Pirates en Afrique

Francis Arzalier Aujourd’hui l’Afrique n°124 (juin 2012), pp.15-18

Cette étude doit beaucoup à Dominique Mazire, auquel la Rédaction souhaite un prompt rétablissement.

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Selon les dictionnaires les plus sérieux, le pirate est « celui qui, en temps de paix, court les mers pour voler ou piller ». (Quillet) Nous verrons que cette définition peut être discutée en 2012, quand l'OTAN soumet par bombardements la Libye sans déclarer la guerre, et quand les pirates du Sahara valent bien ceux des océans.
En tout cas, depuis le début de ce siècle, la piraterie est devenue une réalité en Afrique, au même titre que les colonnes de réfugiés fuyant la guerre, et les risques de famine que cela entraine parfois. On dit parfois que le continent est exclu de la mondialisation, et de ses bienfaits (- ) : l'activité des pirates à l'encontre des navires qui le longent est une des façons de s'insérer dans ce grand jeu des échanges mondiaux dont l'Afrique est en partie exclue, quand elle n'en est pas la victime (pillage des matières premières et sources d'énergie par les multinationales, importations à bas prix de produits fabriqués et nourriture qui détruisent la production locale quand elle existe). Il reste que cette piraterie a des conséquences dramatiques, et ne saurait en rien être justifiée.

Une réalité impressionnante

Une des régions les plus touchées par le phénomène est le golfe d'Aden, débouché de la Mer Rouge sur l'Océan Indien, point de passage obligé du trafic commercial entre Europe, Afrique et Asie. Près de 300 cargos y transitent par jour, soit 40% du transport maritime mondial. Selon le bureau maritime international de Kuala Lumpur, 17 navires ont été attaqués durant le premier trimestre 2011, soit le double de l'année précédente. L'association spécialisée Ecoterra International précisait en janvier 2011 que 669 marins avaient été capturés jusque là et 40 cargos immobilisés jusqu'à obtention d'une rançon. Les sommes que doivent verser les armateurs (et leurs assurances) sont évidemment secrètes, mais sont devenues énormes, estimées par des chercheurs de l'institut Chatham House à Londres à plus d'une centaine de millions de dollars. La piraterie somalienne a de ce fait , changé de nature: elle était artisanale il ya quelques années, elle est désormais, d' après un rapport onusien « aux mains de gangs structurés, riches, disposant de réseaux de financement, de renseignement et de négociation dans plusieurs pays » Il est avéré, sinon officiel; que les monarchies du Golfe abritent les négociations des rançons, et que leurs banques accueillent les sommes recueillies, blanchies par le secret bancaire « islamique ».

Autre haut lieu de la piraterie, le Golfe de Guinée entre le delta du Niger (Nigeria) et la côte béninoise. Une enquête effectuée en 2011 par un collectif de journalistes (Théophilus Abbah, du Nigéria, Mohamed Kedir, de Somalie, Cristophe Assogba,du Benin, Charles Rukuni, l'Afrique du Sud, et Evelyn Groenink des Pays Bas, publié par La Nouvelle Gazette, de Cotonou, a révélé comment le pétrole, ponctionné dans le delta sur les pipelines des compagnies euro-américaines qui l'exploitent, parvient en bidons transportés par des centaines de petits navires jusqu'aux entrepôts de Cotonou. De là, ce carburant, plus ou moins frelaté, est diffusé dans les pays voisins, où il sera vendu, en bouteilles, moins cher (et plus polluant !) que celui des stations services. Cette « essence informelle », chaque visiteur peut la voir (et la sentir) dans les rues de Bamako, entre les étals de beignets et ceux de pneumatiques. Le Ministère du Commerce du Bénin estime que 70 à 80% de toutes les importations de carburant passe par la contrebande : Rien d'étonnant, quand on sait que le secteur informel est estimé à 70% de l'économie du pays. Ce trafic de l'essence, côtier et au travers de frontières toujours plus poreuses, relève plus de la contrebande que de la piraterie.

Ne négligeons pas toutefois sa dimension criminelle : pollution de zones entières du delta par les pipelines éventrés, accidents et explosions qui ont causé des centaines de morts au Nigeria, règlements de compte sanglants entre trafiquants soucieux de préserver leur monopole etc. De plus en plus, les « petits dealers de l'essence » sont régis par de riches trafiquants, qui s'affairent aussi au commerce illégal de la drogue et des armes.

