La Chine en Afrique : avantages ou inconvénients pour
le développement ?
Laurent Delcourt
Réalité de la présence économique
de la Chine en Afrique
Le dernier Forum sino-africain (2006) a confirmé la
place centrale que tient désormais l’Afrique dans les stratégies
extérieures du gouvernement chinois avec notamment la création
d’un « fonds » de développement pour l’Afrique
doté d’un budget de 5 milliards de dollars, des annulations de
dette pour un montant de 1,4 milliard de dollars (concernant environ 31 pays)
et un doublement d’ici 2009 du budget de l’aide.
Si les annonces faites au cours de ce sommet concernaient avant
tout la coopération au développement, la coopération sino-africaine
se joue aussi sur le front économique et commercial, avec un accroissement
considérable des échanges commerciaux entre les deux continents
et des investissements chinois en Afrique en constante augmentation depuis quelques
années. Les chiffres permettent d’en prendre toute la mesure.
Entre 2000 et 2007, le commerce entre la Chine et l’Afrique
a été multiplié par sept pour atteindre 70 milliards de
dollars. On estime par ailleurs que ce montant atteindra 100 milliards de dollars
en 2010. A ce moment, ces montants auront été multipliés
par 100 depuis le début des années 1980 et la Chine deviendra
le premier partenaire commerciale de l’Afrique (place tenue actuellement
par les Etats-Unis). C’est dire que les relations commerciales constituent
aujourd’hui le principal moteur des relations sino-africaines.
Pour autant, à peine 10 % de l’ensemble des exportations
africaines sont destinées à la Chine Il s’agit principalement
de matières premières : 70 % pour le pétrole et 15 % pour
les ressources minières. A noter également que le commerce entre
l’Afrique et la Chine est déficitaire pour cette dernière,
les importations chinoises ne représentant que 2,5 % des importations
totales du continent. Dans ce cas-ci, il s’agit principalement de produits
manufacturés : textile, chaussures, appareils électroniques, équipements
de télécommunication et, loin derrière, voitures.
Passons maintenant aux investissements chinois en Afrique qui
ont littéralement décollé eux aussi en même temps
que les échanges commerciaux. Si les données concernant l’évolution
de ces investissements sont très lacunaires, on peut toutefois estimer
qu' ils s’élèvent actuellement à 11 milliards
de dollars, ce qui représente pas moins de 10% de l’ensemble des
investissements en Afrique et 15 % des investissements chinois à l’étranger.
Les secteurs concernés sont ceux des matières premières
(pétrole et minerais), les ateliers d’assemblage (bicyclettes bon
marché), le secteur des banques et de la finance [1]
, la construction et les travaux d’intérêt public, un marché
que les entreprises installées en Chine commencent à dominer presque
totalement. Au total, près de 1000 entreprises chinoises seraient présentes
en Afrique.
Reste enfin l’aide dont on a eu l’occasion de parler
un peu plus haut. A propos de l’aide chinoise à l’Afrique
quelques remarques s’imposent. Bien qu' elle ait augmenté
fortement ces dernières années, l’aide au développement
de la Chine à l’Afrique n’est pas un phénomène
récent. Voilà plus de cinquante ans que la Chine coopère
avec l’Afrique en matière de développement. Autrefois, avant
que la Chine ne se replie sur elle une vingtaine d’année durant
(1980-2000) pour se concentrer sur son propre développement, le montant
de cette aide dépassait de loin l’ensemble des investissements
et des montants liés au commerce. Initiée avec des projets en
Algérie, en Egypte et au Ghana, la doctrine sur laquelle reposait cette
aide était officiellement celle d’une solidarité Sud-Sud
dont les principes ont été formalisés par Zou en Laï
[2] . Officiellement « désintéressée
», cette politique visait cependant aussi à contrer l’hégémonisme
soviétique et occidental en Afrique, par un renforcement des liens et
des alliances.
Contrairement au passé, l’aide de la Chine
à l’Afrique est aujourd’hui fortement adossée aux
investissements et aux relations commerciales. Le tout fait en réalité
partie intégrante d’un « package » global négocié
entre la Chine et les pays africains. Aussi, est-il difficile d’isoler
et de mesurer les montants accordés à titre d’aide au développement
et leur répartition (entre dons, prêts concessionnels, annulations
de dette, etc). Une difficulté accrue du fait de l’opacité
des statistiques. On peut cependant estimer que le montant de cette aide tourne
autour de 2 milliards de dollars par an, soit 10 % de l’aide totale reçue
par l’Afrique, ce qui ferait de la Chine l’un des principaux bailleurs
de fonds du continent, en passe même de devenir le premier, si effectivement
les montants doublent comme annoncé au dernier forum sino-africain. Concrètement,
cette aide finance essentiellement (environ 70 %) des travaux d’infrastructure
(routes, ponts, voies ferrées, etc.), mais également des bâtiments
de prestige, des écoles et centres de formation, des hôpitaux,
etc.
