à domestiquer ou à dévoyer.
Ce courant historique, le moment était venu, (peut-être n'est- il pas encore trop tard), de lui assurer les objectifs et les chemins nouveaux de son avance sans trahir et dénaturer l'humanisme dont il se réclamait et qui a été en tout cas l'une des motivations les plus fortes de la majorité de ses adhérents.

L'importance de l'enjeu me dégage de l'obligation de réserve publique que je m'étais imposée depuis deux ans à tort ou à raison, sachant les inconvénients et l'inconfort d'une telle situation.

J'espérais, à tort, que les dépassements auraient une limite, jusqu'à ce que les événements et une poussée démocratique inévitable à plus long terme imposent un climat fructueux de discussions et d'écoute débouchant sur les clarifications souhaitables.

C'est la raison pour laquelle j'ai appuyé la motion qui m'a été adressée par plusieurs membres du CC ayant différentes opinions sur l'avenir, en raison de son caractère ouvert aux débats.

J'apporterai le même soutien moral et politique à toute autre initiative _ quelles que soient les opinions de leurs auteurs sur différentes questions de fond _ pourvu qu'elles témoignent d'une réelle volonté de rapprocher les points de vue qui peuvent l'être à travers des actions unies et des débats objectifs, sereins, concrets.

Ma prise de position aujourd'hui ne changera rien par ailleurs à ma décision prise déjà avant le Congrès, de me décharger de toute responsabilité opérationnelle.
J'étais et reste convaincu que le devoir d'un dirigeant est d'encourager la promotion des jeunes malgré les risques de l'inexpérience qu'il faut relativiser.

La meilleure contribution que je peux y apporter après un demi-siècle d'activisme militant ininterrompu est de consacrer le maximum de temps à une tâche que je considère primordiale: décanter et confronter nos multiples expériences à la lumière des recherches théoriques liées aux mutations en cours dans le monde.

Placé hors des affrontements de clans et des intrigues d'appareils, cette gangrène de la vie politique, je m'exprimerai avec le souci, partagé certainement par le plus grand nombre, de contribuer à la recomposition des larges forces qui se prononcent dans les actes pour le progrès social et démocratique.

La modernité ne doit pas être un rêve inaccessible ou se transformer en un de ces tragiques cauchemars faits de consumérisme et d'exclusion, que vivent sous des formes différentes les pays développés d'Occident ou les pays laissés pour compte d'Afrique.

Pour cela, il faut entre autres que l'action et la vie politiques insufflent au coeur de la modernité l'élan et la substance démocratiques.
Cet élan et ce contenu ne seront pas pures inventions intellectuelles ou spéculations idéologiques. Ils correspondront au niveau de développement matériel et culturel de notre peuple, à ses besoins et aspirations légitimes et pressants. Ils ne pourront surgir que du mouvement de notre société, en interaction avec les enjeux de pouvoir et les évolutions à l'échelle mondiale. Ils doivent à la fois préserver la richesse des expériences passées et s'enrichir des potentialités à venir.

La grande difficulté à réaliser cette tâche mérite qu'on s'y attelle ensemble en renonçant, en cas de divergences surmontables par le débat et l'expérience, à la néfaste mentalité des exclusives collectives et individuelles, aux tristes mentalités de "pousse-toi de là que je m'y mette" ou "je ne participerai que si tu t'écartes".

L'entreprise est si vaste qu'il y a place pour toutes les énergies et sensibilités patriotiques qui ont à coeur la paix civile et l'esprit de coopération dans le respect de la sécurité et des opinions légitimes des citoyens. Sans cela, notre pays ne sera ni édifié ni vivable.

DE LA FONDATION EN 1936 A LA CONTRE PERFORMANCE DE 1992 : Interrogations et enseignements (Suite)

Pourquoi la logique qui avait inspiré le mouvement communiste depuis sa fondation et qui était en fait sa raison d’exister, a-t-elle subi des assauts à la fois brutaux et insidieux au début des années 90, c'est-à-dire au moment critique où cette logique fondatrice était plus justifiée et nécessaire que jamais ?
Pourquoi cette volonté de créer un fait accompli dans la confusion, sans prendre le temps d’un vrai débat selon des procédures statutaires et réellement démocratiques ? Quel était l’objectif des initiateurs d’un vent de panique destiné à légitimer la prétendue auto-dissolution du parti existant, fruit d’une longue expérience, d’une vision sociale et d’une stratégie fondée sur la durée ?

