France-Afrique : des accords militaires « nouvelle génération
»
Philippe
Leymarie
A sens unique
En dépit de l’engagement mainte fois renouvelé
du gouvernement français de ne plus se comporter en « gendarme
de l’Afrique », les éléments français stationnés
en permanence à Libreville pourraient donc – en vertu de cet accord
vieux de presque cinquante ans – être appelés à assurer,
le cas échéant, le rapatriement de ressortissants, la sauvegarde
de biens, la protection de bâtiments publics (présidence, ministères,
ambassades), sites stratégiques (port, aéroport, centrales électriques,
mines), voir à intervenir – aux côtés des forces gabonaises
– dans des opérations de surveillance aux frontières ou
de contrôle de foule [1].
Des accords du même type, comportant dans certains cas
des clauses (non rendues publiques) d’assistance au gouvernement en place
en cas de « circonstances graves », avaient été conclus
avec la Centrafrique (1960), la Côte d’Ivoire (1961), le Togo (1963),
le Sénégal (1973), le Cameroun (1974), Djibouti (1977), les Comores
(1978). Le Livre blanc sur la Défense et la Sécurité nationale
publié en juin 2008 les présente comme « appartenant au
passé », car « correspondant à un moment historique,
la fin de la décolonisation ».
Lors d’un discours devant le parlement sud-africain,
en févier 2008, le président français, M. Nicolas Sarkozy,
avait annoncé la révision de ces accords de défense «
obsolètes » signés par Paris avec ses anciennes colonies,
ne jugeant « plus concevable d’y intervenir dans des conflits internes
». Il avait promis également, au nom de la « transparence
», la publication intégrale de ces textes, après ratification
par les parlements des pays signataires.
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Ce réexamen, entamé depuis quelques mois, a débouché
sur la signature en février d’un nouvel accord avec le Togo, dont
le contenu n’a pas encore été rendu public : mais le nouveau
texte – qui abroge l’ensemble des accords et arrangements conclus
précédemment – exclurait désormais tout engagement
de l’armée française pour soutenir les régimes en
place. Il repose sur un principe de réciprocité des engagements
pris par les deux parties ; mais c’était déjà le
cas auparavant, et n’avait pas empêché ce partenariat d’être
à sens unique – ce qu' il restera par la force des choses.
Un accord de défense « nouvelle génération
» a également été signé en mai dernier avec
le Cameroun, dont l’ancien « accord spécial de défense
» avec Paris signé en 1974 était resté secret. Cette
fois, il n’est plus question d’intervention militaire à l’intérieur
du pays. Le texte n’évoque plus le cas d’une agression extérieure,
se contentant d’envisager le partage d’informations, l’organisation
d’exercices militaires communs, et le soutien aux organismes de formation.
Le tout dans une optique de « renforcement des capacités africaines
de maintien de la paix » - l’ancien « RECAMP » (repris
à son compte par l’Union européenne, en liaison avec l’Union
africaine, mais dont on n’a plus de nouvelles !).
Bases fermées
Ces accords de défense « lourds » –
mais qui ne sont appliqués que dans la mesure où les deux contractants
le souhaitent – ont servi de couverture juridique à des interventions
à répétition très controversées, notamment
dans les années 80 et 90. Ils ont souvent été adossés
à une présence militaire française permanente (Libreville,
Bangui, Abidjan, Dakar, Djibouti) qui est également en cours de réévaluation.
Ainsi, la fermeture de la base d’Abidjan est quasiment
programmée : le président Laurent Gbagbo n’a jamais fait
mystère de ses réticences à propos de la présence
des soldats français. Il faudra trancher également entre les bases
de Dakar et Libreville [2]
– le dispositif militaire français en Afrique devant, selon le
Livre blanc, se concentrer sur trois grandes implantations régionales
(ouest, centre, est), avec un complément dans le sud-ouest de l’océan
Indien (La Réunion), et dans le Golfe arabo-persique (Abou Dhabi).
Soutien sans participation ?
Ces accords dits « de défense » sont distincts
des accords techniques militaires signés avec vingt-sept pays africains,
qui ne sont pas officiellement remis en cause : ils concernent les facilités
d’escale et de transit, le soutien logistique, l’échange
d’informations, l’aide à la formation et à l’entraînement,
le statut des personnels des bases, la fourniture de matériels et d’armements,
etc [3]
.
Mais l’exemple du Tchad – qui n’a jamais
été lié à la France par un accord de défense,
mais où les militaires français mènent une intervention
quasi-permanente depuis l’accession du pays à l’indépendance
– montre qu' il y aurait intérêt à remettre également
à plat ces accords « techniques ». Le « soutien sans
participation » de l’armée française aura sauvé
la mise du régime du président Idriss Deby à plusieurs
reprises ces dernières années...
Notes
[1] Une « convention
spéciale relative au maintien de l’ordre », signée
en 1961, est restée secrète.
[2] L’actuelle base au Gabon (980
hommes) rayonne sur la Centrafrique, et apporte un soutien aux forces françaises
au Tchad et en Côte d’Ivoire. Elle sert de « réservoir
» de forces prépositionnées pour les « opex »
françaises en Afrique de l’Ouest et centrale.
[3] Voir la liste des accords de défense
et de coopération technique militaire dans Les évolutions récentes
de la coopération militaire française en Afrique, Tibault Stéphène
Possio, Editions Publibook, 2007 ; ou dans l’ouvrage collectif sous la
direction de Pierre Pascallon, La politique de la France en Afrique, l’Harmattan,
474 p., Paris, 2004.
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