France-Afrique : A l’AUBE DE L’INDEPENDANCE, L’EX-METROPOLE
DICTAIT SA LOI
Jean Chatain (Aujourd'hui
l'Afrique n° 105)
En 1961, le texte co-signé par Paris, Abidjan,
Niamey et Cotonou institutionnalisait un rapport de domination. Militaire et
économique. Le règne des diktats élyséens pouvait
dès lors se mettre en place.
S’exprimant à la veille du récent Sommet
de Cannes, une série de personnalités responsables d’associations
et ONG de Côte d’Ivoire, Cameroun, Tchad, Togo, Congo-Brazzaville,
Mali et Niger avaient rendu publique une proposition aux candidats à
l’élection présidentielle française visant à
refonder la relation France-Afrique sur une base de transparence et de respect
des souverainetés nationales (1).
Au premier rang des exigences exprimées en ce sens, la publication des
accords militaires et de coopération qui lient la France et certains
pays. De fait, près d’un demi-siècle après leur ratification,
leur contenu demeure largement tenu sous le coude.
Le règne des « accords spéciaux »…
Un exemple tiré de l’accord de défense
entre la France d’un côté, la Côte d’Ivoire,
le Dahomey (aujourd’hui Bénin) et le Niger de l’autre, signé
le 24 avril 1961, sous l’intitulé Accord de Défense entre
la France et les pays membres du Conseil de l’Entente. L’article
2 concède que ces pays ont « la responsabilité de leur
défense intérieure et extérieure », mais qu' ils
peuvent aussi « demander à la République française
une aide dans des conditions définies par des accords spéciaux ».
Or la teneur de ces derniers était et reste secrète, ignorée
non seulement des peuples concernés, mais aussi de la représentation
nationale française. De même que leur éventuelle transformation
dans le temps. Dès lors, comment parler de leur légitimité ?
La même disposition existe pour le Gabon, qui servit naguère de
prétexte pour justifier, entre autres, une intervention des militaires
français contre des manifestations à Libreville et Port-Gentil
d’opposants à Omar Bongo, ami personnel d’un certain Jacques
Foccart (1990). Le prétexte donné par la France fut classiquement
la protection de ses ressortissants. Ajoutons que l’accord de défense
autorise là aussi l’armée française à utiliser
les infrastructures nationales ainsi que les balisages dans les eaux territoriales.
Bref, elle est chez elle au Gabon, comme dans les autres pays africains avec
lesquels existent de tels accords de défense.
Le gouvernement français et les gouvernements
de Côte d’Ivoire, du Dahomey et du Niger, « soucieux
de matérialiser les liens d’amitié et de confiante coopération
les unissant », indique le texte de 1961,
.
Un chiffre à garder en tête : entre
1960 et 1998, il y a eu une soixantaine d’interventions militaires françaises
en Afrique subsaharienne. Dont vingt-trois pour au profit d’un
régime catalogué inconditionnel, type le Gabon de Léon
Mba, puis d’Omar Bongo ; quatorze pour pousser dehors un gouvernement
ayant cessé d’être bien en cour. Rien que dans les années
60, il y eut ainsi une opération de maintien de l’ordre au Sénégal
en faveur du président Senghor (1962) ; l’envoi de parachutistes
au Gabon pour remettre Léon Mba au pouvoir (1964) ; de même
en Centrafrique où l’ami Bokassa redoutait une tentative de coup
d’Etat (1967-70)…
Depuis, il y en eut bien d’autres, dont, dernière en date, en novembre
2004, la répression sanglante (au moins 67 morts) des « patriotes »
ivoiriens défilant à Abidjan pour dénoncer les agissements
de la force Licorne, preuve que la mise en œuvre des dits dépend exclusivement
des desiderata de Paris et non des autorités nationales censées
être libres partenaires. Surtout lorsque celles-ci ont cessé de
manifester la complaisance et la docilité auxquelles Félix Houphouët-Boigny,
puis Henri Konan Bédié avaient accoutumé l’Elysée.
(2)
L’armée française a voix prépondérante
Annexe n°1. Un conseil
régional de Défense est instauré, comprenant les chefs
d’Etat de la Côte d’Ivoire et des deux autres pays africains
concernés ou leurs représentants et le Premier ministre de la
République française ou son représentant. Il est précisé
que son secrétariat permanent « comprendra un officier de
chacun des Etats contractants et sera organisé par les soins du général
français visé à l’article premier ci-dessus »
(lequel prévoit sa participation à l’ensemble des séances
du conseil régional de Défense). Autant dire que l’ex-métropole
a veillé à se garder voix prépondérante au sein
de la dite « Entente ».
L’article premier de cette annexe précise
en effet :
Matières premières et produits stratégiques
La lecture des annexes (qui, jusque là, étaient
elles aussi demeurées secrètes) à ce document réserve
encore des surprises, autres que militaires. Ainsi de la disposition relative
aux « matières premières et produits stratégiques ».
Les pays signataires « informent la République française
de la politique qu' elles sont appelées à suivre »
notamment en ce qui concerne ,
qui doit être réservée « par priorité
à la République française ». Pour celui qui
ne comprendrait pas ce que parler veut dire, il est aussitôt ajouté
que les mêmes « s’approvisionnent par priorité
auprès d’elle ». La boucle est alors bouclée :
l’indépendance accordée au début des années
soixante doit se subordonner aux intérêts de l’ex-métropole
coloniale. Les soleils des indépendances chers au romancier ivoirien
Ahmadou Kourouma avaient été brouillés avant même
de se substituer à la nuit coloniale.
L’article 1 de cette seconde annexe donne une liste des « produits
stratégiques », allant des hydrocarbures (liquides ou gazeux)
à l’uranium (premier visé, le Niger)… Et ajoute cette
précision, ouvrant toutes les portes : …
Voici l’essentiel du texte de cette Annexe II,
dont on admirera le style comminatoire révélateur du rapport de
force imposé par l’ex-métropole à ses trois anciennes
colonies censées avoir accédé à l’indépendance.
(1)Texte inspiré
de l’appel finalisé lors du Forum social mondial de Nairobi (20-25
janvier 2007) ayant obtenu la signature de 127 organisations et réseaux
de vingt pays différents, et lancé le 12 février en ouverture
du Sommet citoyen France-Afrique, Paris.
(2) La palme de la servilité (et
de la peur de son propre peuple) serait revenue au tchadien Tombalbaye qui,
si l’on en croit Jacques Foccart, aurait signé et remis des demandes
d’intervention en laissant la date en blanc ! Cf « Foccart
parle. Entretiens avec Philippe Gaillard », tome 1, page 275 (Fayard/Jeune
Afrique, 1995). Le même Foccart précise qu' avec Diori, il
y avait également eu « un accord, mais pas écrit autant
que je m’en souvienne, et nous avions installé une ligne directe
entre sa résidence et la chambre à coucher de l’ambassadeur »…
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