Burkina Faso : L’exploitation paysanne familiale, moteur du développement

Maurice Oudet

président du SEDELAN, Service d' édition en langues nationales (Burkina Faso) http://www.abcburkina.net
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Dans l’esprit d’un certain nombre de responsablespolitiques africains et d’acteurs de la société civile,l’expression « exploitation paysanne familiale »évoque un modèle de production archaïque orientée versl’auto subsistance. Pourtant quand on fait l’effort d’analyserla réalité, c’est le contraire qui apparaît : l’agriculture paysanne, telle qu'elle se pratique au Burkina (exploitationsfamiliales, coopératives villageoises), est un modèle de production
efficace des aliments.

1. Campagne agricole 2010-2011 : récoltes records

L'analyse des résultats des dernières récoltes en témoigne.Le 9 mars2011, le Ministre de l'agriculture du Burkina, M. Laurent Sedgo, a animé un point de presse sur la dernière campagne agricole. De son exposé il ressort un bilan du petit mil global satisfaisant au niveau national avec une production excédentaire de plus d’un million de tonnes pour ce quiconcerne les céréales.Intéressons-nous plus spécialement au mil (c'est-à-dire au petit mil ou millet), au sorgho (appelé aussi gros mil), au maïs, au riz et au niébé (haricot du Sahel).
Ainsi, la production céréalière nationale définitive est évaluée à 4 560 574 tonnes. En hausse de 27% par rapport à la moyenne des cinq dernières années.

Nous avons le tableau suivant :

Céréales
Tonnes
Mil
1 147 894
Sorgho
1 990 227
Maïs
1 133 480
Riz
270 658
Niébé
626 113

Toutes ces productions sont en hausse par rapport à l'année dernière et par rapport aux cinq dernières années. Mais il est possible de pousser l'analyse plus loin, et notammentde comparer l'augmentation de la production de ces diverses céréales avec celle de la population. En mars, la population du Burkina a atteint les 16 millions d'habitants !
Pour le petit mil, on peut dire que la récolte de cette dernière campagne est bonne ; mais elle reste inférieure à celles des années 2003, 2005, 2006 et 2008. Le record étant de1 255 189 tonnes, en 2008. En 1998, la production de petit mil était déjà de 972 768 tonnes (une récolte record à cettedate). Nous avons donc une croissance de la production de petit mil, légèrement inférieure à celle de la population qui est de 3,1% pour la même période.
Pour le sorgho, avec 1 990 227 tonnes, nous avons un record absolu. Mais qui correspond à peu de chose près à l'évolution de la population.
Pour le maïs, avec une production de 1 133 480 tonnes, nous avons également un record absolu. Mais la production du maïs est en croissance rapide au Burkina. C'est le20e record depuis 1984. Ce qu'il faut retenir, c'est que la croissance du maïs est deux fois plus rapide que celle dela population. Dans la moitié sud du Burkina, de plus en plus de paysans se tournent vers le maïs dont le rendement dépasse très souvent les deux tonnes à l'hectare, et parfois lescinq tonnes à l'hectare.

Enfin, nous pouvons aussi nous réjouir de la production record du riz de cette campagne : 270 658 tonnes. Il s'agit là, du riz irrigué (avec deux récoltes par an) et du riz pluvial (donc une récolte, en novembre-décembre). L'évolution de la production de riz irrigué est fortement tributaire de la politique nationale. Je n'ai malheureusement pas les statistiquesdu seul riz irrigué. Mais on peut noter qu'en 1996, la production totale de riz (donc irrigué et pluvial) était déjà de111 807 tonnes. Mais en cette même année 1996 la SONACOR (Société Nationale de Commercialisation du Riz) a été privatisée. Or elle achetait le riz aux producteurs à un prix rémunérateur dès la fin de la récolte. Ce qui permettait aux producteurs des plaines irriguées de préparer sans tarderla deuxième culture. Avec la suppression de la SONACOR et l'importation massive de vieux riz asiatiques (parfois dedix ans d'âge) à prix cassé, les producteurs des plaines irriguées
ont vu leurs revenus s'effondrer. Beaucoup ont abandonné (jusqu'à aujourd'hui) la production de riz pour se tourner vers le maraîchage. La production nationale de riz s'est effondrée. Parfois fortement, comme en l'an 2000(66 395 tonnes) et 2007 (68 916).

Notons également que la production du niébé (haricotdu Sahel) est de 626 113 tonnes soit une hausse de 38% par rapport à l’année dernière, et en hausse de 92% par rapport à la moyenne quinquennale.

Qui a dit que les entreprises familiales agricoles duBurkina ne sont pas capables de nourrir le pays ?

Il est temps que les populations urbaines et le gouvernement se rendent compte que le choix de « nourrir la ville au moindre coût » ne peut remplacer une véritable politique économique, encore moins une politique agricole et alimentaire,surtout dans un pays dont la population est composée à 80%de paysans.

Il a fallu la crise alimentaire de 2007-2008 pour que legouvernement et les négociants en riz s'intéressent enfin à la production locale. En 2004, ces négociants proposaient 85 FCFA pour un kilo de riz paddy ! Aujourd'hui ils en proposent au moins 150F CFA ! Parfois 170FCFA ! Le double.Aussi, depuis 2008, la production de riz s'accroît de 12% paran. Deux fois plus vite que la population urbaine.