Il leur fallait à tout prix, après l’échec de plusieurs tentatives similaires (juin 1990 et janvier 1992) remplacer ce parti par une formation correspondant mieux aux objectifs conjoncturels et de pouvoir d’un des cercles décideurs des appareils d’Etat. Cinq mois après la disparition tragique de Boudiaf, ces rouages supervisaient l’opération en faisant au nom de l’urgence le forcing pour faire adopter les options d’une partie du pouvoir, inspirées d’une conception hégémoniste, unilatérale, étroite et antidémocratique de la sauvegarde des intérêts supérieurs de l’Algérie Or seuls de vrais débats sur les problèmes de fond et des bilans sérieux de trente ans d’existence, mettant à nu aussi bien les mérites que les insuffisances d’un parti encore en voie d’édification, ainsi que l’analyse en toute indépendance et sans complaisance de la scène politique pouvaient permettre au PAGS de mieux affronter les tâches nationales et dangers à venir.

SIGNIFICATION D’UN CLAIR-OBSCUR…

Avec l’expérience de ce que l’Algérie a vécu depuis, de larges milieux peuvent mesurer aujourd’hui la signification de cette opération politique.
Un point a alimenté la perplexité de bien des observateurs. C’est le flou politique dont se sont entourées successivement les formations dont la création avait besoin du sabordage formel du PAGS pour se légitimer. Le produit de cette opération a laissé planer dans le public une fort sentiment d’ambiguïté quant à son identité, un clair obscur entretenu et tiraillé selon les conjonctures entre des antécédents ou une sensibilité communiste suggérée ou invoquée et des comportements et des déclarations qui contredisaient cette sensibilité.
Il ne pouvait pas en être autrement, car l’opération, malgré l’habillage d’une stratégie « moderniste » ronflante ne visait pas un projet de long terme mais la réponse partisane et à géométrie variable, calculée en sphère restreinte, comme force d’appoint dans les rivalités de pouvoirs nationales.

Il n’y avait en fait rien de fondé dans la prétendue filiation imputée au mouvement communiste. L’adhésion à une nouvelle formation d’ex-militants ayant appartenu organiquement au PCA ou au PAGS ne signifiait pas en soi une continuité politique ou idéologique.en tant que nouvelle organisation. C’est même le contraire qu' a indiqué la déclaration à la presse du leader et porte parole de ce courant au cours de l’été 1991. Dévoilant par avance la nature de sa future démarche, il avait soutenu, à la stupéfaction des journalistes (il y avait de quoi), que le PAGS n’avait jamais rien eu à voir avec le communisme !
S’appuyant plus tard sur la désinformation qui a caractérisé toutes les périodes suivantes, cette filiation ou cette sensibilité communiste présumées n’ont été ultérieurement invoquées ou suggérées, en contradiction avec les orientations réelles, qu' en trois sortes de circonstances : soit par certains adhérents de ces formations en vue d’obtenir des aides pratiques ou une caution politique des partis communistes ou « radicaux laics »à l’étranger ; soit par des courants liés au pouvoir pour gagner à leurs orientations et agissements la caution des courants syndicaux et communistes algériens, alors qu' ils n’avaient cessé de les réprimer et combattre durant un quart de siècle au bénéfice des courants et organisations réactionnaires ; soit enfin par des milieux d’Algérie ou d’Europe traditionnellement et idéologiquement hostiles au communisme, heureux de mettre sur le compte de son idéologie en général les comportements et les dérives sectaires d’organisations abusivement assimilées à des formations communistes.

Cela n’exclut pas qu' il existe au sein de ces dernières des militants sincères désirant œuvrer à leur façon pour la démocratie et la justice sociale. Mais jusqu' à présent aucun indice ne laisse penser que leur formation revendique et surtout honore en actes, une identité communiste à la fois moderne et ancrée dans l’héritage historique. La logique des orientations et des pratiques de ce genre de formations porte inévitablement les stigmates de leur acte et mode de naissance, à moins d’une rupture délibérément assumée avec ces caractéristiques originelles. Il ne pouvait advenir d’une commande de circonstance (faisant allégeance aux rapports de force au sein du pouvoir) et de surcroît bureaucratiquement prise en charge, qu' un mort-né comme le FAM de janvier 92 ou le produit plus « soft » qui lui a succédé, un appareil vidé des acquis, des aliments substantiels et de l’ancrage social qui avaient donné consistance au mouvement communiste. Le produit était structurellement voué, tôt ou tard, à des morcellements récurrents et à une coupure grandissante avec l’Algérie profonde. Nous sommes là à l’opposé du processus et de la dynamique qui avaient conduit en 1936 à l’émergence du PCA, aboutissement et nouveau jalon d’un mouvement social, politique et culturel de masse, se référant à des principes clairement assumés.

