Capitalisme et apartheid

Un article du Monde du 12 novembre 2002 nous éclaire (un peu) sur la coopération de firmes américaines et européennes avec le régime raciste d'Afrique du Sud.

Je cite

" Les victimes de l'apartheid ont désigné mardi à Johannesburg vingt banques et entreprises occidentales qu'elles poursuivent pour coopération avec le gouvernement raciste sud-africain et pour avoir indirectement contribué à un "crime contre l' humanité".

Dans une conférence de presse donnée à Johannesburg, Neville Gabriel, porte-parole de Jubilee 2000, une coalition sud-africaine qui regroupe 4 000 ONG demandant l'indemnisation des victimes du régime d'apartheid, a confirmé qu'une plainte avait été déposée lundi à New York contre ces vingt entreprises pour demander des dédommagements. Il a précisé que "les dommages causés par l'apartheid se chiffrent en milliards de dollars". "Ceci est une action dirigée contre des banques et des corporations spécifiques pour avoir, par leur aide, contribué à un crime contre l' humanité", a souligné Neville Gabriel.

L'action, lancée par les avocats Charles Abrahams et Michael Hausfeld, est distincte d'une première action en justice intentée au nom de victimes de l'apartheid par un avocat new-yorkais, Ed Fagan, et que Jubilee 2000 avait critiquée en la qualifiant de "mal préparée". Ed Fagan demande, notamment à Crédit suisse et l'Union de banques suisses, une indemnisation totalisant 1,25 milliard de dollars. Cette nouvelle action a été annoncée lundi à Berne par une ONG, la Campagne suisse d'annulation des dettes de l'apartheid (Keesa).

"Une plainte collective majeure a été déposée (lundi) à New York", a confirmé Jubilee 2000 lors d'une conférence de presse à Johannesburg, précisant que les entreprises et banques visées étaient américaines, suisses, allemandes, britanniques, françaises et néerlandaises. Ces banques et entreprises ont, par leurs prêts et investissements, financé le régime d'apartheid, "lui permettant de survivre malgré les sanctions de l'ONU", affirme la coalition.

Les sociétés américaines visées sont : Citigroup, J.P. Morgan, ExxonMobil, Caltex Petroleum, Fluor Corporation, Ford Motor Corporation, General Motors et IBM. Les sociétés allemandes sont : Commerzbank, Deutsche Bank, Dresdner Bank, DaimlerChrysler et Rheinmetall. Les banques suisses Crédit suisse et l'Union de banques suisses (UBS) sont également visées, ainsi que les sociétés britanniques Barclays National Bank, British Petroleum (BP) et Fujitsu ICL, et les compagnies pétrolière française TotalFinaElf et anglo-néerlandaise Royal Dutch Shell.

Jubilee 2000 a affirmé à Johannesburg que ces entreprises étaient accusées de s'être faites les complices du régime de l'apartheid accusé de "tortures, meurtres, viols, détentions arbitraires et traitements inhumains". "Mais ceci n'est pas une attaque contre la Suisse ou le peuple suisse, ou l'Allemagne ou tout autre pays", a souligné Neville Gabriel.

Jubilee 2000, fondée en 1998, a aussi demandé l'annulation de toutes les dettes de l'Afrique du Sud datant de l' époque de l'apartheid et que l'organisation a estimées à 25,6 milliards de dollars à la fin 1993, la dernière année du régime de l'apartheid. Neville Gabriel a précisé que l'action était déposée au nom de 85 individus et d'une organisation, le Khulumani Support Group, qui dit représenter 32 000 personnes.

interrogés sur le montant des indemnisations qui seront demandées, le porte-parole de Jubilee 2000 a indiqué : "Les dommages causés par l'apartheid se chiffrent en milliards de dollars (...) mais nous ne mettons pas de chiffre en face de notre action. Nous demandons que les dommages causés par l'apartheid soit réparés".

