Agir au Darfour

Khartoum finira-t-il par céder aux intenses pressions américaines pour accepter le déploiement des casques bleus au Darfour, cette région de l'ouest du Soudan, vaste comme la France, secouée depuis 2003 par une sanglante guerre civile ? La question n'est plus seulement théorique depuis que, jeudi 31 août, le Conseil de sécurité a mis le gouvernement d'Omar Al-Bachir devant le fait accompli, par le vote d'une résolution prévoyant l'envoi de 17 300 soldats à partir du 1er octobre. Ce texte qui "invite" le gouvernement soudanais "à consentir" à l'arrivée de la force de l'ONU a été immédiatement rejeté par Khartoum, qui stigmatise par avance une "intervention étrangère". En parallèle, le régime soudanais s'est lancé dans une escalade militaire, pilonnant les villages rebelles du Darfour, comme s'il s'agissait de gagner le maximum de terrain avant un inéluctable déploiement des casques bleus.

S'il est trop tôt pour affirmer qui remportera ce bras de fer, le brûlant dilemme de l'heure concerne la stratégie à mettre en oeuvre pour que la communauté internationale puisse exercer ce droit d'ingérence que réclame à l'évidence le Darfour. Une région où les milices arabes "janjawids" soutenues par le gouvernement central terrorisent depuis trois ans des populations noires qui réclament d'être mieux associées au pouvoir et aux richesses, faisant jusqu'à 300 000 morts et plus de 2 millions de déplacés, faits qualifiés de "génocide" par les Américains.

Manifestement, l'administration Bush, poussée par une mobilisation de l'opinion américaine, notamment noire, a choisi la carotte : la levée des sanctions économiques infligées au Soudan, producteur de pétrole, et une rencontre Al-Bachir - Bush le 19 septembre à l'ONU seraient la contrepartie d'un consentement au déploiement des casques bleus. Mais cette stratégie, qui pousse les Soudanais à la surenchère, n'a jusqu'à présent produit que de piteux effets. L'accord de paix paraphé au forceps en mai au Nigeria sur pression américaine a paradoxalement abouti à relancer et compliquer encore le conflit, car il n'a été signé que par une partie des rebelles. Et la diplomatie américaine semble en panne sur le Darfour depuis le départ du secrétaire d'Etat adjoint Robert Zoellick, chargé du dossier.

L'autre voie, sans doute plus prometteuse, est celle des sanctions à infliger aux responsables pour les crimes commis en nombre au Darfour. Une résolution prévoyant de les traduire devant la Cour pénale internationale a déjà été adoptée, une autre envisage des sanctions ciblées. Le texte adopté vendredi réitère ces menaces. L'escalade de la violence sur le terrain enregistrée ces derniers jours appelle à les mettre en oeuvre d'urgence pour éviter une catastrophe annoncée comme imminente par tous les observateurs.

Editorial du Monde du 03.09.06

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