LES DEFICITS DANS LE CHAMP DEMOCRATIQUE

La dévalorisation du rôle des partis et de leur ancrage social au profit d’enjeux et rivalités de clans au sommet, rejoint le problème que Kharroubi Habib a évoqué plus globalement dans le même quotidien d’Oran, à propos de la stagnation des formations politiques algériennes qui se réclament de la démocratie. Le constat est irrécusable, celui d’une carence endogène réelle, la distance prise dans les faits avec la finalité de partis censés œuvrer à des projets de société revendiquant la démocratie et la justice sociale.
Cependant, à côté de cette défaillance réelle dont il appartient aux différents concernés d’en déceler et traiter les causes et les mécanismes, Kharroubi Habib me parait sous-estimer un facteur indéniable, la responsabilité des pouvoirs successifs. Les agissements des services officiels ou occultes sont bien connus, ils ne sont pas le seul fruit de discours propagandistes Leur préoccupation permanente a été, avant comme après 1988, d’enserrer la vie partisane dans un « cocon de chrysalide » (la formule avait été utilisée à l’époque du Congrès de la Soummam en 1956 par le FLN envers le PCA ; elle constituait un aveu si flagrant d’hégémonisme qu' elle a été retirée subrepticement des textes officiels du Congrès de la Soummam) .
La question soulevée par Kharroubi reste dans tous les cas pertinente : pourquoi par exemple au cours de 25 ans de difficile clandestinité dans l’Algérie du parti unique, ces agissements contre les organisations communistes n’étaient pas parvenues à leurs fins, bien au contraire ? La question reste donc posée. Quelles défaillances ont affecté après 1989 les larges courants vraiment démocratiques ? Est il possible de surmonter ces défaillances et facteurs de vulnérabilité ?

Le scénario, rôdé à l’encontre du PAGS entre 1990 et 1992, est devenu un mode d’emploi classique du régime dans ses rapports avec la « classe politique ». Qualifié par euphémisme de « redressement », il a été poursuivi au cours des années suivantes dans le but de diviser, briser ou « aligner » d’autres formations qui risquaient de faire de l’ombre aux plans concoctés par les clans dominants du pouvoir ou des groupes d’intérêt internationaux.
Au-delà des péripéties, le fond du problème me paraît résider dans la façon dont sont interprétés et conçus le rôle et la raison d’être des appareils (ceux de l’Etat et ceux des partis).
Doivent-ils mettre la société à leur service ou bien eux mêmes doivent-ils être mis et se mettre au service de la société ? Leur rôle est-il de quadriller la société, lui dicter ce qu' elle doit faire, ou bien servir ses aspirations, ses intérêts, son besoin d’information et de transparence, en faisant non pas oeuvre de commandement mais d’éducation tout en s’éduquant et enrichissant leur expérience auprès d’elle ?

APPAREILS ET MOUVEMENT SOCIAL

La question est fondamentale, l’enjeu est décisif pour toutes les forces et courants à vocation démocratique et sociale qui ont émergé ou sont appelés à émerger à la vie légale. La question est celle du rapport, démocratique ou non, entre les prérogatives des appareils et la dynamique des bases sociales. La nature de ce rapport pèse de façon déterminante sur les succès ou les échecs des luttes pour les libertés démocratiques, la justice sociale, la paix civile, le règlement constructif des questions identitaires..
La question ne se pose pas en termes de morale ou d’appel à bonne conduite. Le choix cardinal concerne la stratégie et le fil conducteur fiable pour tous ceux qui ne veulent pas qu' on se joue de leurs espoirs et de leurs sacrifices en se laissant diviser et précipiter les uns contre les autres,
Quinze années de malheurs depuis 1990, sous couvert de «  pluralisme » sans contenu démocratique, appellent aujourd’hui les acteurs de bonne foi et l’Algérie entière à prendre en compte l’impératif suivant : Forger non pas des appareils de tromperie et de coercition mais des instruments autonomes pour faire face aux grands défis et aux embûches des visées prédatrices impérialistes et locales. Forger l’unité d’action et non l’unité d’appareils pour non seulement faire reculer les effets et nuisances des maux qui se sont abattus sur l’Algérie, mais combattre leurs causes véritables et profondes, se résumant en deux fléaux qui se sont conjugués et accumulés au cours des décennies précédentes :
Au niveau national, un système d’accaparement injuste du revenu national qui recourt pour se perpétuer à la fois à la répression et au dévoiement des courants d’opposition vers les aventures désastreuses et souvent conjuguées que sont les voies non pacifiques et celles de la division identitaire
au niveau international, une mondialisation ultra-libérale sauvage qui conjugue le militarisme, le pillage économique, la corruption et le dévoiement idéologique, le tout engendrant ou même suscitant des intégrismes antagonistes et d’autres facteurs de diversion qui, comme on le voit mieux encore au Proche et Moyen Orient, occultent les clivages d’intérêt fondamentaux.

