La Chine en Afrique : avantages ou inconvénients pour le développement ?

Laurent Delcourt avril 2008

Depuis quelques années, on assiste au grand retour de la Chine sur la scène internationale, et tout particulièrement en Afrique, jusque-là « chasse gardée » des Européens et, dans une moindre mesure, des Etasuniens. Motif d’inquiétude pour les uns, opportunité pour les autres, la réalité de cette présence chinoise en Afrique doit être ramenée à sa juste mesure. Au-delà des clichés et idées préconçues, nous chercherons à en montrer ici les avantages, les inconvénients, les opportunités et les limites.

Réalité de la présence économique de la Chine en Afrique

Le dernier Forum sino-africain (2006) a confirmé la place centrale que tient désormais l’Afrique dans les stratégies extérieures du gouvernement chinois avec notamment la création d’un « fonds » de développement pour l’Afrique doté d’un budget de 5 milliards de dollars, des annulations de dette pour un montant de 1,4 milliard de dollars (concernant environ 31 pays) et un doublement d’ici 2009 du budget de l’aide.

Si les annonces faites au cours de ce sommet concernaient avant tout la coopération au développement, la coopération sino-africaine se joue aussi sur le front économique et commercial, avec un accroissement considérable des échanges commerciaux entre les deux continents et des investissements chinois en Afrique en constante augmentation depuis quelques années. Les chiffres permettent d’en prendre toute la mesure.

Entre 2000 et 2007, le commerce entre la Chine et l’Afrique a été multiplié par sept pour atteindre 70 milliards de dollars. On estime par ailleurs que ce montant atteindra 100 milliards de dollars en 2010. A ce moment, ces montants auront été multipliés par 100 depuis le début des années 1980 et la Chine deviendra le premier partenaire commerciale de l’Afrique (place tenue actuellement par les Etats-Unis). C’est dire que les relations commerciales constituent aujourd’hui le principal moteur des relations sino-africaines.

Pour autant, à peine 10 % de l’ensemble des exportations africaines sont destinées à la Chine Il s’agit principalement de matières premières : 70 % pour le pétrole et 15 % pour les ressources minières. A noter également que le commerce entre l’Afrique et la Chine est déficitaire pour cette dernière, les importations chinoises ne représentant que 2,5 % des importations totales du continent. Dans ce cas-ci, il s’agit principalement de produits manufacturés : textile, chaussures, appareils électroniques, équipements de télécommunication et, loin derrière, voitures.

Passons maintenant aux investissements chinois en Afrique qui ont littéralement décollé eux aussi en même temps que les échanges commerciaux. Si les données concernant l’évolution de ces investissements sont très lacunaires, on peut toutefois estimer qu' ils s’élèvent actuellement à 11 milliards de dollars, ce qui représente pas moins de 10% de l’ensemble des investissements en Afrique et 15 % des investissements chinois à l’étranger. Les secteurs concernés sont ceux des matières premières (pétrole et minerais), les ateliers d’assemblage (bicyclettes bon marché), le secteur des banques et de la finance [1] , la construction et les travaux d’intérêt public, un marché que les entreprises installées en Chine commencent à dominer presque totalement. Au total, près de 1000 entreprises chinoises seraient présentes en Afrique.

Reste enfin l’aide dont on a eu l’occasion de parler un peu plus haut. A propos de l’aide chinoise à l’Afrique quelques remarques s’imposent. Bien qu' elle ait augmenté fortement ces dernières années, l’aide au développement de la Chine à l’Afrique n’est pas un phénomène récent. Voilà plus de cinquante ans que la Chine coopère avec l’Afrique en matière de développement. Autrefois, avant que la Chine ne se replie sur elle une vingtaine d’année durant (1980-2000) pour se concentrer sur son propre développement, le montant de cette aide dépassait de loin l’ensemble des investissements et des montants liés au commerce. Initiée avec des projets en Algérie, en Egypte et au Ghana, la doctrine sur laquelle reposait cette aide était officiellement celle d’une solidarité Sud-Sud dont les principes ont été formalisés par Zou en Laï [2] . Officiellement « désintéressée », cette politique visait cependant aussi à contrer l’hégémonisme soviétique et occidental en Afrique, par un renforcement des liens et des alliances.

