Burkina Faso : L’exploitation paysanne familiale, moteur du développement Maurice Oudet président du SEDELAN, Service d' édition en langues nationales (Burkina Faso) http://www.abcburkina.netDans l’esprit d’un certain nombre de responsablespolitiques
africains et d’acteurs de la société civile,l’expression
« exploitation paysanne familiale »évoque un modèle
de production archaïque orientée versl’auto subsistance. Pourtant
quand on fait l’effort d’analyserla réalité, c’est
le contraire qui apparaît : l’agriculture paysanne, telle qu'elle
se pratique au Burkina (exploitationsfamiliales, coopératives villageoises),
est un modèle de production 1. Campagne agricole 2010-2011 : récoltes records L'analyse des résultats des dernières
récoltes en témoigne.Le 9 mars2011, le Ministre de l'agriculture
du Burkina, M. Laurent Sedgo, a animé un point de presse sur la dernière
campagne agricole. De son exposé il ressort un bilan du petit mil global
satisfaisant au niveau national avec une production excédentaire de plus
d’un million de tonnes pour ce quiconcerne les céréales.Intéressons-nous
plus spécialement au mil (c'est-à-dire au petit mil ou millet),
au sorgho (appelé aussi gros mil), au maïs, au riz et au niébé
(haricot du Sahel). Nous avons le tableau suivant :
Toutes ces productions sont en hausse par rapport à
l'année dernière et par rapport aux cinq dernières années.
Mais il est possible de pousser l'analyse plus loin, et notammentde comparer
l'augmentation de la production de ces diverses céréales avec
celle de la population. En mars, la population du Burkina a atteint les 16 millions
d'habitants ! Enfin, nous pouvons aussi nous réjouir de la production
record du riz de cette campagne : 270 658 tonnes. Il s'agit là, du riz
irrigué (avec deux récoltes par an) et du riz pluvial (donc une
récolte, en novembre-décembre). L'évolution de la production
de riz irrigué est fortement tributaire de la politique nationale. Je
n'ai malheureusement pas les statistiquesdu seul riz irrigué. Mais on
peut noter qu'en 1996, la production totale de riz (donc irrigué et pluvial)
était déjà de111 807 tonnes. Mais en cette même année
1996 la SONACOR (Société Nationale de Commercialisation du Riz)
a été privatisée. Or elle achetait le riz aux producteurs
à un prix rémunérateur dès la fin de la récolte.
Ce qui permettait aux producteurs des plaines irriguées de préparer
sans tarderla deuxième culture. Avec la suppression de la SONACOR et
l'importation massive de vieux riz asiatiques (parfois dedix ans d'âge)
à prix cassé, les producteurs des plaines irriguées Notons également que la production du niébé (haricotdu Sahel) est de 626 113 tonnes soit une hausse de 38% par rapport à l’année dernière, et en hausse de 92% par rapport à la moyenne quinquennale. Qui a dit que les entreprises familiales agricoles duBurkina ne sont pas capables de nourrir le pays ? Il est temps que les populations urbaines et le gouvernement se rendent compte que le choix de « nourrir la ville au moindre coût » ne peut remplacer une véritable politique économique, encore moins une politique agricole et alimentaire,surtout dans un pays dont la population est composée à 80%de paysans. Il a fallu la crise alimentaire de 2007-2008 pour que legouvernement et les négociants en riz s'intéressent enfin à la production locale. En 2004, ces négociants proposaient 85 FCFA pour un kilo de riz paddy ! Aujourd'hui ils en proposent au moins 150F CFA ! Parfois 170FCFA ! Le double.Aussi, depuis 2008, la production de riz s'accroît de 12% paran. Deux fois plus vite que la population urbaine. 2. La volatilité des prix alimentaires : une menace,mais aussi une opportunité ! Depuis la crise alimentaire de 2007-2008, tous les pays dela
CEDEAO (Communauté Économique des États de l' Afrique de
l'Ouest) veulent se rendre auto suffisants en riz.Cela est possible, à