Ceux qui en profitent

Evidemment, surtout dans la phase actuelle de concentration des trafics, ce sont d'abord de riches organisateurs, qui ne prennent guère de risques eux-mêmes. L'enquête collective citée plus haut indique le patron béninois du trafic de l'essence, Joseph Midohidjo, connu sous le nom d'Oloyé. Il a pignon sur rue à Porto-Novo et préside l'association des hommes d'affaires du carburant du Benin. Selon l'un de ses employés, « il nourrit des millions de personnes ! » car il joue les « parrains philanthropes » à l'image des gangsters de la Maffia à Chicago en 1930. L'enquête des cinq journalistes décrit très bien ce système qui insère des millions de « dealers-clients ».

Le contrebandier possède une entreprise de microfinance, la Caisse mutuelle de crédit pour le changement, qui accorde des crédits aux femmes pour qu'elles montent des stands de vente de pain. À ce jour, 1 300 femmes ont bénéficié de prêts, selon la directrice, Eliane Tokou. Un habitant de Louo, une commune de Porto-Novo, Victor Adounshiba, confie que sa femme est l'une des bénéficiaires. « Auparavant elle n'avait pas de revenu. Aujourd'hui elle vend de la nourriture dans les alentours d'une école primaire de notre quartier. Oloyé aime vraiment les pauvres, grâce à lui ils n'ont pas à quémander comme des parasites. »

Oloyé possède aussi une compagnie de transport. Ses cars et ses minibus, Adjarra Transport, desservent les villes les plus importantes du pays. Plusieurs jeunes ont acquis à crédit des motos-taxéis, les « zémidjan », grâce à Oloyé. Ils remboursent les prêts sur leurs recettes. « Oloyé apporte une aide véritable. Même quand ils ne peuvent pas rembourser, il les comprend », témoigne un vendeur local de carburant.

Le contrebandier Oloyé a fait construire également des salles de classe et organisé des tournois sportifs au profit des étudiants de sa ville natale. On estime que le magnat emploie 600 personnes directement et plusieurs milliers indirectement parmi les citoyens béninois.

Le secrétaire général de l'Association des importateurs transporteurs et revendeurs de produits pétroliers (AITRPP), Théophile Adjovi, ne trouve rien à redire et loue les efforts accomplis par Oloyé pour « aider les pauvres ».

Mêmes réseaux de complicité au Nigéria, où les rebelles-trafiquants du MEND en armes n'hésitent pas à redistribuer quelques subsides aux villages ruinés par les compagnies pétrolières en échange de leur soutien.

En Somalie, les sommes collectées profitent d'abord à de richissimes « armateurs-pirates » qui investissent leurs revenus à l'étranger, dans les circuits spéculatifs des banques du Golfe, ou dans l'immobilier au Kenya voisin. Ils ont ainsi causé une croissance énorme du prix des terrains et bâtiments à Nairobi, sans que les autorités ne s'en inquiètent : les sectateurs de la loi du marché sévissent aussi en Afrique. Là encore, une partie de cet argent du crime est redistribué dans les quartiers misérables de Eyl, au Puntland somalien, ou dans les faubourgs de Nairobi, Eastleigh, peuplé de milliers de réfugiés de Somalie : ils ont fui les combats entre chefs de guerre à Mogadiscio, et sont à la recherche de la moindre ressource pour survivre.
Cette ambivalence des organisateurs des trafics, « pirates et bienfaiteurs » pour leur communauté comme le dit l'enquête citée plus haut, leur permet d'escompter un avenir encore plus faste, tant qu'ils prospèrent sur la misère ambiante. L'analyse la plus percutante de cette dualité a été résumée par le suisse Jean Ziegler, interviewé par le Courrier International du 2 au 8 février 2012 (n°1109) :

Les vrais bandits sont les multinationales

Rapporteur des Nations unies et militant de gauche, Jean Ziegler ne cesse d'alerter sur la criminalité dans le monde. Fin connaisseur du continent africain, il analyse la popularité des patriotes ».

Courrier international Les populations perçoivent souvent ces « bandits » comme des justiciers. Ont-elles raison?