Contrairement au passé, l’aide de la Chine à l’Afrique est aujourd’hui fortement adossée aux investissements et aux relations commerciales. Le tout fait en réalité partie intégrante d’un « package » global négocié entre la Chine et les pays africains. Aussi, est-il difficile d’isoler et de mesurer les montants accordés à titre d’aide au développement et leur répartition (entre dons, prêts concessionnels, annulations de dette, etc). Une difficulté accrue du fait de l’opacité des statistiques. On peut cependant estimer que le montant de cette aide tourne autour de 2 milliards de dollars par an, soit 10 % de l’aide totale reçue par l’Afrique, ce qui ferait de la Chine l’un des principaux bailleurs de fonds du continent, en passe même de devenir le premier, si effectivement les montants doublent comme annoncé au dernier forum sino-africain. Concrètement, cette aide finance essentiellement (environ 70 %) des travaux d’infrastructure (routes, ponts, voies ferrées, etc.), mais également des bâtiments de prestige, des écoles et centres de formation, des hôpitaux, etc.

Chine/Europe : des logiques d’intervention différentes en Afrique

Officiellement, l’Europe déploie sa coopération au nom du « développement » et des « Objectifs du Millénaire ». Depuis les décolonisations, elle s’est donnée comme « mission » d’assister « paternellement » l’Afrique pour qu' elle accède à la modernité (discours altruiste modernisateur). Quand à le Chine, elle déploie sa coopération, comme nous l’avons vu, au nom de la solidarité « Sud-Sud », de la tradition afro-asiatique, de la situation partagée de nations historiquement dominées par l’Occident, qui entretiennent des rapports « amicaux », sur un même pied d’égalité.

Notons cependant, pour commencer, que dans un cas comme dans l’autre, derrière le voile de discours légitimateurs différents (et souvent opposés), les acteurs chinois comme européens sont globalement mus par des intérêts économiques semblables (accès aux ressources naturelles africaines, aux marchés, etc.) et une même logique géopolitique (conserver ou augmenter leur influence dans la région).

Plus intéressantes que les « discours légitimateurs » sont sans doute les logiques d’intervention différentes qui caractérisent d’un côté l’Europe, de l’autre, la Chine.

Aussi, l’aide de l’Union européenne est-elle souvent liée à un ensemble de conditionnalités visant à réformer les économies africaines dans un sens libéral (Cf. ajustements structurels et DSRP [3] ). Par exemple, l’intégration des pays africains à l’économie mondiale a été définie comme une des grandes orientations de l’aide européenne. S’agissant de l’Afrique, la signature des accords APE (Accord de partenariat économique) est censée impulser cette intégration. Outre les conditionnalités « économiques », existent aussi des conditionnalités « politiques ». Ainsi, depuis les années 1990, l’Europe aide les pays d’Afrique à condition que ceux-ci s’engagent sur la voie de la démocratie et de la bonne gouvernance (synonyme surtout de bonne gestion) et qu' ils collaborent en matière de lutte contre le terrorisme et l’immigration non contrôlée. En l’absence de progrès en ce domaine, l’Europe se réserve donc théoriquement le droit de couper le robinet du financement. En Afrique, où l’ajustement libéral a eu des conséquences désastreuses, ces conditionnalités économiques et politiques – dont sont assortis les accords de coopération – sont mal perçues et considérées comme une imposition de type néocolonial.

De son côté, la Chine ne pose pas de conditions à son aide en termes de politiques et d’orientations économiques. Pas plus qu' elle n’a d’exigence vis-à-vis de ses partenaires en termes de démocratie, de transparence dans l’usage des fonds, de lutte contre la corruption, etc. Sa politique de coopération se fonde sur la « non-ingérence » dans les affaires intérieures des pays africains [4]. Ce qui l’amène à investir dans des pays où corruption et violations des droits de l’homme atteignent des proportions endémiques, comme au Zimbabwe et au Soudan.

Avec raison, l’Union européenne et d’autres bailleurs de fond soulignent qu' en collaborant avec ces régimes, la Chine sape les effets des pressions de la communauté internationale qui sont exercées sur eux, fait voler en éclat le consensus des bailleurs à leur sujet, et ce faisant, les conforte. Toutefois, à la décharge de la Chine, notons que les autres bailleurs, européens en particulier, n’ont pas non plus, dans leur relation, avec l’Afrique le monopole de la vertu. Dans les faits, les conditionnalités démocratiques avancées tiennent parfois aussi du double discours quand on sait les relations très complices entretenues par les Européens avec une kyrielle de régimes autoritaires ou à tout le moins douteux (Togo, Burkina Faso, Nigéria, etc.). Par ailleurs, étant la « dernière arrivante » en Afrique, la Chine n’a-t-elle pas été forcée d’investir dans des pays « moins recommandables » sur le plan international, les compagnies occidentales monopolisant déjà les marchés dans d’autres pays ?