Chine/Europe : des logiques d’intervention différentes
en Afrique
Officiellement, l’Europe déploie sa coopération
au nom du « développement » et des « Objectifs du Millénaire
». Depuis les décolonisations, elle s’est donnée comme
« mission » d’assister « paternellement » l’Afrique
pour qu' elle accède à la modernité (discours altruiste
modernisateur). Quand à le Chine, elle déploie sa coopération,
comme nous l’avons vu, au nom de la solidarité « Sud-Sud
», de la tradition afro-asiatique, de la situation partagée de
nations historiquement dominées par l’Occident, qui entretiennent
des rapports « amicaux », sur un même pied d’égalité.
Notons cependant, pour commencer, que dans un cas comme dans
l’autre, derrière le voile de discours légitimateurs différents
(et souvent opposés), les acteurs chinois comme européens sont
globalement mus par des intérêts économiques semblables
(accès aux ressources naturelles africaines, aux marchés, etc.)
et une même logique géopolitique (conserver ou augmenter leur influence
dans la région).
Plus intéressantes que les « discours légitimateurs
» sont sans doute les logiques d’intervention différentes
qui caractérisent d’un côté l’Europe, de l’autre,
la Chine.
Aussi, l’aide de l’Union européenne est-elle
souvent liée à un ensemble de conditionnalités visant à
réformer les économies africaines dans un sens libéral
(Cf. ajustements structurels et DSRP [3]
). Par exemple, l’intégration des pays africains à l’économie
mondiale a été définie comme une des grandes orientations
de l’aide européenne. S’agissant de l’Afrique, la signature
des accords APE (Accord de partenariat économique) est censée
impulser cette intégration. Outre les conditionnalités «
économiques », existent aussi des conditionnalités «
politiques ». Ainsi, depuis les années 1990, l’Europe aide
les pays d’Afrique à condition que ceux-ci s’engagent sur
la voie de la démocratie et de la bonne gouvernance (synonyme surtout
de bonne gestion) et qu' ils collaborent en matière de lutte contre
le terrorisme et l’immigration non contrôlée. En l’absence
de progrès en ce domaine, l’Europe se réserve donc théoriquement
le droit de couper le robinet du financement. En Afrique, où l’ajustement
libéral a eu des conséquences désastreuses, ces conditionnalités
économiques et politiques – dont sont assortis les accords de coopération
– sont mal perçues et considérées comme une imposition
de type néocolonial.
De son côté, la Chine ne pose pas de conditions
à son aide en termes de politiques et d’orientations économiques.
Pas plus qu' elle n’a d’exigence vis-à-vis de ses partenaires
en termes de démocratie, de transparence dans l’usage des fonds,
de lutte contre la corruption, etc. Sa politique de coopération se fonde
sur la « non-ingérence » dans les affaires intérieures
des pays africains [4].
Ce qui l’amène à investir dans des pays où corruption
et violations des droits de l’homme atteignent des proportions endémiques,
comme au Zimbabwe et au Soudan.
Avec raison, l’Union européenne et d’autres
bailleurs de fond soulignent qu' en collaborant avec ces régimes,
la Chine sape les effets des pressions de la communauté internationale
qui sont exercées sur eux, fait voler en éclat le consensus des
bailleurs à leur sujet, et ce faisant, les conforte. Toutefois, à
la décharge de la Chine, notons que les autres bailleurs, européens
en particulier, n’ont pas non plus, dans leur relation, avec l’Afrique
le monopole de la vertu. Dans les faits, les conditionnalités démocratiques
avancées tiennent parfois aussi du double discours quand on sait les
relations très complices entretenues par les Européens avec une
kyrielle de régimes autoritaires ou à tout le moins douteux (Togo,
Burkina Faso, Nigéria, etc.). Par ailleurs, étant la « dernière
arrivante » en Afrique, la Chine n’a-t-elle pas été
forcée d’investir dans des pays « moins recommandables »
sur le plan international, les compagnies occidentales monopolisant déjà
les marchés dans d’autres pays ?
L’autre critique formulée par les bailleurs de
l’OCDE vis-à-vis de la politique chinoise de coopération
est la question de l’aide liée [5].
Contrairement aux bailleurs occidentaux qui ont convenu il y a peu de délier
leur aide, cette pratique reste de mise dans les relations entre la Chine et
l’Afrique. En fait, l’aide chinoise est doublement liée.