Jean Ziegler : L'exemple du Nigeria est particulièrement instructif. Le delta du Niger est le plus étendu de la planète après ceux de l'Amazone, du Gange et du Brahmapoutre. Le pétrole du delta est exploité par une dizaine de sociétés étrangères, dont la plus puissante est Shell. Cette région génère 90% des revenus en devises du Nigeria. Mais les populations locales ne profitent pas ou profitent très peu des énormes revenus du pétrole. Au contraire : elles souffrent terriblement de la destruction de leur environnement. Les rebelles décrits sont donc des « gangsters patriotes ». Ils tentent de protéger la population. Ils pratiquent le chantage sur les sociétés et redistribuent l'argent. Cela est particulièrement vrai pour le Mend (Mouvement pour l'émancipation du delta du Niger). Dans pratiquement toutes les villes et tous les villages du delta, les combattants de ce mouvement peuvent compter sur des réseaux de logistique clandestins efficaces et sur des caches innombrables que la police fédérale et les troupes semblent incapables de démanteler. Les prises d'otages à répétition ont permis au Mend de se constituer un véritable trésor de guerre. Celui-ci est mis à profit pour corrompre les membres des troupes d'élite nigérianes lancées à leur poursuite et acheter aux officiers nigérians les armes les plus sophistiquées.

La piraterie des Somaliens s'apparente-t-elle à une forme de redistribution?

Certainement, les accords de pêche, imposés notamment par l'Union européenne, ravagent jusqu'aux eaux territoriales. Ils ont ruiné la vie de dizaines de milliers de familles de pêcheurs.

L'Afrique devient-elle la nouvelle terre des bandits et autres seigneurs du crime ?

Le banditisme au sens étymologique du terme [ de l'italien bandito, malfaiteur, hors-la-loi ] est pratiqué par de nombreuses sociétés multinationales occidentales, chinoises, indiennes. Je prends l'exemple de Glencore, le deuxième trust minier du monde, dont le siège est à Zoug, en Suisse. En Zambie, Glencore possède les Mopani Copper Mines. Le gouvernement de Lusaka accuse le holding de Zoug de manipuler les chiffres pour échapper aux taxes et aux impôts zambiens.

Même.problème au Katanga : Glencore n'est pas seul dans son activité de faussaire. D'autres sociétés – canadiennes, européennes – font de même. Résultat : en 1982, le secteur minier fournissait 70% des revenus du Katanga, contre 7% aujourd'hui.

Quel est le poids de la criminalité dans l'économie mondiale ?

Par sa puissance financière, celle-ci influence secrètement la vie économique, l'ordre social, l'administration publique et la justice de nombreux Etats. Dans certains cas, cette criminalité organisée dicte sa loi et ses valeurs. De cette façon disparaissent graduellement l'indépendance de la justice, la crédibilité de l'action politique, et finalement la fonction protectrice de l'Etat de droit. La corruption devient un phénomène accepté. Le résultat est l'institutionnalisation progressive du crime organisé. Personne évidemment ne connaît sa part exacte dans le produit mondial brut. Il existe cependant une indication : le CD-Rom Crime.doc, qui inventorie les plus importants cartels du crime organisé, contient plus de 100 000 entrées provenant des 187 Etats membres de l'Organisation internationale de police criminelle (OIPC, appelée familièrement Interpol).
(Propos recueillis par Ousmane Ndiaye)

Les victimes

Evidemment, les premières victimes des pirates somaliens sont les membres d'équipage des cargos, pauvres diables sans contrat, souvent originaires de pays à bas salaires. Ainsi le céréalier « algérien » de 26 000 tonnes MVBlida, détourné le 1er janvier 2011 : 27 membres d'équipage, dont dix-sept Algériens, un capitaine et cinq matelots ukrainiens, les quatre autres des Philippines, de Jordanie, et d'Indonésie. Les négociations sont alors engagées entre la Compagnie Nationale Algérienne de Navigation, propriétaire du navire, le groupe jordanien CTI, propriétaire de la cargaison, et les pirates, ou leurs représentants (El Watan, 3 et 4 janvier 2001). Le quotidien algérois ne reparle de l'affaire que dix mois plus tard, à l'issue de négociations laborieuses. Le montant de la rançon est évidemment resté secret. Pratiquement onze mois otage sur le navire, un mécanicien algérien, traumatisé, témoigne (El Watan, 21 novembre 2011). Encore a-t-il eu la chance d'être soutenu par les autorités de son pays. Les marins asiatiques ne le sont pas toujours.

