Algérie Remise en cause des acquis démocratiques

par Ali Chibani 20 février 2009

« Seize ans après [l’interruption du processus législatif en 1991], on vit avec plus de restrictions que du temps du parti unique. Moins de liberté d’expression et de libertés syndicales, plus de pression sur les partis politiques et une fraude généralisée [aux élections] [1]. » Cette déclaration émane de M. Abderrazak Mokri. Bien que son parti islamiste soit membre de l’alliance gouvernementale, le vice-président du Mouvement de la société pour la paix (MSP) reconnaît que, depuis l’arrivée de M. Abdelaziz Bouteflika à la présidence, les libertés et les droits des Algériens ont considérablement régressé.

après l’échec de la grève de la faim menée par des enseignants contractuels, du 14 juillet au 23 août dernier, pour demander leur intégration au sein de l’éducation nationale et le paiement des salaires non versés — parfois, depuis trois ans —, le Syndicat national autonome des personnels de l’administration publique (Snapap) organise des sit-in une fois par semaine devant les sièges des wilayas (préfectures), et une fois par mois devant la présidence de la République.

A chaque rassemblement, la même réponse policière : coups de matraques, gaz lacrymogène et arrestations. Tout en sachant que cela ne changera rien à la situation sociale des enseignants, le syndicat persiste à occuper la rue. « En Algérie, déclare M. Mohamed Mecheri, le champ des libertés s’est rétréci. Depuis dix ans, la société a peur de la répression. C’est aux militants syndicaux de briser le mur de la peur de manière pacifique. » Le chargé de la formation syndicale au Snapap est optimiste sur un point : « Nos actions s’élargissent et la société se mobilise. » En 2007, environ deux cents journalistes ont été poursuivis en justice pour « diffamation ». Parmi eux, le directeur du quotidien Le Matin, désormais interdit. Mohammed Benchicou a passé deux ans derrière les barreaux. A sa sortie, ses livres sont censurés comme tout ce qui touche à l’Etat. Les œuvres de Boualem Sansal sont interdites et l’écrivain Amine Zaoui a été limogé de la direction de la bibliothèque d’Alger. Les descentes policières pour interrompre des conférences publiques ne sont pas rares dans les espaces culturels.

La liberté d’expression chèrement acquise durant les années 1990 a pratiquement disparu. A ce propos, le célèbre chroniqueur du Soir d’Algérie, Hakim Laâlam, condamné à six mois de prison ferme pour un de ses articles, déclare : « A la radio (…) je sais que certains [journalistes] ont d’énormes problèmes (…). On leur demande gentiment d’enlever les termes comme “terroristes”, d’édulcorer (…) Cela répond une fois pour toutes aux “hésitants” qui nous disaient, il y a quelques années : “Attendez, le président n’est pas islamiste !” [2] »

De l’ère Bouteflika, les islamistes sortent en effet renforcés par la stigmatisation des différences. A Tiaret, dans le centre-ouest algérien, plusieurs chrétiens ont été arrêtés et déférés en justice pour « pratique non autorisée d’un culte non musulman ». Un délit inexistant dans le Code pénal, tout comme cet autre délit — « non-respect d’un fondement de l’islam, le ramadhan » — pour lequel six hommes de Biskra (au sud-est d’Alger) ont été condamnés, le mois de septembre dernier, à quatre ans de prison ferme, avant d’être relaxées en appel. Les six accusés avaient été surpris par les forces de l’ordre en train de manger avant la fin du jeûne. Autre phénomène apparu depuis l’investiture de M. Bouteflika, les lieux publics font l’objet d’« opérations d’assainissement ». Il s’agit de chasser ou d’arrêter les « couples illégitimes » comme ce fut le cas l’été dernier sur les plages de Skikda.

En une dizaine d’années, l’Algérie est revenue à l’ère de la « pensée unique ». L’opposition est complètement muselée. Les partis démocrates, loin de riposter au diktat du président, s’enlisent dans un mutisme qui les fait oublier de leurs électeurs. Quand le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) ou le Front des forces socialistes (FFS) organisent des marches en Kabylie, leur bastion, pour célébrer le Printemps berbère [3] , ils ne réunissent guère plus de 200 personnes chacun. Ce type de manifestation est actuellement inimaginable dans les autres régions du pays.

L’actuel chef de l’Etat a ordonné une réforme partielle de la Constitution pour répondre à la loi française sur le « rôle positif du colonialisme » par une loi portant sur « la protection des symboles de la glorieuse révolution de novembre [1954] » et renforcer les droits politiques des femmes. Ce sont là les arbres censés cacher la forêt.

Le véritable objectif de ces modifications, pour lesquelles un référendum a été jugé inutile, est de permettre à l’actuel président de briguer un troisième mandat en avril 2009. Cerise sur le gâteau, le poste de chef du gouvernement est remplacé par celui de premier ministre. M. Bouteflika s’est donné les pleins pouvoirs : il compte ainsi en finir avec tous les acquis démocratiques des années 1990, qui n’ont coûté que… 200 000 morts.

Notes:

[1] « Il y a 15 ans, les derniers jours du FIS », Le Jour d’Algérie, décembre 2006.
[2] El Watan, Alger, 6 mars 2006.
[3] Soulèvement populaire après l’interdiction d’une conférence sur la « Poésie ancienne de Kabylie » organisée par Mouloud Mammeri en 1980. Lire Yves Lacoste Camille Lacoste-Dujardin, « La revendication culturelle des Berbères de Grande-Kabylie », Le Monde diplomatique, décembre 1980.

Source : Le Monde diplomatique - février 2009 http://www.cetri.be/spip.php?page=imprimer&id_article=1070&llang="FR"

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