Le 8 novembre, l'ancien président Frederik de Klerk, artisan de la fin du régime de séparation des races en Afrique du Sud, s'est prononcé à Johannesburg contre les plaintes collectives à l' égard de l'apartheid, estimant qu'elles créeront des précédents qui "paralyseront l'aptitude des banques et des entreprises de faire des affaires où que ce soit".

source http://www.lemonde.fr

C'est tellement beau et à la fois si restreint que je ne peux m'empêcher d'y aller de mes commentaires :

1) Notez le propos de l'ancien président de Klerk : ces plaintes collectives risquent de "paralyser l'aptitude des banques et des entreprises de faire des affaires où que ce soit".
Il a raison : les banques et les entreprises aiment tellement faire des affaires n'importe où ! Parmi celles qui sont citées dans l'article plusieurs, et non des moindres, ont par exemple activement collaboré avec le régime nazi dans les années 1930 et participé à l'effort de guerre allemand : notamment J.P. Morgan, ExxonMobil (morceau de l'ex-empire Standard Oil des Rockefeller), Ford, General Motors, IBM, British Petroleum (BP), Royal Dutch Shell (cf. "Hitler financé par les firmes US", Historia, septembre 2002). IBM alla très loin dans cette collaboration commerciale : outre fournir à l'armée allemande des moyens mécanographiques, elle alla jusqu' à mettre au point des solutions d'identification et de triage des Juifs envoyés à l'extermination ! ("IBM et les nazis", Le Monde, 12 février 2001).

Au demeurant bien d'autres entreprises s'investirent dans cette coopération avec le IIIe Reich : la Chase Bank des Rockefeller, General Electric, Alcoa, ITT, ou encore l'Union Banking Corp qui était la propriété d'industriels nazis et au directoire de laquelle figurait un certain Prescott Bush, grand-père de l'actuel président des Etats-Unis (évoqué par d'innombrables sources américaines, notamment Mickael Moore, "Mike contre-attaque", La découverte, 2002). Précisons que la vente d'équipements de guerre par les Etats-Unis au IIIe Reich a continué pendant un an et demi après l'invasion de la France par la Werhmacht... (Grèce à du matériel américain : ITT, General Motors, etc.). voilé qui dégonfle le poids de l'argument selon lequel les "américains" sont "généreusement venus sauver" l'Europe !

2) TotalFinaElf, mise en cause pour son entente avec l'Afrique du Sud, est également poursuivie de nos jours pour séquestration dans le cadre de son histoire d'amour avec l'atroce dictature de Birmanie (cf. "J'accuse Total", entretien avec l'avocat William Bourdon, Nouvel Observateur numéro 1973, 29 août 2002).

3) A titre contextuel, l'Afrique du Sud a bénéficié d'un soutien quasiment inconditionnel de trois grandes puissances du camps du "Bien" : la France (pays des droits de l'homme...), les Etats-Unis, et Israël, dont les dirigeants voyaient dans la ségrégation raciale mis en oeuvre par les néo-nazis sud-africains un système idéal pour réprimer et contrôler les Palestiniens. Pendant quatre décennies, ces trois pays ont opposé leur veto à la quasi totalité des résolutions de l'ONU tentant de condamner le système de l'apartheid (cf. Rosa-Amelia Plumelle-Uribe, "La férocité blanche"). Cette complicité recelait un important volet atomique. L'Afrique du Sud fut depuis la deuxième guerre mondiale l'une des principales plates-formes de la "dissémination nucléaire" organisée de maniéré clandestine et crapuleuse par le fameux trio précité, à destination de nombreux pays comme le Pakistan, l'Inde, la Chine, l'Iran, l'Irak, etc. (cf. Franéois-Xavier Verschave, "Noir Chirac" Les Arénes éd. 2002).

4) On notera en dernier lieu que, comme d'habitude, les journaux ne révèlent les scandaleuses collaborations des entreprises occidentales avec des régimes dictatoriaux ou racistes que lorsque des citoyens et des avocats, militants des droits de l'homme, décident de porter ces cas devant les tribunaux. Il est rare que la presse institutionnelle dénonce de son initiative de tels faits. C'est normal. Allez donc visiter le site du Nouvel Observateur. Que voyez-vous ? De la publicité pour IBM (le bienfaiteur des nazis et de l'apartheid) !


Conclusion : Qui - à part quelques commentateurs médiatiques légèrement révisionnistes - croit encore au baratin du capitalisme partenaire de la démocratie et de la liberté ?

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