L’autre critique formulée par les bailleurs de l’OCDE vis-à-vis de la politique chinoise de coopération est la question de l’aide liée [5]. Contrairement aux bailleurs occidentaux qui ont convenu il y a peu de délier leur aide, cette pratique reste de mise dans les relations entre la Chine et l’Afrique. En fait, l’aide chinoise est doublement liée. D’une part, les projets financés par la Chine font essentiellement appel à des entreprises et à de la main-d’œuvre chinoises, au détriment de la main-d’œuvre locale (cette dernière exprime d’ailleurs son insatisfaction avec de plus en plus de vigueur) ; et d’autre part, les financements de projets d’infrastructure (routes, ponts, barrages, hôpital, etc.) ou de prestige (stade, palais présidentiel) sont systématiquement « liés » à l’octroi de concessions pétrolières ou minières (exemple récent de la RDC). Mis à part la question de la main-d’œuvre chinoise, objet d’une forte tension entre population et investisseurs chinois, la problématique de l’aide liée – critiquable dans son principe – n’a toutefois que peu d’impact sur les règles de transparence dans l’attribution des marchés publics, les entreprises chinoises étant régulièrement les moins chères. De plus, soulignons le fait qu' existe une proximité plus grande entre les manières de faire de Chine et d’Afrique. Les opérateurs chinois évoluent avec davantage d’aisance dans les environnements les plus difficiles où prédominent les arrangements informels (en termes de procédures, normes, etc.) et là où les investisseurs étrangers sont généralement absents. L’aide chinoise est ainsi bien plus efficace et pragmatique.
Impacts réels de la présence chinoise sur le continent africain

Du point de vue du développement strictement économique, la présence de la Chine en Afrique est avantageuse pour cette dernière sous certains aspects. La demande chinoise dope les prix des matières premières, ce qui améliore les termes de l’échange et les recettes d’exportation des pays africains, et les nouvelles relations sino-africaines contribuent à réintroduire l’Afrique dans les flux internationaux du commerce formel, dont elle s’est trouvée à l’écart plusieurs décennies durant.

Toutefois, soulignons qu' au niveau de leur structure, ces relations économiques sino-africaines s’apparentent au commerce Nord-Sud (comme le Nord, la Chine entend sécuriser son accès aux matières premières) et par conséquent constitue aussi un lourd handicap. Concrètement, l’Afrique reste cantonnée presque exclusivement dans un rôle de fournisseur de matières premières (pétrole, minerais, bois, coton, etc.), ce qui a pour effet de renforcer sa place défavorable dans la division internationale du travail. Pensons notamment aux investissements chinois dans l’agriculture (en particulier dans la production d’agrocarburants) qui ont tendance à favoriser le développement des monocultures d’exportation. Notons aussi que l’importation massive de produits chinois provoque le déclin du secteur industriel local, notamment textile, dans les rares pays où il a pu se développer (faillites en Zambie, Afrique du Sud, Cameroun, Gabon, Nigeria), malgré les tarifs préférentiels accordés par la Chine. Enfin, si les recettes budgétaires des gouvernements peuvent se trouver augmentées grâce aux exportations vers la Chine, se pose la question de la répartition de ces recettes (pour quelle usage/redistribution étant donné la dégradation de la gouvernance ?) et de la durée (combien de temps cela va durer étant donné que les ressources exportées sont pour une bonne part non renouvelables) ? Mais l’Europe fait-elle mieux à ce niveau ? C’est en effet bien elle qui a la responsabilité historique de la place de l’Afrique dans la division internationale du travail, et d’ après plusieurs experts de la société civile, la signature prochaine des APE aura des effets délétères sur le maigre tissu industriel africain et la préservation des ressources.

En fait, c’est principalement sur le plan social, politique et environnemental que l’intrusion de la Chine en Afrique pose le plus problème. En effet, les droits sociaux des travailleurs africains employés par les entreprises chinoises sont régulièrement bafoués (sous-payés, non reconnaissance des syndicats, etc.). Et les entreprises chinoises ne font preuve que de très peu de responsabilité sociale. Ainsi, aux îles Maurice, les Chinois n’ont mis que quelques mois à démanteler les usines textiles qu' ils avaient montées pour contourner les quotas imposés à la Chine par l’OMC, une fois que ceux-ci ont été levés. Sans préoccupation aucune concernant les conditions sociales de leur départ. L’emploi d’une main-d’œuvre chinoise pose également problème, car ce faisant, la Chine ignore le renforcement des capacités locales. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que l’on assiste actuellement à une multiplication de réactions d’opposition à la présence chinoise de la part des populations d’Afrique : succession de grèves dans les mines zambiennes exploitées par les Chinois, enlèvement d’ingénieur chinois au Nigéria, ce qui signifie désormais que la Chine n’est plus à l’abri des attaques jusque là réservées au Nord.