qu' il s’agisse des formations politiques liées au pouvoir ou de celles qui se situent dans les oppositions, les projets démocratiques sont restés jusqu' à présent au stade déclaratif. Comment dépasser l’enlisement des plus sincères de ces projets dans les tentatives volontaristes, dans les approches purement activistes et sans lendemain ? Comment transformer l’immense besoin national et populaire de mieux-être social et de paix en grande et large force de changement démocratique?
La recherche des modalités, la mise en oeuvre des voies concrètes sont toujours à explorer mais elles ne sont pas l’obstacle principal ou le préalable. Elles sont surmontables dès lors que le fond est abordé en termes réels et sans complaisance, dès lors que face à un mal radical, les idées et surtout les actes évitent et combattent à leur racine les idées et comportements qui favorisent la stagnation des projets démocratiques.

Peut-on identifier ces racines subjectives dans la pratique politique ?

ELITISME ET AUTORITARISME

Il me semble, au vu de l’expérience collective, que ces causes profondes résident dans des approches de la vie politique que j’appellerais élitistes, faute d’autre appellation. A condition que ce qualificatif ne soit pas compris de façon contradictoire avec le besoin pour la nation de faire émerger du sein de la société de vraies élites politiques. J’entends par comportements élitistes ceux qui restent distants des problèmes vécus par les secteurs de la société les plus larges et les plus défavorisés. Qui ignorent ou sous-estiment le poids de leurs difficultés concrètes durement ressenties et dans le meilleur des cas, les considèrent comme des tremplins pour des calculs ou des visées de carriérisme politique. Ces comportements motivés par des intérêts matériels, des a priori idéologiques, etc. génèrent la coupure avec les catégories actives et influentes de la société qui constituent l’Algérie profonde, celles qui, de façon spectaculaire ou non, construisent par mille canaux le socle des grands rapports de force et de pouvoir. L’une des manifestations en est la conception restrictive de la « société civile » ou des courants démocratiques qui limitent ces derniers aux seules catégories qui partagent les conceptions idéologiques ou les visions politiques propres à un groupe, à une coalition, à un clan au gré des enjeux conjoncturels.

On ne corrige pas les effets de cet élitisme par des démonstrations de populisme démagogique, qui n’est lui-même qu' une variante de l’élitisme, lorsqu' il considère les « masses populaires » comme un simple tremplin et un objet de manipulations pour des ambitions hégémonistes.
Il faut par contre éviter et combattre les facteurs nocifs qui en se combinant rendent contre-productifs les projets démocratiques les mieux intentionnés.

On pourrait les évaluer ainsi  :

au plan social, le dédain et le sacrifice des besoins sociaux concrets, sous divers prétextes, quand on les justifie notamment par les conceptions d’un économisme moderniste primaire ou des calculs tactiques de pouvoir;
au plan idéologique et culturel, la vulnérabilité aux pièges des représentations et des conflits inter-identitaires, ainsi que des idéologisations abusives et abstraites. Elles font le lit des divisions politiques infondées, empêchent de mieux identifier, ressentir et comprendre les sociétés dans lesquelles on baigne et leurs vrais clivages sociaux objectifs.
au plan politique, la défaillance du sens unitaire, pourtant nécessité fondamentale, qui ne doit pas réduire les démarches d’union ou d’unité d’action à de simples manœuvres tactiques et à la pratique purement utilitaire et versatile des coalitions au sommet
au plan stratégique, deux dérives souvent justifiées à tort par des préoccupations tactiques ; elles mènent des secteurs démocratiques à perdre totalement ou partiellement leur autonomie organique et politique, à s’aligner sur les sphères dominantes supérieures ou locales. Ces dérives consistent :
- à se polariser sur les seuls jeux et enjeux de pouvoir dans les sphères dirigeantes, en sacrifiant la mobilisation et les luttes à la base, qui sont pourtant le seul moyen sérieux de peser sur les orientations dominantes dans le pays
- à s’enfermer dans le conjoncturel, dans l’urgence et dans les visées de gain immédiat réel ou illusoire, au gré des séductions de la carotte et des pressions du bâton, au lieu de concevoir les luttes sur des bases de principe et sur la longue durée
enfin au plan des modes de fonctionnement interne, la généralisation des pratiques autoritaires et d’intrigues se substituant aux débats, prises de décision et promotions démocratiques des cadres, aussi bien dans les institutions étatiques que dans les organisations politiques et même dans nombre de mouvements associatifs en violation de leurs statuts proclamés.