UN EX-OTAGE EN SOMALIE TÉMOIGNE « Parmi les pirates, des femmes et des gosses »

Pendant toute cette période, il accomplissait sa tâche de mécanicien avec courage. Et jamais, dit-il, ne lui est venu à l'esprit qu'il serait un jour capturé par les pires pirates au monde. « Nous avons eu des cas de piraterie au Nigeria. Mais ça n'a jamais été comme les Somaliens. Les pirates au Nigeria prennent l'argent et quittent le navire sans faire de mal aux membres d'équipage », se souvient-il.
À 55 ans, M. Ait Ramdane a vieilli de dix ans aux yeux de ses enfants.-Dix mois entre les mains des pirates somaliens laissent inévitablement des séquelles. Installé dans un fauteuil, dans le salon de sa modeste maison, à Hadjout, le mécanicien relate difficilement ce qui lui est arrivé pendant sa capture. Regard dans le vague, paroles entrecoupées par des moments d'absence, Ahmed Ait Ramdane décrit les pires moments qu'il a passés avec ses ravisseurs. « Ils nous obligeaient à faire la vaisselle et à leur préparer à manger ; ils faisaient travailler notre cuisinier à longueur de journée », raconte-t-il. Le stress et le sentiment d'abandon étaient à leur paroxysme. « On vivait avec des rumeurs. Nous étions coupés du monde. Nous avions la radio BBC en arabe. Mais les pirates changeaient de chaîne exprès », se souvient-il de la cruauté des pirates somaliens. Les pirates somaliens travaillent en famille, avec femmes et enfants. Le chef des pirates travaille.avec ses deux gosses. D' après le témoignage du rescapé de leur enfer, même des adolescents de 14 à 15 ans portaient des kalachnikovs. « Il y a ceux qui tiennent le Nord et ceux qui tiennent le Sud », précise le marin, qui a du mal à supporter la maltraitance de son commandant par ces petits pirates.

UN ADOLESCENT BOUSCULE LE COMMANDANT DU NAVIRE

Les marins ont vécu des scènes très humiliantes. « Un gosse de 14 ans bouscule le commandant du navire. Ce dernier rit sans dire un mot. Il cache sa gêne et son désespoir », dit Ahmed Aït Ramdane, qui n'arrive toujours pas à se remettre des maltraitances subies. Lorsqu'il parle de maltraitances, le marin éprouve un sentiment de dégoût. Sa voix et l'expression de son visage deviennent plus tristes. « Ils nous insultaient. Ils nous ont privés de tout ce qu'on possède. Un pirate de 14 ans nous obligeait à lui préparer à manger », révèle le rescapé à voix basse.

Tout au long de sa narration, l'ex-otage ne prononce pas le mot « pirates » Il se contente de l'usage du pronom personnel « ils ». Ce qu'il a vécu est très dur à raconter. Leur nourriture, pendant dix mois, était constituée essentiellement de spaghettis, de riz et du pain qu'ils préparaient eux-mêmes. « Ils nous ramenaient des sacs de farine mouillés de gasoil. Ils les avaient sûrement pillés sur d'autres navires capturés », déduit-il. Le pain à l'odeur de gasoil, mélangé à l'eau de mer, a fait la nourriture des marins durant leur séjour imposé. Les pirates leur ramenaient l'eau dans des bidons déjà utilisés pour le gasoil. Pour se procurer de l'eau de mer, il leur fallait une autorisation.

Heureusement pour les ex-otages, Il y avait ceux qui parlaient arabe. « Ceux qui ont vécu au Yémen », dit M. Ait Ramdame. La situation était tellement insoutenable que des altercations éclataient par moments entre les otages algériens. « Quand quelqu'un s'énervait on le laissait seul pendant un moment. L'un des Algériens a même fait une dépression nerveuse », se souvient-il. Tout comme les 25 autres marins, le mécanicien ne croit pas qu'on les a libérés. Même lorsqu'ils arrivent au Kenya, ils n'y croient toujours pas. La libération de Toudji Azzedine leur avait rendu l'espoir, mais ils sont épuisés physiquement et moralement.