Si la préoccupation des Chinois pour les normes sociales sont faibles, il en va de même pour les normes environnementales qui sont systématiquement négligées dans la quête des ressources naturelles et la mise en œuvre des projets d’infrastructure (routes, ponts, voies ferrées, barrages, etc.) : aucun respect des standards internationaux notamment dans la construction du grand barrage de Merowe au Soudan et importation illégale (50 %) de bois tropicaux et d’ivoire.

Sur ces deux plans, il faut bien admettre que les pratiques des investisseurs européens, bien qu' inégales, sont en voie d’amélioration (montée en force des principes de responsabilité sociale et environnementale, codes de bonne conduite, etc.), notamment du fait qu' elles sont l’objet de contrôles et pressions de la part des sociétés civiles européennes (campagnes internationales à l’exemple de celle contre IKEA).

La dernière préoccupation enfin concerne, comme on l’a vu plus haut, le renforcement de la démocratie que la Chine néglige totalement. Pire encore, elle sape par ces relations avec des Etats peu recommandables les progrès dans ce sens.

Conclusion

La présence de la Chine en Afrique constitue-t-elle un plus pour le développement de l’Afrique ? Oui et non ! La politique africaine de la Chine ne doit être ni diabolisée (médias et politiques occidentaux) ni idéalisée (discours tiers-mondiste). La réponse doit être teintée de nombreuses nuances. Sous certains aspects, cette politique est préférable aux politiques européennes en matière de coopération avec l’Afrique, sous d’autres, elle est pire.

Si certains en Afrique, à l’instar du président sud-africain Mbeki, dénoncent le néocolonialisme chinois et estime que la Chine dispose d’un agenda caché pour le continent, beaucoup pensent, au contraire, que les relations avec la Chine sont plus avantageuses qu' avec l’Occident : l’Afrique cesse d’être le pré carré des Occidentaux. La présence de la Chine en Afrique fait naître entre partenaires du développement une concurrence salutaire. D’aucuns soulignent par ailleurs que l’aide de la Chine est plus complémentaire que concurrentielle. Sur le plan symbolique aussi le regard africain est positif dans le sens où les Chinois se caractérisent le plus souvent par l’absence de préjugés par rapport aux Occidentaux.

Reste les critiques selon lesquelles la Chine mine les efforts de l’Occident visant à construire la transparence, les droits humains et le développement des capacités. Sur ce point, il faut noter les évolutions en cours qui sont loin d’être anodines. Ainsi la Banque d’investissement chinoise en Afrique, l’Exim Bank, se montre actuellement de plus en plus soucieuse par rapport aux remboursements, sur les questions de transparence et à la notion de risque pays. Par ailleurs, un responsable Chinois a déclaré dernièrement que les entreprises chinoises pourraient être sanctionnées en cas d’abus à l’étranger. A suivre l’évolution en cours, il semblerait donc que la Chine tendent de plus en plus à s’aligner sur les critères de l’OCDE. Enfin – et c’est loin d’être négligeable – la Chine est le seul pays à investir massivement dans l’infrastructure et la formation.

Notes:

[1] Les Chinois ont notamment fait l’acquisition de près de 20 % du capital de la Standard, première banque africaine et la China Development Bank a scellé une alliance avec l’Union Bank of Africa, l’une des principales banques du Nigeria.
[2] Au nombre de ces principes, retenons : égalité entre les partenaires, bénéfices mutuels, respect de la souveraineté, prêts sans intérêts, allègement des charges, choix de projet renforçant l’économie des bénéficiaires, respect des obligations, etc.
[3] Documents stratégiques pour la réduction de la pauvreté. Ceux-ci ont succédé à la fin des années 1990 aux fameux programmes d’ajustement structurel.
[4] Nul doute cependant que l’aide de la Chine est conditionnée au soutien diplomatique des pays bénéficiaires sur une série de dossiers internationaux, à commencer par la reconnaissance de Taiwan (seuls une poignée de pays africains reconnaissent Taiwan). Les voix africaines au sein de l’ONU, de l’OMC etc. sont importantes pour asseoir les ambitions géopolitiques de la Chine (soutien à l’OMC ; vote contre la candidature du Japon au Conseil de sécurité de l’ONU).
[5] Une aide est dite « liée » lorsque le pays bénéficiaire est obligé d’avoir recours aux biens ou services des entreprises du pays donateur pour mettre en œuvre les projets financés

Laurent Delcourt Sociologue et historien, chercheur au Centre tricontinental - CETRI (Louvain-la-Neuve).

source www.cetri.be/spip.php?article927

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