2. La volatilité des prix alimentaires : une menace,mais aussi une opportunité !

Depuis la crise alimentaire de 2007-2008, tous les pays dela CEDEAO (Communauté Économique des États de l' Afrique de l'Ouest) veulent se rendre auto suffisants en riz.Cela est possible, à condition que la CEDEAO ait le courage
de protéger son agriculture de la volatilité des prix alimentaires. Nous avons vu comment, il y a quelques années, l' importation massive de vieux riz asiatiques avait cassé laproduction nationale. D'autres produits alimentaires présentent les mêmes aléas. L'importance d'une production dépend de sa rentabilité : l'augmentation du prix du lait en poudreen 2008 a favorisé le développement des laiteries artisanales qui transforment le lait local. Aujourd'hui, un sac de lait en poudre de 25 kg se négocie à plus de 60 000 FCFA. Maisque deviendront ces laiteries, si l'Europe supprime ses quotas laitiers et que ce même sac se négocie bientôt à moins de40 000 CFA, comme en 2006.

Or les responsables politiques de la CEDEAO ont peurde protéger l'agriculture en augmentant les taxéès (qui se calculent en % du prix de la marchandise) à l'importation. Ils se rappellent que, au plus fort de la crise alimentaire de 2008, la plupart des États de la CEDEAO avaient supprimé ces taxéès pour faire baisser les prix sur le marché intérieur.

La bonne mesure serait de remplacer progressivement, pour les produits sensibles, ces taxéès à l'importation par des prix d'entrée. Par exemple au lieu de taxéèr une tonne de riz dont la valeur sur le marché mondial est de 300 000 FCFA(450 €) à 10%, il est possible (même si ce système n'est pasbien vu à l'OMC - Organisation Mondiale du Commerce mais négociable) de fixer un prix d'entrée à 350 000 FCFAla tonne. La taxéè à l'importation (ou « prélèvement ») sera alors de 50 000 FCFA. Comme le montant de ce prélèvement varie avec les fluctuations du marché, on parle de « prélèvement variable ».

De même, au lieu de taxéèr les sacs de 25 kg de poudrede lait à 5%, pourquoi ne pas fixer un prix d'entrée à 65 000 FCFA ?

Ce système serait d'une grande clarté. Il protégerait les producteurs de riz des importations massives de riz à prix cassé, et si, en cas de crise alimentaire, le prix du riz sur lemarché mondial dépasse les 350 000 F la tonne, celle-ci pourra être importée sans taxéè ni prélèvement.

Le prélèvement variable est la seule protection garantissant aux producteurs un prix rémunérateur et stable dans letemps en monnaies régionales (nairas, FCFA…). Le prélèvement variable a été l'outil essentiel du développement agricole fulgurant de l'Union Européenne depuis l'instauration de la PAC (Politique Agricole Commune) en 1962. Elle l’est encore, sous un autre nom, pour les céréales et les fruits et légumes frais. Cette idée de prélèvement variable n'est donc pas nouvelle.

La CEDEAO pourrait ainsi, progressivement, protéger l'ensemble de ses produits sensibles alimentaires par desprix d'entrée et des prélèvements variables. Cette idée a déjà été débattue au sein du ROPPA (Réseau des Organisationspaysannes et des Producteurs Agricoles de l'Afrique de l' Ouest). Dans un de ses documents qui datent du 9 février 2009 on peut lire : « Le ROPPA et la société civile recommandent également l’utilisation des prélèvements variables, type de protection agricole de très loin le plus efficace. »

Ces prix d'entrée pourraient être réajustés chaque année suivant la politique agricole de la CEDEAO et l'évolution du marché mondial. Ce faisant, la CEDEAO commencerait à appliquer sa politique agricole (nommée ECOWAP; adoptée en janvier 2005 ; mais pas encore appliquée) qui,d' après l'article 5.2.a, est orientée vers la « Souveraineté alimentaire »*.

En cette période où tous les États cherchent à se prémunir de la volatilité des prix alimentaires, il sera difficile pour l'OMC d'interdire à la CEDEAO d'introduire des prix d'entrée pour ses produits sensibles. C'est pour cela que l'on peut parler d'opportunité.

Pour être moins incomplet, il aurait fallu parler d'une nouvelle menace qui pèse sur les exploitations paysannes agricoles africaines : l'« accaparement des terres agricoles ».Ce nouveau phénomène choque : des sociétés privées ou des institutions provenant de pays riches ou émergents achètent des terres dans des pays pauvres (souvent dépendantsde l’aide humanitaire) pour les cultiver. Selon une étude de l’Institut International de Recherche sur les PolitiquesAlimentaires, plus de trois millions d’hectares de terres africaines auraient été en négociation et/ou achetées par des investisseurs ou des institutions étrangères lors du premier trimestre de 2009. L'Afrique de l'Ouest n'est pas épargnée.Il est urgent que les autorités de ces pays réagissent. Sinon, le pire est à venir.

Source : aujourd’hui l’afrique n°120 / juin 2011

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