Avant cette action, les pirates leur ont ramené du gasoil et de la nourriture. Etait-ce un indicateur de leur libération - Les otages n'osaient pas y penser.
C'est un certain Mahmoud, médiateur entre les pirates et la compagnie CTA, ayant affrété le navire, qui a négocié, d' après Ahmed Ait Ramdane, qui ignore toujours sur quoi tournent les négociations. Le 2 novembre, un hélicoptère filme les otages. Le 3 novembre à 13h, le vraquier MV Blida prend le large en direction du port de Mombasa, au Kenya. « Le commandant ne veut pas continuer. II exige la sécurisation du navire », atteste M. Ait Ramdane. Il a été escorté par un hélicoptère et un navire de guerre espagnol jusqu'à Mogadiscio. « Nous avons mis 4 ou 5 jours de Mogadiscio au Kenya », hésite-t-il.

Le MV Blida est escorté par les militaires kenyans. Il leur reste 5 heures pour arriver au port de Mombasa quand le gasoil s'épuise. Le bateau reste en rade. D'autres marins viennent à leur secours: Ils se retrouvent finalement sur une plage, au Kenya.

Ahmed Ait Ramdane est à une semaine de son départ en retraite quand le MV Blida fait l'objet d'un acte de piraterie en haute mer par les Somaliens, le ler janvier 2011. Les pirates ont finalement mis fin à sa carrière et à son amour pour la mer
(Djedjiga Rahmani)

Ce témoignage, en l'analysant, crée un malaise: les preneurs d'otage-pirates ont l'air de pauvres hères aussi démunis que leurs prisonniers. La prison parisienne de la Santé en a, durant 38 mois, hébergé six, appréhendés par l'armée française le 16 septembre 2008, dans les eaux somaliennes, sur un voilier français arraisonné, le Carré d'As. À l'issue de leur procès parisien, en novembre 2011, les six somaliens se révèlent comme des « lampistes obéissant aux ordres d'un commanditaire bien identifié (un notable local), mais jamais inquiété » (Monde Diplomatique, février 2012) Le même journaliste rapporte que le propriétaire du voilier capturé les considère comme « des gamins dépassés par l'enjeu » et les embrasse à l'issue du procès ! Cinq d'entre eux écopent de 4 à 8 ans de prison, et un est acquitté : il pêchait dans le secteur et était venu vendre son poisson aux pirates !
Le moins qu'on puisse dire est que ces procès fort discutables juridiquement (ils ont été exfiltrés de leur pays par une armée occidentale) ne sont pas une solution au problème bien réel de la piraterie. On ne résoudra rien en créant, comme le prônaient certains un nouveau Guantanamo à Djibouti !

Les pirates du désert

Ce drame de la piraterie, de la prise d'otages contre rançon, touche aussi de plus en plus l'immense désert saharien et les pays riverains d'Afrique du Nord ou du Sahel. On n’en est plus aux « coupeurs de routes » artisanaux qui prenaient leur obole aux voyageurs il y a dix ans. En 2011, la guerre de l'OTAN et de la France en Libye a totalement déstabilisé la région saharo-sahélienne. Qu'on apprécie ou pas son mode de gouvernement on ne peut refuser au défunt colonel Khadafi une vertu: il contenait les velléités insurrectionnelles récurrentes parmi les nomades Toubous de Libye et du Tchad, et celles aussi anciennes parmi les Touareg du Mali et du Niger.

Il avait d'ailleurs formé sa garde rapprochée avec des guerriers sahariens Toubous et Touareg. Le pouvoir khadafien écrasé sous les bombes, ces « mercenaires » comme les nommaient les insurgés favorables à l'OTAN, sont retournés vers le désert, avec leurs armes, leurs véhicules, et leur soif de vengeance. Le Mali est ainsi devenu la première « victime collatérale » de la guerre en Libye. Les groupes Touareg qui parcourent le nord du pays ont récemment occupé une petite ville, et massacré quelques dizaine de soldats maliens .Mieux, le « Mouvement national pour la libération de l'Azawad » exige aujourd'hui non plus une quelconque autonomie, mais l'indépendance d'un état saharien! faut-il rappeler que le Sahara est grand comme l'Europe et que les Touaregs, aujourd'hui citoyens de plusieurs pays, sont environ deux millions au total (dont une majorité ne désire pas la sécession).
Si l'on ajoute à cela les groupes armés qui se proclament intégristes (AQMI qui flirtent volontiers avec les trafiquants de toute nationalité qui organisent dans le désert les trafics de migrants vers le nord, les convois de drogues les plus diverses, les preneurs d'otages qui n'ont d'autre idéologie que l'argent, tout le pourtour saharien est aujourd'hui une zone d'insécurité. Au Niger, au Mali sahéliens, dont les villes étaient il y a dix ans de grands villages, on se calfeutre le soir quand on est étranger.
Les otages français qui travaillaient pour l'Areva ont été emmenés depuis un motel passant pour protégé.
Le résultat est là, dénoncé par le président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz dans un entretien au Monde le 10 février 2012 : dans son pays, le nombre de touristes est passé de 10 000 par an en 2005 à zéro aujourd'hui. Même chose au Mali, au Niger, classés zone rouge par le Quai d'Orsay.

