Congo - La contrebande de minerais se poursuit sans ralentir
Raf Custers

Chaque jour, dans l’ouest du Congo, sept à dix avions, chargés chacun de deux tonnes de casserite, vont de Mubi a Goma, d’où le minerai est passé illégalement par delà la frontière rwandaise. Le trafic d’or, de diamant, de cuivre et de cobalt ne connaît pas non plus de ralentissement. Telles sont les conclusions du dernier rapport du groupe d’experts des Nations-Unies. L’état congolais ne touche presque rien des profits générés par cette contrebande. Mais il semble que très peu de choses aient été entreprises pour combattre le pillage prolongé des ressources minières congolaises. Les mineurs – il y en a plusieurs dizaines de milliers – en restent les principales victimes.

jeudi 22 février 2007 http://www.intal.be/fr/article.php?articleId=621&menuId=1

L’or provient de la province de l’Ituri, située au nord-ouest du Congo. Entre 30 000 et 200 000 (!), “mineurs artisanaux” (les “creuseurs”) extraient le minerai pour le compte de “sous-traitants” qui le redistribuent à un réseau d’acheteurs et de contrebandiers. 90 a 95 % de l’or finit par disparaître vers Kampala (Ouganda) ou Dubai. Les “creuseurs” peuvent gagner, chaque jour, de 4 a 5$ de salaire brut, mais, en réalité, leur travail ne leur rapporte que des dettes. Cela s’explique par le coût de la vie dans les villages de mineurs et par les innombrables “pourboires” qu' ils payent principalement aux militaires et aux ex-rebelles gardant les mines. Ils ne devraient plus rester de milices armées en Ituri. Il en va autrement dans la province du Nord-Kivu, qui reste instable. Selon le rapport, “ la venue de rwandais et les tensions ethniques y ont éveillé des conflits”. En 1994, des groupes extrémistes Interahamwe, venus du Rwanda, se sont réfugiés dans cette province. Durant la guerre (1998-2003), la population a cruellement souffert de la terreur et du chantage exercés par les rebelles pro-rwandais du RCD-Goma.

Autour de Walikale, la population locale se trouve confrontée a deux sociétés minières pro-rwandaises qui se disputent l’exploitation de la casserite. De cette dernière, une fois raffiné, est tiré le précieux coltan. Durant la guerre, la firme sud-africaine Mining Processing Congo aida “l’aile commerciale” de l’armée rwandaise à faire sortir du Congo la contrebande de ce minerai. Le Groupe Minier Bangandula, quant a lui, appartient aux riches “frères Makabuza”, qui entretiennent d’étroites relations avec les ex-rebelles du RCD-Goma

Dans le Nord-Kivu également, la majorité des “mineurs artisanaux” travaille à perte et il existe un réseau développe de marchands. Ce dernier serait constitué aux trois-quarts d’”opérateurs” qui, échappant a toute taxéè et impôt, font frauduleusement passé le minerai au Rwanda, ou celui-ci est ensuite raffiné ou exporté pour des transformations plus poussées.

Walikale est le centre d’extraction de la casserite au Nord-Kivu. De là, le minerai est transporté à pied jusqu' a Mubi, ville située a une cinquantaine de kilomètres. On y trouve un petit aéroport, d’où, quotidiennement 7 à 10 avions, chargés chacun de deux tonnes de minerai, partent pour Goma, près de la frontière rwandaise.

De l’or vers le Burundi.
De la province du sud-Kivu – elle aussi occupée durant la guerre – proviennent également or et casserite. Dans certaines parties de la province, des éléments de la milice FDLR (partisans des tristement célèbres Interahamwe) se sont appropriés des mines, ce qui contribue à la poursuite de violents conflits. Ailleurs, et principalement dans la ville minière de Kamituga, des tensions sociales persistent en raison des taxéès et impôts illégaux auxquels les mineurs restent soumis.

L’or du Sud-Kivu disparaît au Burundi où les droits de douane à l’exportation sont moins élevés qu' au Congo et où les opérateurs ne doivent pas se procurer de licences minières (dont le prix s’élève a 75 000 $). La firme exportatrice Delta Force de Kamituga est ici principalement concernée. Les quantités de minerai passées en contrebande sont considérables: la Fédération des Entrepreneurs Congolais (FEC) les évalue à 500 kilos d’or par mois pour une valeur évaluée a 8 ou 9 millions de dollars.

Le passage illégale de casserite à la frontière est plus difficile. Mais les marchands achètent les fonctionnaires pour qu' ils sous-évaluent les volumes exportés de sorte que leur droits de douane en soient réduits de beaucoup.

Des entreprises d’Etat à l’agonie.
La province du Katanga et la moitié ouest du Kasai occidental ne furent pas occupées, durant la guerre, par des troupes venues du Rwanda, de l’Ouganda ou du Burundi. Les zones minières restèrent sous contrôle du gouvernement de Kinshasa. Mais ce dernier accorda cependant de considérables concessions à des firmes du Zimbabwe (dont plusieurs étaient en fait des sociétés écrans, propriétés de hauts responsables militaires) parce que ce pays avait envoyé” des troupes lors de l’invasion du Congo par ses voisins de l’Est.