D’une part, les projets financés par la Chine font essentiellement
appel à des entreprises et à de la main-d’œuvre chinoises,
au détriment de la main-d’œuvre locale (cette dernière
exprime d’ailleurs son insatisfaction avec de plus en plus de vigueur)
; et d’autre part, les financements de projets d’infrastructure
(routes, ponts, barrages, hôpital, etc.) ou de prestige (stade, palais
présidentiel) sont systématiquement « liés »
à l’octroi de concessions pétrolières ou minières
(exemple récent de la RDC). Mis à part la question de la main-d’œuvre
chinoise, objet d’une forte tension entre population et investisseurs
chinois, la problématique de l’aide liée – critiquable
dans son principe – n’a toutefois que peu d’impact sur les
règles de transparence dans l’attribution des marchés publics,
les entreprises chinoises étant régulièrement les moins
chères. De plus, soulignons le fait qu' existe une proximité
plus grande entre les manières de faire de Chine et d’Afrique.
Les opérateurs chinois évoluent avec davantage d’aisance
dans les environnements les plus difficiles où prédominent les
arrangements informels (en termes de procédures, normes, etc.) et là
où les investisseurs étrangers sont généralement
absents. L’aide chinoise est ainsi bien plus efficace et pragmatique.
Impacts réels de la présence chinoise sur le continent africain
Du point de vue du développement strictement économique,
la présence de la Chine en Afrique est avantageuse pour cette dernière
sous certains aspects. La demande chinoise dope les prix des matières
premières, ce qui améliore les termes de l’échange
et les recettes d’exportation des pays africains, et les nouvelles relations
sino-africaines contribuent à réintroduire l’Afrique dans
les flux internationaux du commerce formel, dont elle s’est trouvée
à l’écart plusieurs décennies durant.
Toutefois, soulignons qu' au niveau de leur structure,
ces relations économiques sino-africaines s’apparentent au commerce
Nord-Sud (comme le Nord, la Chine entend sécuriser son accès aux
matières premières) et par conséquent constitue aussi un
lourd handicap. Concrètement, l’Afrique reste cantonnée
presque exclusivement dans un rôle de fournisseur de matières premières
(pétrole, minerais, bois, coton, etc.), ce qui a pour effet de renforcer
sa place défavorable dans la division internationale du travail. Pensons
notamment aux investissements chinois dans l’agriculture (en particulier
dans la production d’agrocarburants) qui ont tendance à favoriser
le développement des monocultures d’exportation. Notons aussi que
l’importation massive de produits chinois provoque le déclin du
secteur industriel local, notamment textile, dans les rares pays où il
a pu se développer (faillites en Zambie, Afrique du Sud, Cameroun, Gabon,
Nigeria), malgré les tarifs préférentiels accordés
par la Chine. Enfin, si les recettes budgétaires des gouvernements peuvent
se trouver augmentées grâce aux exportations vers la Chine, se
pose la question de la répartition de ces recettes (pour quelle usage/redistribution
étant donné la dégradation de la gouvernance ?) et de la
durée (combien de temps cela va durer étant donné que les
ressources exportées sont pour une bonne part non renouvelables) ? Mais
l’Europe fait-elle mieux à ce niveau ? C’est en effet bien
elle qui a la responsabilité historique de la place de l’Afrique
dans la division internationale du travail, et d’ après plusieurs
experts de la société civile, la signature prochaine des APE aura
des effets délétères sur le maigre tissu industriel africain
et la préservation des ressources.
En fait, c’est principalement sur le plan social, politique
et environnemental que l’intrusion de la Chine en Afrique pose le plus
problème. En effet, les droits sociaux des travailleurs africains employés
par les entreprises chinoises sont régulièrement bafoués
(sous-payés, non reconnaissance des syndicats, etc.). Et les entreprises
chinoises ne font preuve que de très peu de responsabilité sociale.
Ainsi, aux îles Maurice, les Chinois n’ont mis que quelques mois
à démanteler les usines textiles qu' ils avaient montées
pour contourner les quotas imposés à la Chine par l’OMC,
une fois que ceux-ci ont été levés. Sans préoccupation
aucune concernant les conditions sociales de leur départ. L’emploi
d’une main-d’œuvre chinoise pose également problème,
car ce faisant, la Chine ignore le renforcement des capacités locales.
Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que l’on assiste
actuellement à une multiplication de réactions d’opposition
à la présence chinoise de la part des populations d’Afrique
: succession de grèves dans les mines zambiennes exploitées par
les Chinois, enlèvement d’ingénieur chinois au Nigéria,
ce qui signifie désormais que la Chine n’est plus à l’abri
des attaques jusque là réservées au Nord.