Les causes de la piraterie

On n'éradique pas l'insécurité par les seules police, armée, justice : la France de Sarkozy en fait l'expérience cruelle. Cette maladie qui ronge l'Afrique a des causes, qui tiennent à son histoire, coloniale et impérialiste, le pillage des ressources, son non-développement, la pauvreté et le chômage qui en résultent.

La Somalie a subi les interventions militaires des USA, puis l'Ethiopie à l'incitation de Washington. Elle n'a plus de gouvernement central depuis 1991. En 20 ans de guerre civile et d'invasions successives, le pays s'est morcelé en bandes armées dirigées par des chefs de guerre pratiquant volontiers les trafics d'armes, de drogue ou la prise d'otages, qu'elles soient islamistes (Shebabs) ou pas. Par ailleurs, les chalutiers-usines venus d'Europe ou du Japon ont ravagé les réserves halieutiques au large de la Corne de l'Afrique réduisant les pêcheurs somaliens, artisanaux, au chômage. Sans ressources; ils n'ont plus comme moyen de survie que la piraterie, l'allégeance à un « armateur du crime » ou à un chef de guerre. Le processus est similaire au Nigéria, au Benin, au Sahel ! C'est la pauvreté extrême qui fabrique le vivier de petites mains dans lequel puisent les profiteurs de tous les trafics.

Les grandes puissances occidentales ne sont pas, dans cette affaire, victimes mais coupables, et cela à plusieurs titres:

- Les USA, nous l'avons dit, en voulant imposer par les armes leur volonté à la Somalie et en aboutissant au chaos actuel, de même nature que celui créé en Irak.
- Les trusts occidentaux de la pêche qui pillent les rivages de l'Océan Indien, comme ils le font au large du Sénégal ou du Sahara Occidental.
- Les puissances occidentales encore, qui voient d'un très bon oeil la criminalité se répandre au Mali, au Niger, en Algérie, autour du Sahara. Quel meilleur prétexte pour justifier l'intrusion des armées françaises ou américaines, et leurs drones, dans chacun de ces pays - Le gouvernement malien a jusqu'à présent refusé cette intervention extérieure: et c’est pourquoi il est systématiquement attaqué par les autorités et la presse française, alors que la Mauritanie, qui coopère militairement avec la France et les USA (dixit son président au Monde le 10 février 2012) est louangée.
- Le Sahara recèle des richesses énormes que guignent tous les financiers occidentaux, inquiets de la concurrence chinoise ou indienne : l'uranium, qu'exploite Areva, est appelé à donner plus encore, comme le pétrole ou le gaz. Mieux, il est très sérieusement question (projet Desertec et autres) d'équiper le désert saharien de champs de panneaux solaires, qui permettraient de produire jusqu'au tiers de l'électricité nécessaire aux industries européennes. Imaginez un instant le cadeau que serait pour les investisseurs un état saharien soumis parce qu'on l'a aidé à se créer. Phantasmes - Certaines officines, en tout cas, y ont déjà pensé…
L'avenir, certes, n'est pas écrit, et les peuples africains auront leur mot à dire. Il est en tout cas inquiétant pour tous ceux attachés à la paix en Afrique et dans le monde. La France de Sarkozy s'est engagée militairement dans trois pays: Afghanistan, Libye, Côte d'Ivoire: intervenir aussi en Somalie, et dans le Sahara Malien ou Nigérien serait folie supplémentaire, qu''il faut empêcher à tout prix.

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