Les mines du Katanga produisent du cuivre et du cobalt. Leur exploitation est aux mains de firmes ayant conclu des Joint Ventures avec des filiales de la compagnie d’état Gecamines. Cette exploitation avait déjà commencé en 1994 avec la privatisation de Gecamines. Dans les concessions, travailleraient environ 150 000 “mineurs artisanaux” qui souvent ne refusent de se soumettre à l’exploitant officiel. Fin décembre, les mineurs s’opposèrent à la société minière Chemaf et cette confrontation fit au moins 3 morts et une vingtaine de blesses.

Sur base d’un échantillon limite de cas, le groupe d’experts a calculé que les mineurs peuvent espérer gagner jusqu' a 200 $ brut mensuel mais qu' en réalité, ils se retrouvaient a la fin du mois avec en moyenne, 15 $ de nouvelles dettes!

Le centre diamantaire de Mbuji-Mayi – dans le Kasai oriental- a vu sa population éclaté durant la guerre en raison des nombreux réfugiés fuyant la ligne de front qui vinrent y chercher abri. La ville continue de grandir a cause de ses ressources minérales. Environ 2 millions de personnes y vivraient actuellement. L’industrie diamantaire se trouvent toujours formellement sous le contrôle de la compagnie d’etat MIBA. 40 % des diamants extraits disparaîtraient illégalement. En fait la MIBA n’est pas en mesure de gérer elle même l’extraction des diamants. La compagnie a conclu plusieurs joint ventures avec des sociétés minières étrangères. Celles-ci ont bénéficiées d’énormes concessions: First American Diamonds reçut une concession de 800 km2, BHP Billiton une concession de 16000 km2 et celle de De Beers s’étend sur 60 000 km2. En échange d’un prêt de 15 millions de dollars, Emaxéon Diamonds & Dan Gertler s’est vu octroyer le droit de commercialiser 88% de la production de la MIBA. Dans les mines de diamant, travaillent approximativement un million de “mineurs artisanaux”. Mais, selon le groupe d’expert, une “guerre à petite échelle” (“small-scale war”) serait sur le point d’éclater entre les mineurs, les services de sécurité de la MIBA et des bandes criminelles, soi-disant “suicidaires”, qui soumettent les mineurs au chantage. Ce conflit continue de coûter de nombreuses vies humaines.

Des sanctions inutiles?
Selon le groupe d’experts, l’Etat congolais joue encore à peine un rôle dans le secteur minier. Les compagnies minières d’Etat sont pratiquement à l’agonie. OKIMO (offices des mines d’or de Kilo-Moto) dans l’Ituri ne disposent plus que de 1500 employés qui survivent grâce a quelques fermes d’Etat. Les concessions aurifères sont laissées en leasing à des “sous-traitants” qui doivent – en théorie du moins – indemniser la compagnie. Dans le Nord-Kivu, la compagnie d’état Sominki (société minière et industrielle du Kivu) n’existe plus que sur papier. D’autres sociétés lorgnent sur sa concession. Dans le Sud-Kivu, Sominki à été vendue en 1995 au groupe minier Banro qui, de notoriété publique, a aujourd’hui de grandes ambitions dans l’exportation d’or.

Gecamines,dans le Katanga, a été mise en pièces, en conséquence directe de joint ventures conclues avec des groupes privés. Tous les contrats conclus avec ceux-ci sont particulièrement désavantageux pour l’etat congolais. La commission Lutundula du parlement congolais a examiné soigneusement une quarantaine de ces contrats mais son rapport n’a jamais fait l’objet d’une discussion dans ce parlement (entre temps remplacé par une assemblée élue).

En raison du trafic à grande échelle, la caisse de l’etat ne bénéficie que très peu des profits générés par le secteur minier qui enrichit en revanche des réseaux illégaux et une poignée d’entreprises étrangères. Quelles mesures prendre pour remédier a cette situation? Très peu conclut amèrement le groupe d’experts. Ses principales suggestions concernent des services publiques, comme les douanes ou l’inspection des mines dont la reconstruction devrait être fermement entreprise.

Mais après? Les sanctions n’auront que peu d’impact. Elles frapperont ici et là un fraudeur qui sera immédiatement remplacé par un autre. Le groupe d’expert s’inquiète surtout que les sanctions se retournent contre la MONUC, la force de maintien de la paix de l’ONU, qui sera chargée de veiller a leur mise en application et à leur protection. La MONUC qui pourrait s’attirer la colère populaire simplement parce que des centaines de milliers de personnes dans les mines doivent soi-disant gagner leur croûte.

Traduit du Néerlandais par Julien Fang

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