Pour la paix en Algérie – 1960-1961 Témoignage d’Alain Amsellem


Un débat agitait en 1960 les jeunes Français en âge d’aller au service militaire : fallait-il partir faire la « sale guerre » ? Comment, pourquoi être soldat de la France coloniale si l’on croyait juste le combat des Algériens pour leur indépendance ?
L’histoire, en tout cas, a tranché : ce sont les soldats français du contingent qui ont fait échouer le soulèvement des généraux en 1961 et ainsi hâté la fin de la guerre.

Aujourd’hui l’Afrique

Appelé du contingent de la classe 60/4 j'ai effectué mon service militaire dans l'armée de l'air; en effet, au cours de ma scolarité professionnelle à l'école d'Electricité de France de Gurcy-le-Châtel, les élèves avaient obligation de suivre les cours de préparation militaire dispensés par la gendarmerie locale, ce qui avait pour avantage de pouvoir choisir l'arme dans laquelle nous souhaitions servir.

En ces temps de "pacification en Algérie", je pensais plus sage de choisir l'armée de l'air pour, d'une part éviter les risques personnels et d'autre part, ne pas avoir à participer à des opérations contre la population algérienne dont le combat pour son indépendance me semblait totalement justifié.

Contrairement à bien d'autres jeunes de mon âge, j'ai eu la chance de ne pas partir directement en Algérie, j'ai suivi les cours d'instruction militaire en Allemagne sur la base aérienne de Bremgarten où , sur huit compagnies, quatre devaient accomplir le service national en Algérie dès la fin des "classes", les quatre autres étant affectées en France.

Parti de Paris le 17 novembre 1960, je savais dès le lendemain que la compagnie dans laquelle j'étais affecté devait rejoindre le sol algérien au mois de janvier 1961, une fois l'instruction de base terminée.

Ayant passé et réussi un test pour effectuer une instruction complémentaire de télétypiste à Toulouse, mon départ pour l'Algérie a été retardé au 1er juin 1961, je n'ai donc pas été le témoin visuel de tout ce qui va suivre puisque lors du putsch d'Alger, le 21 avril, j'étais encore dans la ville rose; toutefois, les événements qui s'étaient produits sur la base de Blida où j'ai été affecté et où j'ai passé dix-huit mois, étaient fortement présents dans l'esprit de tous les soldats du contingent pour qu'ils me soient relatés en détail par mes camarades d'Unité ou de chambrée.

Si l'armée est surnommée à juste titre "la Grande Muette", cela était tout à fait vrai à l'époque des opérations de maintien de l'ordre vis-à-vis de l'extérieur mais aussi vis-à-vis de l'intérieur; les soldats du contingent étaient laissés dans l'ignorance totale du déroulement de l'Histoire et la lecture de nombreux journaux leur était interdite; ainsi, lors de mon débarquement sur le sol algérien j'ignorais tout, ou presque, de ce qui s'y était passé pendant et après le putsch et je n'avais aucune connaissance des affrontements qui avaient opposé la quasi totalité des militaires du contingent et certains militaires de carrière de la base aérienne de Blida aux militaires favorables aux agissements des généraux factieux

Dès mon arrivée à Blida j'ai très vite compris que les aviateurs du contingent n'étaient pas en odeur de sainteté au sein de la population des pieds-noirs dont les commerçants refusaient, par exemple, de nous servir nous obligeant à faire nos emplettes dans les magasins tenus par des Algériens de souche. Pratiquement jusqu'au mois de juillet 1962, au moment de la grande débâcle des pieds noirs, les aviateurs du contingent ont été continuellement consignés sur la base aérienne pour éviter qu'ils soient victimes d'attentats.

Cette disgrâce ne m'a plus étonné lorsque mes camarades, acteurs des événements, m'en eurent fait le récit.

Lors du putsch d'Alger, les parachutistes casernés à Blida ont voulu envahir la base aérienne, mais les hommes de troupe du contingent ont eu une prompte réaction ; toutes les portes de la base ont été fermées et la masse des appelés a fait barrage pour empêcher leur entrée sur ce territoire stratégique; les parachutistes sont restés à l'extérieur des grilles.

Des négociations ont eu lieu entre les protagonistes et les aviateurs ont proposé d'installer des remorques de camions en quinconce sur les pistes d'envol pour interdire tout décollage et tout atterrissage, ce qui fut fait.

Tous les moyens de communications étant aux mains des putschistes et, le gouvernement ne recevant que des informations déformées, les militaires de la base de Blida décidèrent d'envoyer un émissaire auprès des autorités; un avion fut affrété et, juste avant son décollage, tous les chauffeurs de camions allèrent dégager la piste pour permettre son envol puis, ils remirent rapidement en place toutes les remorques.

Le pilote vola au ras de flots pour traverser la Méditerranée afin de ne pas être repéré par les radars; la mission fut réussie et le gouvernement reçut, enfin, des informations fiables sur la situation dans la région d'Alger et de Blida.

Dans le même temps, le colonel commandant la base était interpellé par le contingent sur la place d'armes de la base, là où chaque jour se faisait le lever des couleurs; il fut sommé de se prononcer sur sa position personnelle vis à vis des factieux et, comme il tardait à répondre, il fut mis en prison instantanément par les hommes de troupe.

Compte tenu de l'indisponibilité du colonel, le commandant Joseph KUBASIAK qui dirigeait l'Unité volante où j'avais été affecté, l'AAMR, composée de deux avions assurant le fret pour le sud du pays, d'une escadrille d'avions de chasse, de quatre hélicoptères et d'avions de reconnaissance équipés pour la photographie aérienne, prit le commandement de la base.

Une fois tous les troubles apaisés et le commandement légitime ayant retrouvé sa place, le commandant KUBASIAK, fut mis aux arrêts de rigueur [alors qu' il n’avait fait qu' obéir aux ordres du gouvernement légal].

Il purgea une peine de prison d'un mois pour prise illégale de commandement puis il fut mis en retraite anticipée.

De retour en France, il s'installa à Aix-en-Provence et, le 24 juin 1962, alors qu'il était dans son jardin avec son beau-père, un commando de l'OAS vint les assassiner tous les deux. [Aujourd’hui l’Afrique a raconté l’assassinat dans un précédent numéro].
Profondément choqués par cet attentat, les hommes de son ancienne Unité, hommes de troupe, sous-officiers et officiers on voulu lui rendre hommage; une délégation de l'AAMR, comportant des appelés du contingent a assisté à ses obsèques.

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