Si la préoccupation des Chinois pour les normes sociales
sont faibles, il en va de même pour les normes environnementales qui sont
systématiquement négligées dans la quête des ressources
naturelles et la mise en œuvre des projets d’infrastructure (routes,
ponts, voies ferrées, barrages, etc.) : aucun respect des standards internationaux
notamment dans la construction du grand barrage de Merowe au Soudan et importation
illégale (50 %) de bois tropicaux et d’ivoire.
Sur ces deux plans, il faut bien admettre que les pratiques
des investisseurs européens, bien qu' inégales, sont en voie
d’amélioration (montée en force des principes de responsabilité
sociale et environnementale, codes de bonne conduite, etc.), notamment du fait
qu' elles sont l’objet de contrôles et pressions de la part
des sociétés civiles européennes (campagnes internationales
à l’exemple de celle contre IKEA).
La dernière préoccupation enfin concerne,
comme on l’a vu plus haut, le renforcement de la démocratie que
la Chine néglige totalement. Pire encore, elle sape par ces relations
avec des Etats peu recommandables les progrès dans ce sens.
Conclusion
La présence de la Chine en Afrique constitue-t-elle
un plus pour le développement de l’Afrique ? Oui et non ! La politique
africaine de la Chine ne doit être ni diabolisée (médias
et politiques occidentaux) ni idéalisée (discours tiers-mondiste).
La réponse doit être teintée de nombreuses nuances. Sous
certains aspects, cette politique est préférable aux politiques
européennes en matière de coopération avec l’Afrique,
sous d’autres, elle est pire.
Si certains en Afrique, à l’instar du président
sud-africain Mbeki, dénoncent le néocolonialisme chinois et estime
que la Chine dispose d’un agenda caché pour le continent, beaucoup
pensent, au contraire, que les relations avec la Chine sont plus avantageuses
qu' avec l’Occident : l’Afrique cesse d’être le
pré carré des Occidentaux. La présence de la Chine en Afrique
fait naître entre partenaires du développement une concurrence
salutaire. D’aucuns soulignent par ailleurs que l’aide de la Chine
est plus complémentaire que concurrentielle. Sur le plan symbolique aussi
le regard africain est positif dans le sens où les Chinois se caractérisent
le plus souvent par l’absence de préjugés par rapport aux
Occidentaux.
Reste les critiques selon lesquelles la Chine mine les efforts
de l’Occident visant à construire la transparence, les droits humains
et le développement des capacités. Sur ce point, il faut noter
les évolutions en cours qui sont loin d’être anodines. Ainsi
la Banque d’investissement chinoise en Afrique, l’Exim Bank, se
montre actuellement de plus en plus soucieuse par rapport aux remboursements,
sur les questions de transparence et à la notion de risque pays. Par
ailleurs, un responsable Chinois a déclaré dernièrement
que les entreprises chinoises pourraient être sanctionnées en cas
d’abus à l’étranger. A suivre l’évolution
en cours, il semblerait donc que la Chine tendent de plus en plus à s’aligner
sur les critères de l’OCDE. Enfin – et c’est loin d’être
négligeable – la Chine est le seul pays à investir massivement
dans l’infrastructure et la formation.
Notes:
[1] Les Chinois ont notamment
fait l’acquisition de près de 20 % du capital de la Standard, première
banque africaine et la China Development Bank a scellé une alliance avec
l’Union Bank of Africa, l’une des principales banques du Nigeria.
[2] Au nombre de ces principes, retenons
: égalité entre les partenaires, bénéfices mutuels,
respect de la souveraineté, prêts sans intérêts, allègement
des charges, choix de projet renforçant l’économie des bénéficiaires,
respect des obligations, etc.
[3] Documents stratégiques pour
la réduction de la pauvreté. Ceux-ci ont succédé
à la fin des années 1990 aux fameux programmes d’ajustement
structurel.
[4] Nul doute cependant que l’aide
de la Chine est conditionnée au soutien diplomatique des pays bénéficiaires
sur une série de dossiers internationaux, à commencer par la reconnaissance
de Taiwan (seuls une poignée de pays africains reconnaissent Taiwan).
Les voix africaines au sein de l’ONU, de l’OMC etc. sont importantes
pour asseoir les ambitions géopolitiques de la Chine (soutien à
l’OMC ; vote contre la candidature du Japon au Conseil de sécurité
de l’ONU).
[5] Une aide est dite « liée
» lorsque le pays bénéficiaire est obligé d’avoir
recours aux biens ou services des entreprises du pays donateur pour mettre en
œuvre les projets financés
source www.cetri.be/spip.php?article927
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