LA RELANCE DEMOCRATIQUE EST ELLE POSSIBLE ?

Oui, les conditions d’une relance peuvent mûrir si les courants démocratiques, dont les frontières dépassent de loin les formations qui s’en attribuent l’étiquette, savent repérer ces conditions et surtout agissent pour les faire surgir.
Le mouvement démocratique peut redéployer les potentialités dont était porteur sa base sociale et nationale dans les étapes nouvelles après l’indépendance.

La réponse à ce défi n’est pas seulement théorique. A y regarder de près, elle est déjà à l’œuvre à l’échelle nationale et internationale. Malgré les grands changements négatifs induits dans les structures et les comportements par la mondialisation ultralibérale et par les décennies de fonctionnement oligarchique,des sphères algériennes, la scène sociale et politique,fait apparaître des raisons de lutter et d’espérer. Je me contenterai d’en rappeler trois exemples qui contredisent la prétendue fatalité d’une dégradation irréversible : la force et l’enracinement des mouvements sociaux des travailleurs de différentes corporations, dont celui emblématique des enseignants des trois niveaux ; la démonstration du potentiel de cohésion nationale qu' a constitué la reconnaissance constitutionnelle de la langue tamazight : le recul relatif imposé au projet de dénationalisation des hydrocarbures.
C’est dire, et ce n’est pas peu, que tout dépendra de la capacité des forces démocratiques à surmonter leurs divisions en chapelles croyant détenir chacune à elles seules la clef idéologique et politique des problèmes lourds et compliqués de notre pays.
Les forces démocratiques ont su le faire dans nombre de pays et particulièrement en Amérique latine, pourtant marquée dans le passé par les cruelles traditions de dictatures bananières et l’omniprésence impérialiste nord américaine.

La solution d’avenir n’est pas en tout cas dans l’arrogante et creuse injonction du début des années 90 : « Les partis doivent partir » ! Pour les partis sérieux présents ou à venir, la solution est de se transformer, de conformer leurs orientations et leurs pratiques aux besoins, aux attentes, aux valeurs les plus saines de leur société, ainsi qu' aux évolutions internationales qui appellent les pays du « Sud ». à résister à la sous-traitance des désastreuses orientations ultralibérales.

Ce n’est pas d’eux-mêmes que les partis dans leur état actuel et les partis à venir évolueront positivement, ni à l’instigation de systèmes et d’appareils qui poussent vers la direction opposée. Ils le feront seulement grâce à l’activité et à la pression des mouvements sociaux et démocratiques nationaux et internationaux à la base, dans tous les secteurs de la vie publique. Ils le feront grâce aux luttes de plus en plus conscientes des éléments qui, au sein et en dehors des partis et dans un large champ idéologique et culturel feront converger leurs efforts associatifs, syndicaux et politiques.

Le message que je voulais délivrer dans mon analyse conjoncturelle de novembre 1992 me paraît toujours actuel. Il pourrait être illustré par maints épisodes des quinze dernières années. Je pense que ces thèmes méritent des échanges et débats partout où s’exprime l’aspiration de chaque citoyen(ne), quel que soit son horizon idéologique, à vivre libre, digne et débarrassé(e) de l’angoisse matérielle et morale.

Plus que tout, il me paraît nécessaire que les différents courants animés de légitimes convictions idéologiques et politiques démocratiques, en finissent avec la tendance à tracer des frontières abstraites dans le ciel des idéologies tout en ignorant les intérêts et besoins communs sur le terrain concret des réalités endurées ensemble.
Il faut en finir avec la manie d’ignorer et mépriser le critère privilégié que constitue le jugement fondé essentiellement sur les actes de ceux qu' on a cru judicieux d’étiqueter une fois pour toutes à partir de leurs sensibilités idéologiques vraies ou supposées . Persister à parquer les citoyens à vocation démocratique dans les ghettos politiciens ainsi constitués, c’est à coup sûr confirmer et consommer la défaite du mouvement démocratique et social pour un longue période. L’unité d’action, c’est l’ABC du mouvement démocratique. Elle parait relativement simple à formuler, elle exige infiniment plus d’efforts pour la faire entrer dans la vie.

SH (décembre 2006)

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