la pauvreté est-elle soluble dans la «démocratie
électorale» ?
Francis Arzalier
Certaines idées fausses ont la vie dure: une bonne part
des Français croient encore que les dirigeants politiques africains sont
d' affreux dictateurs imposés à leur peuple par la force; ils
pensent même, comme l' affirment leurs télévisions, que
tous les malheurs africains - pauvreté, guerres, xénophobies -
en sont la conséquence et qu' il suffirait donc d' une bonne« démocratie
à l' occidentale» pour les guérir.
Cette croyance est dangereuse, car elle permet à Messieurs
Kouchner et Sarkozy de prêcher pour l' exportation de la «démocratie»
des «droits de l' Homme» par l' intervention militaire, du Tchad
à Kaboul. Plus encore, elle est fausse..
Certes, il existe encore quelques dérapages caricaturaux
comme ce quarteron de galonnés mauritaniens qui vient de renverser le
président élu, sans réaction populaire notable. Mais ce
n' est qu' exceptionà la règle: durant la dernière décennie,
la quasi-totalité des gouvernements africains, bons ou mauvais, sont
issus d' élections qui ne sont guère plus truquées qu'en
Occident: le suffrage universel, le pluripartisme, sont - selon la formule consacrée
- à la fois ce qu' il y a de mieux et le pire des systèmes à
l' exception de tous les autres, tellement il est facile d' en manipuler le
verdict. En Afrique, on oppose des partis, des candidats, qui ne s' opposent
guère que par leur désir d' arriver au pouvoir, claironnant quelques
promesses vagues qui n' engagent que ceux qui les écoutent. On passe
aussi d' un président à un autre, qui fera la même politique.
Est-ce si différent de la France, des USA?
Dans les villages du Sahel, un sac de riz, un tee-shirt servent
à acheter les voix d' électeurs misérables:
celui des candidats, qui à les sponsors nécessaires - au-delà
des mers notamment -, des 4x4 et des hélicoptères, les nourritures
et vêtements à distribuer, est généralement sûr
de son élection. Dans les villes d' Afrique et bien plus encore d'Europe,
on pipe l' électeur grâce au matraquage des médias, des
médias contrôlés par ceux qui ont l' argent et les pouvoirs
d' état. Est-ce si différent?
Mieux, la dernière période a permis à
cette Afrique mal aimée de donner à ses censeurs occidentaux quelques
belles leçons que nous devrions bien suivre en matière de démocratie
électorale : l'Angola, premier producteur africain de pétrole,
avant même le Nigeria, sort de sa longue nuit de guerres civiles et d'
invasionsétrangères. Le MPLA, parti du président, héritier
des luttes pour l' indépendance, a obtenu dans un scrutin jugé
parfait par tous les observateurs sérieux, plus des trois quarts des
sièges de députés ; et son opposant UNITA, qui fut supplétif
de l' apartheid sud-africain, a obtenu 10% des voix. Cela suffira-t-il à
résoudre le réel problème angolais, l' inégalité
sociale énorme entre les miséreux des bidonvilles et les privilégiés
affairistes qui profitent de la croissance rapide du pays ? L' avenir le dira:
il n' est pas écrit dans les urnes, mais tracé par les peuples
après l' étapeélectorale.
Au demeurant, est-ce à notre pays de se poser en donneur
de leçons en la matière, quand ses députés viennent
dans la même année d' annuler le non majoritaire des français
à l' Europe supranationale et d' approuver la participation de soldats
français à la guerre en Afghanistan que 60 % des citoyens refusent?
Extrait d' Aujourd'hui l' Afrique n°110
sommaire