La France fidèle à la dynastie Bongo

jeudi 25 février 2010, par Philippe Leymarie

Avant l'opération « réconciliation » de M. Nicolas Sarkozy au Rwanda, ce 25 février, il y avait la veille un déplacement au Gabon qui fleurait bon la « Françafrique » à l'ancienne. « Il n'y a plus de pré carré et il ne doit plus y en avoir », déclarait pourtant le président dans un entretien publié par le quotidien gabonais L'Union le jour même où il atterrissait à Franceville (tout un programme !) pour y déposer une gerbe au mausolée d'Omar Bongo, mort en juin dernier après avoir dirigé le Gabon pendant quarante et un ans. Une visite qui a consacré le choix en faveur d'un maintien de la base militaire française de Libreville, au Gabon, alors que l'implantation de Dakar, après celle d'Abidjan, est en voie de fermeture…

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Dirigé aujourd'hui par Ali Bongo, ancien ministre de la défense de son père - une succession sinon imposée, du moins « accompagnée » par le parrain français -, l'accommodant Gabon a été préféré au semi-turbulent Sénégal. Et tant pis si, du coup, le soi-disant nouveau cours des relations de la France avec ses anciennes colonies en prend un coup : « l'émirat » gabonais, avec son million et demi d'habitants, est pourtant le symbole même de cette « Françafrique » que l'actuel gouvernement français affirme ne plus vouloir incarner :
- le maintien d'une base militaire à Libreville (actuellement, 950 hommes) continuera donc de servir d'assurance-vie au régime gabonais… et aux 10 000 ressortissants et 120 entreprises tricolores (dont le pétrolier Total) ;
- moins excentré que Dakar, ce point d'appui permettra de continuer à rayonner sur le Golfe de Guinée (et son pétrole !), et sur les pays en crise d'Afrique de l'Ouest (Côte d'Ivoire, Guinée, Niger) comme d'Afrique centrale (Tchad, Centrafrique, Cameroun, les deux Congo…) - c'est-à-dire de continuer à jouer, en y mettant tout de même les formes, au « gendarme de l'Afrique ».

Révision des accords militaires

Le nouvel accord de défense signé mercredi avec le Gabon ne prévoit plus, à l'inverse des anciens accords de défense liant la France à ses anciennes colonies africaines, d'intervention automatique de Paris en cas de menace extérieure comme intérieure. après le Cameroun et le Togo, le Gabon est le troisième pays africain à réviser ainsi des accords militaires qui, pour certains, remontaient à leur indépendance en 1960.

Mais ce réexamen n'a pu être mené à bien avant la fin 2009, comme annoncé par Nicolas Sarkozy. Cinq accords de défense sont encore en discussion : Centrafrique ( pour réviser l'accord conclu en 1960), Côte d'Ivoire (1961), Sénégal (1973), Djibouti (1977), Comores (1978). L'ensemle de ces textes devaient être intégralement publiés, mais on n'a encore rien vu ! De même, il avait été promis d'associer le parlement à leur élaboration : il n'en a rien été.

En outre, comme le fait remarquer Raphaël Granvaud, de l'association Survie [1], cette révision des accords de défense ne concerne que la partie émergée de l'iceberg. Une myriade d'accords militaires dits « techniques » ne sont pas couverts par cette promesse de transparence : « Ils suffisent pour légitimer toute une gamme de moyens militaires permettant de faire pencher la balance du côté souhaité, sans forcément engager des troupes françaises de manière directe et frontale sur le champ de bataille : fourniture de matériels de guerre, de renseignements militaire, de «conseillers» qui planifient les opérations ; interposition entre belligérants et sanctuarisation de sites stratégiques au profit d'un camp ou d'un autre, sous couvert d'évacuation de ressortissants ou d'opération humanitaire, etc. »

Certes, « la France n'a pas vocation à maintenir indéfiniment des forces armées en Afrique », déclarait Nicolas Sarkozy lors d'un discours devant les députés sud-africains, le 28 février 2008. Mais, tout au long de la Ve République, elle l'aura fait. Et une partie de ces troupes ( 6000 hommes environ, dans les bases permanentes) sont toujours sur place, cinquante ans après la vague des indépendances.

C'est d'ailleurs sous la pression de la crise économique, autant que par dessein politique, que la retraite est lancée (ou accélérée, car elle était déjà bien engagée) : il est vrai que l'Afrique ne compte plus que pour 3 % dans le commerce extérieur de la France (1% pour la zone franc), contre 40% dans les années 1960. Et que ses principaux clients africains, aujourd'hui, sont hors zone francophone : Angola, Afrique du Sud, Nigeria...

Souveraineté sénégalaise

Le Sénégal, qui fête le cinquantième anniversaire de son indépendance le 4 avril prochain, a présenté la fermeture de la base française de Dakar comme un symbole de souveraineté retrouvée. Le président sénégalais Abdoulaye Wade avait estimé, l'an dernier, que cette présence militaire française - si elle pouvait s'expliquer pour certains pays aux régimes fragiles - n'avait pas de justification au Sénégal. Le nouvel accord entre Paris et Dakar, qui devrait être signé avant le 4 avril, sera axée sur la coopération militaire technique.

L'évacuation, par les 1 200 soldats des Forces françaises du Cap-Vert, du cantonnement de Bel Air - un site unique, non loin de la corniche, face à l'île de Gorée - libérera une quarantaine d'hectares de terrains dans un secteur foncier stratégique, au cœur de la capitale, où il est déjà question de projets hôteliers. La « plate-forme régionale de coopération » qu'il est question de laisser à Dakar, en remplacement de la base, sera à effectifs très réduits, avec des groupements air et marine : ils auront à gérer les escales, et les dépôts de matériel - au profit de pays ouest-africains ou de forces françaises en transit. Quant au Bataillon d'infanterie de marine, il sera sans doute dissous, mettant fin à une présence séculaire...

Lire aussi « Chantres français pour dictateurs africains », par Thomas Deltombe, dans Le Monde diplomatique de mars 2010, en kiosques le 3 mars.

Notes

[1] « Que fait l'armée française en Afrique ? », Dossiers Noirs, n° 23, Survie-Agone, 2009.

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