condition que la CEDEAO ait le courage Or les responsables politiques de la CEDEAO ont peurde protéger l'agriculture en augmentant les taxéès (qui se calculent en % du prix de la marchandise) à l'importation. Ils se rappellent que, au plus fort de la crise alimentaire de 2008, la plupart des États de la CEDEAO avaient supprimé ces taxéès pour faire baisser les prix sur le marché intérieur. La bonne mesure serait de remplacer progressivement, pour les produits sensibles, ces taxéès à l'importation par des prix d'entrée. Par exemple au lieu de taxéèr une tonne de riz dont la valeur sur le marché mondial est de 300 000 FCFA(450 €) à 10%, il est possible (même si ce système n'est pasbien vu à l'OMC - Organisation Mondiale du Commerce mais négociable) de fixer un prix d'entrée à 350 000 FCFAla tonne. La taxéè à l'importation (ou « prélèvement ») sera alors de 50 000 FCFA. Comme le montant de ce prélèvement varie avec les fluctuations du marché, on parle de « prélèvement variable ». De même, au lieu de taxéèr les sacs de 25 kg de poudrede lait à 5%, pourquoi ne pas fixer un prix d'entrée à 65 000 FCFA ? Ce système serait d'une grande clarté. Il protégerait les producteurs de riz des importations massives de riz à prix cassé, et si, en cas de crise alimentaire, le prix du riz sur lemarché mondial dépasse les 350 000 F la tonne, celle-ci pourra être importée sans taxéè ni prélèvement. Le prélèvement variable est la seule protection garantissant aux producteurs un prix rémunérateur et stable dans letemps en monnaies régionales (nairas, FCFA…). Le prélèvement variable a été l'outil essentiel du développement agricole fulgurant de l'Union Européenne depuis l'instauration de la PAC (Politique Agricole Commune) en 1962. Elle l’est encore, sous un autre nom, pour les céréales et les fruits et légumes frais. Cette idée de prélèvement variable n'est donc pas nouvelle. La CEDEAO pourrait ainsi, progressivement, protéger l'ensemble de ses produits sensibles alimentaires par desprix d'entrée et des prélèvements variables. Cette idée a déjà été débattue au sein du ROPPA (Réseau des Organisationspaysannes et des Producteurs Agricoles de l'Afrique de l' Ouest). Dans un de ses documents qui datent du 9 février 2009 on peut lire : « Le ROPPA et la société civile recommandent également l’utilisation des prélèvements variables, type de protection agricole de très loin le plus efficace. » Ces prix d'entrée pourraient être réajustés chaque année suivant la politique agricole de la CEDEAO et l'évolution du marché mondial. Ce faisant, la CEDEAO commencerait à appliquer sa politique agricole (nommée ECOWAP; adoptée en janvier 2005 ; mais pas encore appliquée) qui,d' après l'article 5.2.a, est orientée vers la « Souveraineté alimentaire »*. En cette période où tous les États cherchent à se prémunir de la volatilité des prix alimentaires, il sera difficile pour l'OMC d'interdire à la CEDEAO d'introduire des prix d'entrée pour ses produits sensibles. C'est pour cela que l'on peut parler d'opportunité. Pour être moins incomplet, il aurait fallu parler d'une nouvelle menace qui pèse sur les exploitations paysannes agricoles africaines : l'« accaparement des terres agricoles ».Ce nouveau phénomène choque : des sociétés privées ou des institutions provenant de pays riches ou émergents achètent des terres dans des pays pauvres (souvent dépendantsde l’aide humanitaire) pour les cultiver. Selon une étude de l’Institut International de Recherche sur les PolitiquesAlimentaires, plus de trois millions d’hectares de terres africaines auraient été en négociation et/ou achetées par des investisseurs ou des institutions étrangères lors du premier trimestre de 2009. L'Afrique de l'Ouest n'est pas épargnée.Il est urgent que les autorités de ces pays réagissent. Sinon, le pire est à venir. Source : aujourd’hui l’afrique n°120 / juin 2011 |